B. L 'APPRECIATION DE LA COUR DE CASSATION.
Après quelques réticences du début,
l'analyse des décisions rendues par la Cour de cassation présente
un intérêt pratique. Une meilleure connaissance du rôle du
filtre sur la QPC permettra sans nul doute une meilleure utilisation de cette
nouvelle voie de protection des droits fondamentaux.
L'appréciation et l'analyse de la Cour permettent de
mettre en évidence son rôle utilisant non seulement les conditions
posées par la loi organique mais également les critères
prévus par l'article 61-1 de la constitution.
La stratégie de la Cour de cassation repose sur
l'appréciation restrictive des conditions de recevabilité et de
renvoi de la question prioritaire au Conseil constitutionnel. La Cour a
renvoyé bon nombre des questions se rapportant à des domaines
divers: la garde à vue, adoption, mariage, motivation des arrêts
d'assise39.
Le respect par la Cour des trois conditions prévues par
les articles 23-4 et 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi
organique sur le Conseil constitutionnel lui permet de se prononcer sur les
règles relatives à la QPC et celles relatives à la
procédure applicable devant elle.
La loi organique n'a prévu qu'une seule
hypothèse d'irrecevabilité: l'absence de mémoire distinct
et motivé. La Cour de cassation a constaté que les conditions
posées par l'ordonnance précitée sont insuffisantes pour
épuiser toutes les hypothèses relatives à la QPC. Afin de
rendre son filtre utile, elle va dégager un certain nombre des
critères lui permettant une meilleure appréciation des conditions
de recevabilité. Ainsi, la Cour refusera de transmettre au Conseil les
questions ne portant pas sur des dispositions législatives ou qui n'ont
pas été soulevées à l'occasion d'une instance en
cours.
Trois conditions applicables à la QPC vont
déterminer l'appréciation de la Cour. Il s'agit du critère
lié à l'objet de la question, au cadre à l'occasion duquel
la question est posée et le caractère sérieux de la
question. Ces critères vont déterminer son analyse et guider
39JB. PERRIER:« le non renvoi des
questions prioritaires de constitutionnalité par la Cour de
cassation» , RFDA 2011 p.711.
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l'appréciation de la question en vu d'un renvoi ou non au
Conseil constitutionnel.
Le principe de l'article 61-1 dispose «lors
qu'à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est
soutenu qu'une disposition législative porte atteinte au droit et
liberté que la constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut-
être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la
Cour de cassation qui se prononce dans un délai
déterminé»40.Il découle de cet article les
règles élémentaires applicables à la QPC et les
conditions relatives à son objet. La contestation ne doit porter que sur
une disposition législative excluant toute autre disposition qu'elle
soit réglementaire, constitutionnelle ou conventionnelle. L'analyse de
la Cour portera uniquement sur la conformité de la disposition
législative nationale aux droits et libertés garantis par la
constitution et à l'exigence de la contestation de droit et
liberté constitutionnellement protégés. Toute question
portant sur une autre disposition que législative (que ce soit une norme
de l'union européenne41, une disposition conventionnelle, une
disposition infra législative ou supra législative sera
irrecevable.
L'observation par la Cour des dispositions de l'article 61-1
de la constitution l'a amenée à refuser de transmettre au Conseil
une question au motif qu'elle porte non pas sur la constitutionnalité de
la disposition mais sur l'interprétation faite par la jurisprudence
(Décision du 19 mai 2010) 42 . Pour la Cour de cassation, renvoyer la
question sur l'interprétation jurisprudentielle d'une disposition
revenait à soumettre au Conseil l'examen de la constitutionnalité
de sa jurisprudence. Cette position est contestable car comme le remarque le
Professeur Bertrand MATHIEU «on ne peut pas distinguer
l'interprétation de la loi du texte lui-même et d'autre part,
l'interprétation de la loi par le Conseil constitutionnel est
nécessaire pour qu'il puisse remplir son office, ce qui conduit le
Conseil à formuler souvent des réserves
d'interprétations»43.S'agissant du caractère
sérieux, une question qui se borne à contester la
constitutionnalité d'une disposition législative sans
préciser la source de son inconstitutionnalité c'est à
dire droits et libertés sera déclarée irrecevable car son
imprécision est un obstacle à son appréciation.
Jean Baptiste PERRIER a démontré que la loi
organique n'a pas précisé le principe posé par l'article
61-1 de la constitution en ce sens que toutes les conditions au renvoi et
à la recevabilité de la QPC ne s'y trouvent pas. Notamment le
principe selon lequel: la QPC est un mécanisme de contrôle a
posteriori de loi, elle doit répondre à cette logique propre
au
40.La loi organique n°2008-724 du 23 juillet
2008, art.29. 41.C E, QPC 14 juin 2010 n°312 305 RUJOVIC
Recueil Lebon. 42.Cour de cassation QPC, 19 mai 2010 . n°
09-82. 582 43.B.MATHIEU, JCP 2010, n°44,p2038.
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contrôle de constitutionnalité lequel ne doit
porter que sur la conformité d'une disposition législative au
droit et liberté que la constitution garantit. La QPC est
également une question préjudicielle en ce sens qu'elle
s'insère dans un contexte procédural qui ne lui est pas propre.
L'étude du cadre de la question permet de mettre en évidence une
deuxième série de conditions spécifiques à la
question elle - même et d'autres liées à l'instance
à l'occasion de laquelle la QPC est posée. S'agissant du cadre de
la question, la QPC suppose l'existence d'un cadre procédural, elle ne
doit se poser que lors d'une instance en cours, ce cadre conditionne son
renvoi. Elle doit respecter les conditions procédurales applicables aux
juridictions devant lesquelles elle est soulevée et les conditions
relatives à son support (mémoire distinct et motivé).
La Cour va se placer sur le terrain de la recevabilité.
A défaut d'instance en cours, la question devient sans objet. La Cour
précisera les critères posés par l'ordonnance du 7
novembre 1958: applicabilité au litige de la disposition c'est à
dire que l'inconstitutionnalité alléguée doit avoir une
incidence sur le litige sinon la question est irrecevable. Le moment de son
introduction aussi. Autrement dit, la Cour fait de l'incidence et du moment de
dépôt du mémoire des conditions de recevabilité de
la question44.L'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre
dispose:« la disposition contestée doit être applicable
au litige ou à la procédure ou constituer les fondements des
poursuites»45.
Quant au fondement des poursuites, la Cour a été
amenée à préciser sa position. Selon elle, la disposition
critiquée doit être le support de l'incrimination. La Cour
procède dans son appréciation des conditions de
recevabilité à une analyse stricte de la lettre de son article
23-2.Les formalités du dépôt de mémoire: la QPC
connaît les conditions de renvoi et de recevabilité qui lui sont
propres car sa recevabilité dépend aussi de la
recevabilité du support de la question à savoir mémoire
distinct et motivé. Pour que la question soit recevable, il est
nécessaire que le mémoire soit lui même recevable.
Devant la Cour, cette recevabilité s'entend d'un
mémoire déposé par un avocat au Conseil d'État ou
à la Cour de cassation autrement dit sera irrecevable tout
mémoire déposé par un tiers autre qu'un avocat.
Quant au moment du dépôt du mémoire, ce
sont les règles classiques de procédure devant la Cour qui
s'appliquent. Celles-ci prévoient un délai pendant lequel le
demandeur doit faire connaître les moyens de droit soutenant le pourvoi:
en matière civile, ce délai est
44.JB.PERRIER, op.cit., RFDA 2011. p.711.
45Loi organique , n °2008-724, 2008.
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de 4 mois pour le dépôt de mémoire
(article 978 du code de procédure civile)46et en
matière pénale, il est de 10 jours pour le dépôt de
mémoire personnel(article 584 du code de procédure
pénale)47.
Une fois ce délai dépassé, le
mémoire déposé doit être rejeté et la
question déclarée irrecevable. La connaissance de la QPC par le
Conseil constitutionnel obéit non seulement aux conditions
prévues par l'article 23-2 mais également par les critères
dégagés par la Cour de cassation.
Ainsi, les juridictions suprêmes dégagent des
critères nouveaux que le législateur organique n'auraient pas
prévus, ceci pour rendre leur filtre utile et remplir pleinement leur
office en préservant le Conseil de tout engorgement par des questions
infondées.
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