CHAPITRE II: La jurisprudence du Conseil
constitutionnel au regard du contrôle a priori et de la QPC relative
aux droits des étrangers.
Le contrôle a priori ne s'oppose pas au contrôle a
posteriori. Les deux contrôles sont complémentaires en ce sens que
le contrôle a posteriori permet au Conseil de rattraper les
inconstitutionnalités qui lui ont échappées lors du
contrôle a priori.
L'avènement de la QPC va permettre de purger l'ordre
constitutionnel français des dispositions discriminatoires soumettant
les étrangers à des conditions restrictives d'accès aux
droits. Le contrôle a posteriori va exercer une influence sur le
contrôle a priori.48Si le contrôle a priori a rendu
possible l'extension des droits sociaux aux étrangers, le contrôle
a posteriori va participer à renforcer et à consolider cette
protection. Comme le fait remarquer Ottavio Quirico: «par la
procédure de la QPC, le Conseil acquiert le pouvoir d'abroger une loi et
devient législateur négatif capable de contrebalancer la
législation positive du parlement»49. Le contrôle
préventif demeure une caractéristique du modèle
français parce qu'il assure la vérification
générale de la validité des normes et permet
d'épargner les moyens procéduraux dans une optique
d'économie juridique. Si la reforme de 2008 a écarté
l'option d'un contrôle diffus de constitutionnalité des lois en
confiant au seul Conseil constitutionnel le pouvoir d'abroger les lois
inconstitutionnelles, elle a fait du Conseil d'État et de la Cour de
cassation des juges constitutionnels de droit commun.
46.I.DESPRÉS/L.DARGET, Code de procédure
civile, 104e éd. Dalloz, Paris 2013, p.824.
47.JF.RENUCCI/JP.CÉRÉ/ C.GAYET, Code de
procédure pénale, 54e éd. Dalloz, Paris2013,
p.939. 48.B.GENEVOIS, « un exemple de l'influence du
contrôle a posteriori sur le contrôle a priori: une application de
la jurisprudence état d'urgence en nouvelle Calédonie »,
RFDA 2013, p 1.
49O.QUIRICO, «le contrôle de
constitutionnalité français dans le contexte européen et
international: une question de priorités», 2010.
38
Section 1: Une jurisprudence du Conseil tributaire de
la jurisprudence en matière de contrôle a
priori.
Le Conseil constitutionnel n'est pas seulement juge du litige
mais de la conformité de la disposition législative à la
constitution. Il examine la constitutionnalité de la loi dans
l'interprétation50 que lui donnent le Conseil d'État
et la Cour de cassation. Sa jurisprudence et ses réserves
d'interprétation doivent faire l'objet d'une application pragmatique
pour préserver les droits du justiciable. La jurisprudence du Conseil a
permis grâce à ses décisions les plus significatives de
garantir l'effectivité des droits constitutionnels reconnus aux
étrangers51.
S'agissant des réserves d'interprétations, les
juridictions sont tenues de les respecter. Le Conseil ne dispose pas de pouvoir
de vérifier leur application dans le cadre de contrôle a priori.
Ses décisions sont dépendantes de l'attitude des autorités
d'applications.52
Le contrôle a posteriori lui permettra de rappeler aux
juges du filtre ses réserves. Ces réserves permettent de sauver
une loi ou partie d'une loi en émettant une interprétation
conditionnant sa constitutionnalité. Elles permettent non seulement de
sauver la loi mais aussi d'éviter les conséquences qui seraient
nées d'une annulation d'une loi ayant produit des effets juridiques dans
le cadre de la QPC. En sauvant la loi, le Conseil constitutionnel participe
à la procédure législative et devient de ce fait,
co-législateur.
Le contrôle a posteriori consacre une protection
supplémentaire aux étrangers(A) mais suscite des
réticences dans le chef de ses juridictions suprêmes(B).
A. QPC, une protection supplémentaire pour les
étrangers.
Il convient de rappeler que l'étranger dans le cadre du
contrôle préventif des lois ne pouvait valoir ses droits que par
l'intermédiaire de certaines autorités politiques. Aujourd'hui,
son statut de justiciable va lui permettre comme tous les autres de
réclamer qu'on lui applique la disposition législative
protectrice de ses droits et/ou qu'on abroge en sa faveur celles violant les
droits et libertés garantis par la constitution. Il s'agit d'une
avancée considérable dans la mesure où l'étranger
peut choisir librement son juge53.La QPC sert à
protéger un droit subjectif avéré par un
intérêt personnel froissé. Cette
50.B.MATHIEU, «la question de
l'interprétation de la loi au coeur de la QPC», semaine
juridique- éd. Générale 2010, n° 44, p 2038.
51E.AUBIN, op.cit., éd. 2011, p.88-94.
52M.BOULET , «QPC et réserves
d'interprétation», RFDA 2011, p753.
53D. de BECHILLON, «un pas de plus dans la
liberté de choisir son juge (QPC)», Recueil Dalloz , 21
février 2013 n ° 7, p.444.
procédure donne à l'étranger le droit de
censurer par le Conseil, les inconstitutionnalités préjudiciables
à ses intérêts. Elle n'est jamais plus utile à la
défense des droits et libertés des justiciables que lorsqu'elle
est utilisée intelligemment.
Le constituant et le législateur organique ont entendu
lui laisser une grande liberté. Ce qui constitue un progrès dans
le renforcement d'un État de droit que d'offrir à tous les moyens
pour défendre leurs droits. La QPC a permis de faire disparaître
de notre législation plusieurs dispositions manifestement
discriminatoires: pour l'essentiel, celles qui imposaient des conditions
injustement restrictives l'accès à une série des droits
sociaux(cristallisation des pensions, aides accordées aux harkis
rapatriés, participation aux élections au Conseil
d'administration de l'AFP).Ses décisions s'inscrivent dans le
prolongement de la décision du 22 janvier 1990 dans laquelle le Conseil
a jugé que l'exclusion des étrangers résidant
régulièrement en France du bénéfice des prestations
non contributives méconnaissait le principe constitutionnel
d'égalité.
Ce mécanisme de la QPC obéit aux conditions de
publicité et de célérité. La publicité de la
procédure juridictionnelle protège les justiciables
étrangers contre toute justice secrète et contribue à
préserver la confiance dans la justice. Le principe de publicité
présente deux aspects: la publicité des débats et la
publicité du prononcé du jugement. Pour l'étranger, la
célérité de la procédure suppose que l'on soit
jugé dans un délai raisonnable. Cette durée
raisonnable de la procédure préserve la crédibilité
de la justice et son efficacité, ce qui constitue une avancée non
négligeable dans la vie de l'étranger. Ainsi, le contentieux
constitutionnel dont l'exercice n'est plus l'apanage d'un cercle restreint
d'autorités politiques et d'initiés est devenu depuis la
révision constitutionnelle de 2008 une source riche et ouverte au plus
grand nombre et en tout premier lieu aux justiciables.
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