B. Les réticences des juridictions suprêmes
à transmettre une QPC
L'introduction d'une nouvelle procédure n'est jamais
chose aisée. Elle bouleverse les habitudes des juridictions. Il ne
semble pas que le législateur organique ait imaginé toutes les
difficultés qui résulteraient de la mise en oeuvre de cette
réforme, ni avoir envisagé toutes les hypothèses
aujourd'hui dégagées par les juridictions de renvoi.
Les premières réticences sont venues de la Cour
de cassation dans sa décision du 16 avril 2010 dans laquelle, elle a
saisi la CJUE d'une question préjudicielle sur la compatibilité
avec le droit communautaire du caractère prioritaire de la QPC.
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Cette période fut vite oubliée et est liée
probablement à la phase d'adaptation à la
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procédure. Le nombre toujours croissant de renvoi des
questions par les deux juridictions suprêmes traduit leur volonté
de participer à la procédure de la QPC. Dans le cadre des droits
des étrangers, les juridictions suprêmes sont enclines à
reconnaître en grande majorité la constitutionnalité des
dispositions restrictives des droits et libertés des étrangers
sur lesquels on fait prévaloir l'objectif de la «maîtrise de
flux migratoire».Comme l'a fait remarquer le Professeur Danièle
LOCHAK, la majorité des lois modifiant l'ordonnance du 2 novembre 1945
puis le CESEDA ont fait l'objet de saisine du Conseil constitutionnel dans le
cadre du contrôle a priori. Ce qui laisse peu de marge pour une QPC sauf
à invoquer un changement de circonstance.
L'appropriation des raisonnements et des jurisprudences du
Conseil par les juges de filtre qui se comportent en juge constitutionnel
d'opportunité vont justifier la plupart des décisions de
non-renvois des questions. L'appréciation restrictive de la condition de
l'applicabilité au litige de la disposition législative
contestée et le caractère sérieux de la question peuvent
constituer des obstacles pour les justiciables. Le Conseil d'État arrive
parfois à cultiver la théorie de l'acte claire et n'ose plus
renvoyer des questions. La pratique des réserves
d'interprétations consistant à sauver une loi afin
d'éviter le vide juridique porte aussi le risque d'une rupture avec le
juge administratif et judiciaire parce qu'elle réduit le pouvoir
d'appréciation des juridictions suprêmes. Elle porte atteinte aux
pouvoirs souverains du Conseil d'État et de la Cour de cassation.
Ces derniers pourront rompre ce lien fonctionnel que constitue
la QPC54.En refusant de la renvoyer ou en ne suivant pas
l'interprétation donnée par le Conseil constitutionnel, les juges
du filtre porteraient atteinte à l'autorité de la chose
jugée des décisions du Conseil-constitutionnel: surtout qu'aucune
sanction n'est prévue en cas de non respect de ces réserves
d'interprétations.
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