B. Étranger, comme détenteur d'un patrimoine
des droits et libertés fondamentaux.
Dans la perspective de la reconnaissance des droits aux
étrangers, la décision du Conseil constitutionnel du 13
août 1993( censurant la loi Pasqua ) énonce les principes
essentiels d'un statut constitutionnel des étrangers: «le
législateur doit respecter les libertés et les droits
fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui
résident sur le territoire de la
République»20.On peut déduire qu'en
reconnaissant aux étrangers des droits et libertés
élevés au rang constitutionnel, ce mouvement de
constitutionnalisation a
20.DC n°93-1027 du 24 août 1993 JO
n°200 du 29août 1993.
19
transformé leur nature pour les rendre moins
étrangers et plus français.
La reconnaissance des droits fondamentaux aux étrangers
permet d'observer la relation entre l'État et cette catégorie.
Elle se situe à la rencontre de deux logiques qui imprègnent le
statut des étrangers :l a logique de la souveraineté et celle des
droits fondamentaux. Ces droits relèvent de la sphère
individuelle en opposition au pouvoir des autorités publiques. Il peut
s'agir des droits-libertés (§1)ou des
droits-créances(§2) que nous analyserons plus
précisément encore dans la deuxième partie de notre
travail relative à la question de la protection sociale des
étrangers.
Il convient de signaler que certains droits fondamentaux que
le législateur est tenu de respecter lorsqu'il institue une
procédure d'éloignement des étrangers irréguliers
peuvent conduire l'autorité à annuler la mesure administrative.
Ils constituent de véritables obstacles à l'éloignement de
ces derniers. Comme l'a affirmé Olivier LECUCQ: il n'est plus question
de limiter le pouvoir de procéder à leur éloignement mais
l'interdire. Ces droits fondamentaux dont il s'agit concernent une
catégorie limitée des étrangers: les étrangers en
situation irrégulière, les combattants de la liberté, les
membres de famille et les individus en situation précaire en raison de
leur état de santé. Il faudra donc conjuguer cette
catégorie avec non seulement le droit de mener une vie
familiale normale mais aussi le droit d'asile et les droits de la
défense.
§ 1. LES DROITS-LIBERTES.
Contrairement aux droits-créances ou «droits
à» qui nécessitent l'intervention de l'État sous
forme d'action ou de prestations sociales, les droits-libertés ou
«droits de» impliquent son abstention.
1.Le droit d'asile.
Le droit d'asile a été proclamé par
l'alinéa 4 du préambule de la constitution du 27 octobre 1946.Ce
préambule fait parti de bloc de constitutionnalité. A partir de
là, sa valeur constitutionnelle ne fait aucun doute et la qualité
d'étranger irrégulier ne constitue pas non plus un obstacle au
bénéfice de ce droit.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 12-13
août 1993 a affirmé que les étrangers pouvaient se
prévaloir du droit reconnu par l'alinéa 4 qui est propre à
certains d'entre eux aussi, dès lors que l'irrégulier est un
combattant de la liberté, il a droit à l'asile en France. C'est
ainsi que l'étranger est devenu un protégé
constitutionnel.
20
Il s'agit ici d'un asile Constitutionnel par opposition
à l'asile conventionnel réservé aux étrangers
appelés demandeurs d'asile sollicitant le statut de
réfugié sur le fondement de la convention de Genève de
1951.
La révision constitutionnelle du 25 novembre 1993 a
restreint l'exercice de l'asile constitutionnel. Elle rappelle que la
convention de Dublin permet de refuser d'examiner la demande d'un
étranger fondée sur la Convention de Genève. Elle permet
de le renvoyer vers le pays qui a laissé entrer volontairement ou non
celui-ci dans son territoire. Ce pays devient responsable du traitement de sa
demande d'asile.
Dans sa décision n° 97-389 DC du 22 avril 1997: la
constitution et les fichiers, le Conseil constitutionnel a confirmé que
le droit d'asile prévu au 4ealinéa du préambule
de la constitution de 1946 était une «exigence
constitutionnelle» 21 dont les étrangers ne doivent pas
être légalement privés. Or une disposition relative
à la consultation des fichiers des empreintes digitales des demandeurs
d'asile devint permettre aux policiers d'accéder à ces fichiers.
Le Conseil a estimé que le caractère confidentiel de ces fichiers
gardés par l'OFPRA est une garantie essentielle du droit d'asile. Un
principe de valeur constitutionnelle qui suppose que les étrangers
bénéficient d'une protection particulière empêchant
aux policiers de consulter ces fichiers.
Comme l'a affirmé AUBIN (E), «le droit des
étrangers est un droit inconstant prisonnier de ses obsessions
sécuritaires»22.Un étranger pourrait se voir refuser le
renouvellement de plein droit de sa carte de séjour pour menace à
l'ordre public ou être exclut du bénéfice de la protection
subsidiaire s'il a commis des crimes graves de droit commun ou lorsqu'il se
livre aux activités menaçant l'ordre public.
Dans sa décision QPC n° 2010-79 du 17
Décembre 2010, Kamel D.(transposition d'une directive), dans cette
affaire, la CNDA refusant d'accorder la protection subsidiaire en application
de la clause d'exclusion. Le requérant soutenait que les dispositions de
l'article L.712-2 du CESEDA méconnaissait le principe de la
dignité humaine et l'article 66-1 de la constitution aux termes duquel:
«nul ne peut être condamné à la peine de
mort».
Le Conseil constitutionnel réaffirme sa jurisprudence
IVG de 1975 selon laquelle il ne lui appartient pas de contrôler la
constitutionnalité de la loi aux stipulations d'un traité ou
accords internationaux. Le Conseil a décliné l'examen de la
question au motif que les dispositions contestées se bornent à
tirer les conséquences nécessaires des dispositions
21Décision n 97-389 DC du 22 avril 1997.
22.E.AUBIN, Droit des étrangers, 2è
éd. Gualino Lextens nov.2011, p.124.
21
inconditionnelles et précises de la directive du 29
avril 2004 qui ne mettent en cause aucune règle, ni aucun principe
inhérent à l'identité constitutionnelle de la France. Le
Conseil va prononcer un non-lieu à statuer sur la QPC.
En tant que principe de valeur constitutionnelle, le respect
de droit d'asile implique que l'étranger qui se réclame de ce
droit soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire
jusqu'à ce que sa demande ait été
statuée23.
Il bénéficie de ce fait du principe coutumier de
non refoulement sous réserve de la conciliation de cette exigence avec
la sauvegarde de l'ordre public. Le Conseil juge «s'agissant d'un
droit fondamental dont la reconnaissance détermine l'exercice par les
personnes des droits et libertés reconnus de façon
générale aux étrangers résidant dans le territoire
par la constitution, la loi ne peut en réglementer les conditions qu'en
vu de le rendre plus effectif ou de le concilier avec d'autres règles ou
principe de valeur constitutionnelle»24.
La décision 2011-120 QPC M. Ismaël
A25.(recours devant la Cour nationale du droit d'asile) illustre
parfaitement l'interprétation restrictive de changement de circonstance
par le Conseil constitutionnel. Dans cette décision, le Conseil
écarte une QPC transmise par la Cour de cassation relative à
l'absence de caractère suspensif du recours devant la CNDA pour les
demandeurs placés en procédure prioritaire. Dans sa
décision du 13 août 1993, le Conseil constitutionnel avait admis
que le législateur pouvait ne pas reconnaître au requérant
le droit au maintien sur le territoire français pendant l'examen de son
recours, dès lors que cet examen était garanti. Mais la CNDA
avait, en avril 2009, opéré un revirement de jurisprudence en
admettant l'interruption de l'instruction du recours en cas de renvoi du
demandeur. Le changement de circonstance n'étant pas constitué a
répondu le Conseil constitutionnel, dès lors que la jurisprudence
dégagée par la CNDA n'a pas été soumise au Conseil
d'État à qui, il revient de s'assurer qu'elle garantit ou non le
droit au recours.
L'admission au séjour accordée à
l'étranger demandeur d'asile doit lui permettre d'exercer les droits de
la défense qui constitue pour toute personne quelque soit sa
nationalité: Française, étrangère ou apatride un
droit fondamental.
Notons que la notion d'appartenance au groupe social comme
motif de persécution est au
23.A.TOPPINO, Les droits des étrangers,2e
éd. ESF éditeur, 2009, p.35. 24Ibid relatif à
la décision du Conseil constitutionnel du 12-13août 1993.
25.Décision n° 2011 -120 QPC 8 avril 2011 .
22
coeur des progrès réalisés en faveur des
étrangers. En ce sens que cette notion a permis la protection des
étrangers en raison de leur refus de se soumettre à une certaine
norme sociale(cas des homosexuels).Aussi, la qualité de
réfugié peut être reconnue aux femmes
persécutées en raison de leur refus de se soumettre à des
violences spécifiques (cas des mutilations génitales ou mariage
forcé)26.Ce droit est mixte appartenant à la fois
à la catégorie des droits-libertés et des
droits-créances.
2.Les droits de la défense.
Érigés en principe fondamental reconnu par les
lois de la république par le juge constitutionnel dans sa
décision du 2 décembre 1976, les droits de la défense sont
déterminants à la garantie d'une bonne administration de la
justice. Personne ne doit être condamnée sans avoir
été interpellée et mis en demeure de se défendre
avait affirmé la Cour de cassation dès 1828.
En droit administratif, depuis l'arrêt du Conseil
d'État Aramu de 1945, les droits de la défense ont
été consacrés en tant que principe général
de droit liant l'administration sous le regard du juge administratif. On peut
penser que le juge constitutionnel fait référence à ce
principe général de droit lorsqu'il affirme que le principe
constitutionnel du droit de la défense s'impose à
l'autorité administrative sans qu'il soit besoin pour le
législateur d'en rappeler l'existence.
Ce principe de droit à la défense est
inspiré de l'article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne
pour la sauvegarde des droits de l'homme et libertés fondamentales
relatif aux droits à un procès équitable. Les
étrangers irréguliers qui constituent la catégorie
destinataire de ces droits ne cessent de l'invoquer. Le juge constitutionnel,
dans certaines décisions antérieures reste vigilant à
l'égard du respect des droits de la défense et cela
indépendamment de la nationalité de la personne
concernée.
Ce droit permet aux étrangers et personnes
concernées par des mesures administratives (de rétention
administrative, reconduite à la frontière, garde à vue) de
demander un interprète, un avocat dès le début du
maintien. Tout cela participe selon le juge constitutionnel de la lutte contre
l'arbitraire d'un internement parce qu'il permet à l'étranger
maintenu de présenter ses moyens de défense.
26.V.FRAISSINIER-AMIOT,« les homosexuels
étrangers et droit d'asile en France » n°2 du 9 septembre
2011, RFDA , p 291.
23
C'est au regard des droits de la défense que le
régime de la garde à vue a été censuré par
le Conseil constitutionnel. Dans sa décision 2010-14/22 QPC, Le
requérant soutenait que le régime portait atteinte à
l'article 6 § 1 de la CEDH et au principe constitutionnel de la
dignité humaine. La CJUE a sanctionné plusieurs fois la France
dans ses arrêts Medvedieuv C/ France du 29 mars 2010 et BRUSCO C/France
du 14 octobre 2010 pour absence d'avocat. Ainsi, le Conseil constitutionnel
dans sa décision du 28 juillet 1989 a précisé:«
le principe du respect des droits de la défense constitue un des
principes fondamentaux reconnus par les lois de la république
réaffirmés par le préambule de la constitution de 1946
auquel se réfère le préambule de la constitution de
1958» et «implique notamment en matière pénale
l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant
l'équilibre des droits des parties»27.
Le respect des droits de la défense s'impose dans la
phase contentieuse. Elle suppose que la personne soit
régulièrement et complètement informée des faits
qui lui sont reprochés dans une langue qu'elle comprend. Elle doit avoir
la possibilité d'accéder au dossier, d'être entendue
verbalement ou par écrit avant toute mesure la concernant. Elle doit
disposer du temps suffisant pour préparer sa défense, d'avoir la
liberté de choisir et de consulter un avocat, de connaître les
motifs de la décision prise et de disposer des voies de recours
juridictionnelles assorties du droit de demander et d'obtenir le cas
échéant un sursis à exécution de la décision
en cause. Son statut d'étranger ne doit pas le discriminer des autres
justiciables, ni constituer un handicap à la protection des droits et
libertés constitutionnels.
Pour les étrangers en situation
irrégulière frappés d'une mesure de reconduite à la
frontière ou de mesure de rétention. On peut imaginer la
difficulté de la mise en oeuvre effective d'une voie de recours ou
même des droits de la défense à l'appui d'une QPC. Cette
difficulté tient aux délais contentieux dont on pourra regretter
que le juge constitutionnel ne se soit appuyé sur des
considérations plus concrètes. Le juge considère que la
procédure de reconduite à la frontière s'inscrit dans le
cadre de la sauvegarde de l'ordre public à laquelle répond la
lutte contre l'immigration illégale.
Dans une décision récente 2011-153 QPC du 23
juillet 2011,M.Samir A.(appel des ordonnances du juge d'instruction et du juge
des libertés et de la détention), le requérant contestait
dans cette affaire, l'article 186 du CPP parce qu'il n'incluait pas l'article
146 du CPP dans la liste des articles prévoyant des ordonnances du juge
d'instruction et juge des libertés et de la détention dont le mis
en examen peut faire appel. Il invoque une violation
27.Décision n°89-261 DC du 28juillet
1989.
24
des articles 6 et 16 de la DDHC de 1789.Le Conseil a
estimé que le droit de la défense n'est pas méconnu.
Les droits de la défense reconnus aux étrangers
supposent qu'ils puissent agir en justice. Le recours juridictionnel pour
l'étranger doit constituer un moyen de réalisation
concrète des droits fondamentaux. Les étrangers auront
l'assurance de faire valoir les autres droits dans les bonnes conditions. Toute
fois, l'existence de ces droits implique que l'État exerce son devoir de
protection juridictionnelle envers les étrangers. Ce qui fait de ce
droit un droit mixte. Pour l'étranger rentré
irrégulièrement sur le territoire, l'aide juridictionnelle
permettant l'accès des citoyens à la justice lui est
refusé alors même qu'il est justiciable.
Dans sa décision du 12-13 août 1993, le juge
constitutionnel énonce «que parmi les droits reconnus à
tous ceux qui résident sur le territoire de la République,
figurent la liberté individuelle et la sûreté, notamment la
liberté d'aller et venir, la liberté du mariage, le droit de
mener une vie familiale normale»28.Par cette décision, le
Conseil a élargi la notion de liberté individuelle en ce sens que
les étrangers vont bénéficier ce droit parce qu'ils
habitent sur le territoire de la république.
3. La liberté de mariage.
Concernant cette liberté, la question qui se pose est
de savoir si la condition de régularité du séjour est
opposable à l'étranger désirant se marier avec un autre
étranger ou avec un national. Autrement dit, un étranger en
situation irrégulière peut-il se marier sans éprouver des
difficultés liées à son statut29.Certes, le Conseil
constitutionnel a affirmé que le droit au mariage constituait l'une des
libertés fondamentales de l'homme mais il n'en demeure pas moins que le
dispositif actuel accorde une grande marge de manoeuvre à
l'administration quant aux règles de célébration du
mariage que de ses effets30.
Le Conseil constitutionnel lors de l'examen de la loi de 1993
relative à la maîtrise de l'immigration, loi par laquelle le
gouvernement organisait les pouvoirs des maires et du parquet en matière
de mariage présumé frauduleux a reconnu la valeur
constitutionnelle à la liberté de mariage. Pour la
première fois, il en a fait une portée générale
sans distinction des bénéficiaires. Il faut reconnaître que
les irréguliers ne sont pas empêchés de se marier
cependant, la jouissance de ce droit reste difficile du fait de leur situation
administrative qui constitue par elle-même un obstacle.
28L.FAVOREU/L.PHILIP, les grandes décisions du
Conseil constitutionnel, 13è éd. Dalloz 2005, p 742.
29C.DAADOUCH,le droit des étrangers, éd. MB FORMATION,
2004, Paris, p 75. 30.X.VANDENDRIESSCHE, le droit des
étrangers, 5e éd. Dalloz, 2012, p.139.
25
La loi Pasqua de 1993 exprimait la volonté du
gouvernement de l'époque de restreindre les conditions de
délivrance des titres de séjour de plein droit résultant
d'une union matrimoniale. Le but était de lutter contre les
détournements des procédures et de s'opposer à
l'acquisition du titre de séjour pour de motif d'ordre public. Se
trouvant visé dans cette optique, le détournement de la
procédure de l'union matrimoniale qui permettait à la suite d'un
mariage de complaisance au conjoint étranger d'obtenir un titre de
séjour ou carte de résidant de plein droit31 .
Pour ce faire, le législateur va poser une double
condition pour la délivrance de titre de séjour: une année
de mariage et d'une communauté de vie effective.
Lorsqu'il existe des indices sérieux laissant penser
que le mariage est envisagé dans un autre but que l'union matrimoniale,
la loi autorise l'officier de l'état civil de saisir le procureur de la
république qui pourra s'opposer à sa célébration ou
pourra la surseoir pendant une période de trois mois32.Notons qu'une
circulaire du 2 mai 2005 considère que le mariage est simulé du
moment où il ne repose pas sur une volonté libre et
éclairée de vouloir se prendre pour mari et femme et qu'il ait
été conclu exclusivement à des fins migratoires. Cette
circulaire considère que la situation irrégulière du
candidat au mariage constitue un indice faisant suspecter un défaut de
sincérité de l'intention matrimoniale.
Ainsi, dans sa décision 2012-264 QPC M. Saïd K.
(condition de contestation par le procureur de la République de
l'acquisition de la nationalité par le mariage), le requérant
soutenait que l'article 21-2 du code civil résultant de la loi du 16
mars 1998 qui pose le principe de la présomption de fraude en cas de
rupture de la vie commune dans les douze mois suivant l'enregistrement de la
déclaration dont les deux années suivant le mariage portait
atteinte au droit à la vie privée (article 2 de la DDHC de 1789).
Le juge répond que la présomption de la fraude est
destinée à faire obstacle à l'acquisition de la
nationalité par des moyens frauduleux et que la conciliation n'est pas
déséquilibrée entre les exigences de l'ordre public et le
droit au respect de la vie privée. Le mariage n'exerce aucun effet sur
la nationalité c'est-à-dire qu'il existe des présomptions
de détournement des fins de l'union matrimoniale par l'acquisition de la
nationalité justifiée par les exigences de la sauvegarde de
l'ordre public. On pourrait constater que désormais, tout mariage entre
étranger et un ressortissant français ou mariage avec une
personne en situation irrégulière est suspect aux yeux de
l'administration, ce qui traduit une certaine incompatibilité avec la
volonté d'intégration que le mariage tend à manifester.
31.Décision n°2006-542 DC du 9 novembre
2006 : loi relative au contrôle de la validité des mariages.
32V.TCHEN, Droit des étrangers, Ellipses, 2è
éd. 2011, p.84.
26
Dans sa décision n°2011-186 QPC du 21octobre 2011
Mlle Fazia C.et autres (Effets sur la nationalité de la réforme
de la filiation), le Conseil a opté pour une solution qui a pour effet
de refuser de faciliter l'attribution de la nationalité
française, cette fois à la naissance, aux enfants nés hors
mariage avant l'entrée en vigueur de la réforme. Le dispositif de
la réforme aboutissait à créer une différence de
traitement entre les enfants du même âge selon qu'ils
étaient nés dans le mariage ou hors mariage, d'une part, entre
les enfants nés hors mariage selon leur date de naissance, d'autre part,
et elle empêchait les enfants nés hors mariage et ayant atteint
l'âge de la majorité avant le 2 juillet 2006 de se voir
reconnaître la nationalité française du seul fait de la
désignation de leur mère, de nationalité française,
dans leur acte de naissance puisque cette désignation ne suffisait pas
avant la réforme à établir juridiquement le lien de
filiation. Le Conseil estime que la différence de traitement ainsi
créée présente un caractère résiduel et
qu'elle est en lien direct avec l'objectif d'intérêt
général de stabilité des situations juridiques.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision
n°2012-259 QPC M.Mouloud A. (Statut civil de droit local des musulmans
d'Algérie et citoyenneté française) a confirmé
l'interprétation donnée par la Cour de cassation de la
disposition de l'ordonnance du 7 mars 1944 qui avait conféré des
droits politiques à certains musulmans d'Algérie. Dans cette
affaire, le requérant contestait la conformité de l'article 3 de
l'ordonnance précitée qui limitait les effets de la
citoyenneté française accordée aux musulmans
d'Algérie aux seuls droits politiques les privant de revendiquer la
nationalité française en 1962 alors que les musulmans ayant
obtenu la citoyenneté française en vertu du senatus-consulte de
1865 ou de la loi de 1919 ont pu conserver la nationalité
française. Par ce biais, l'article 3 a crée une discrimination
injustifiée au sein des musulmans d'Algérie ayant obtenu la
citoyenneté française avant l'indépendance. Et que le
législateur ne pouvait séparer l'octroi des droits politiques et
civils sans porter atteinte au principe d'égalité devant la loi.
Le requérant ne demande pas la censure de la disposition
contestée mais une déclaration de conformité sous
réserve permettant de reconnaître l'octroi dans le même
temps des droits politiques et du statut civil de droit commun. Pour le
Conseil, le fait d'avoir conservé leur statut personnel avait
privé les intéressés de l'accès à la
nationalité française au moment de l'indépendance. En
déclarant ainsi, le Conseil constitutionnel évite d'ouvrir
à des Algériens une voie d'accès à la
nationalité française.
4. La liberté d'aller et venir.
Le statut de l'étranger quant à la jouissance de
la liberté de circulation est spécifique. L'inexistence d'un
droit à l'entrée et au séjour est un élément
de distinction entre nationaux
27
et étrangers. Il explique le caractère
précaire de la situation de l'étranger de même la garantie
d'un droit à l'immigration ne lui est pas reconnu.
Cette liberté est consacrée à l'article 2
du protocole n°4 de 1963 additionnel à la CEDH qui reconnaît
à quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d'un
État le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa
résidence, de quitter n'importe quel pays. Cette liberté ne
bénéficie aux étrangers que sous un seul de ses aspects:
la liberté de quitter le territoire de résidence qui ne peut pas
être subordonnée à un préalable. Un étranger
peut librement quitter le territoire pour éviter l'exécution d'un
arrêté de reconduite à la frontière. Cette
liberté est encadrée en France indifféremment des
étrangers. Elle se traduit par de contrôle d'identité dont
le principe est posé à l'article 78-1 du CPP qui astreint toute
personne se trouvant sur le territoire national à accepter de se
prêter à un contrôle d'identité.
Seuls les étrangers communautaires peuvent sous
certaines conditions revendiquer un droit au séjour. L'étranger
n'a pas l'assurance de rester en France. Parmi les étrangers, les
irréguliers violent la réglementation de l'État sur son
droit à admettre sur son sol les étrangers qu'il désire et
de ce fait, se placent dans les conditions d'illégalité
justifiant de mesure d'éloignement.
La reconduite à la frontière, la
rétention administrative, l'autorisation de quitter le territoire
national sont des procédés privatifs de liberté visant
principalement les étrangers en situation irrégulière et
participent à la lutte contre l'immigration illégale ou
irrégulière. Toutefois, le principe de la détention
administrative est admise en droit Français, elle est encadrée
des garanties suffisantes pour écarter tout risque d'arbitraire.
La protection de l'étranger relative à la
rétention administrative comprend trois éléments qui lient
le législateur: la nécessité de la rétention de
l'étranger, le rôle du juge judiciaire quant à sa
prolongation et qu'elle ne doit être décidée que dans des
délais stricts.
Les exigences d'ordre public en matière des droits des
étrangers renforcent tout l'arsenal de lutte contre l'immigration
illégale, ce qui fait que l'irrégularité du séjour
d'un étranger sur le territoire français devient
pénalement réprimée33.
Ainsi donc, dans sa décision 2011-217 QPC du 03
février 201234 M.Mohamed Alki B (délit d'entrée
ou de séjour irrégulier en France), le requérant et les
parties intervenantes
33.Décision n°2003-484 DC du 20
novembre 2003 : loi relative à la maîtrise de l'immigration, au
séjour des étrangers en France et à la
nationalité.
34.Décision 2011-217 QPC du 3 février
2012, M.MOHAMED Alki B.
28
soutenaient que les dispositions de l'article L .621-1 du
CESEDA méconnaissent l'article 8 de la déclaration de droits de
l'homme et du citoyen de 1789 dans la mesure où elles prévoient
une peine d'emprisonnement d'un an et d'une amende de 3750 euros pour un
étranger non communautaire au seul motif qu'il demeure sur le territoire
sans raison justifiée. Alors même que l'article 8 dispose que la
loi ne peut établir que des peines strictement et évidemment
nécessaires.
Le Conseil constitutionnel déclare que la peine
d'emprisonnement d'un an n'est pas disproportionnée, l'article
précité ne méconnaît pas l'article 8 de la
déclaration de droits de l'homme et du citoyen de 1789.Il s'agit pour le
Conseil de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre la peine et
l'infraction et au législateur le pouvoir d'appréciation de la
nécessité de la peine. Ici, le Conseil a refusé de prendre
en considération le droit de l'union pour apprécier le
caractère éventuellement disproportionné de la peine
d'emprisonnement infligée à l'étranger séjournant
irrégulièrement en France. Cependant, la jurisprudence de la CJUE
en interdisait le prononcé mais le Conseil a répliqué que
le grief tiré du défaut de compatibilité d'une disposition
législative avec les engagements internationaux et européens de
la France ne saurait être regardé comme un grief
d'inconstitutionnalité.
De même, le Conseil constitutionnel, dans sa
décision n°2010-13 QPC du 09 juillet 2010 M.Orient O.et autres(
Gens du voyage) a refusé de considérer comme contraire au
principe d'égalité des dispositions applicables aux gens du
voyage notamment le régime de stationnement sur les aires d'accueil au
motif qu'elles seraient fondées sur une différence de situation
entre les personnes dont l'habitat est constitué des résidences
mobiles et qui ont choisi un mode de vie itinérant et celles qui vivent
de manière sédentaire. Ainsi, sur base des critères
objectifs et rationnels exclusifs de toute discrimination fondée sur une
origine ethnique. S'agissant, des restrictions à la liberté
d'aller et venir résultant de l'évacuation forcée des
résidences mobiles, il les a jugées proportionnées aux
nécessités de l'ordre public. Position du Conseil contraire aux
avis de la HALDE et du comité européen des droits sociaux sur le
caractère discriminatoire du statut des gens du voyage. Signalons que
sont visés derrière tout ceci, sont les Roms.
5.Le droit de mener une vie familiale normale
.
La protection constitutionnelle de ce droit pour les
étrangers est restée terne. Depuis longtemps, le Conseil
d'État a tiré de l'alinéa 10 du préambule de
constitution 1946 un principe général de droit visant à
protéger le droit de mener une vie familiale normale.
29
Le Conseil constitutionnel l'a reconnu parmi les droits
fondamentaux de tous ceux qui habitent sur le territoire national dans sa
décision relative à la maîtrise de l'immigration. Cette
reconnaissance a ouvert la perspective d'un droit d'entrée et de
séjour dans le cadre de regroupement familial pour les étrangers
disposant d'une carte de résident. Elle bénéficie aux
étrangers réguliers. Le juge constitutionnel a
précisé: les étrangers dont la résidence est stable
et régulière ont comme des nationaux le droit de mener une vie
familiale normale. Et qu'ils ont droit sous réserve de faire venir
auprès d'eux leur conjoint et leurs enfants mineurs. Le Conseil par
cette décision fait du regroupement familial un droit spécifique
reconnu aux étrangers.
La question qui se pose est de savoir si les étrangers
irréguliers peuvent bénéficier ce droit. Le juge
constitutionnel affirme que le droit de mener une vie familiale normale figure
parmi les droits fondamentaux reconnus à tous ceux qui résident
sur le territoire. Cette affirmation inclut les irréguliers parmi les
étrangers et donc protégés comme les autres dans la mesure
où la disposition n'a pas catégorisé les
étrangers.
Le Conseil constitutionnel précise que les
étrangers en situation stable et régulière
bénéficient comme les nationaux de ce droit. Ce qui exclut les
irréguliers du champ d'application de cette disposition. La Convention
européenne des droits de l'homme proclame dans son article 8:le droit au
respect à la vie privée et familiale. Cela implique la protection
de l'individu contre toutes les ingérences injustifiées dans sa
vie privée et familiale. Le droit de mener une vie familiale normale
bénéficie à tous les étrangers en tant que
composante de la liberté individuelle mais en revanche, l'accès
à la jouissance de ce droit est difficile pour les étrangers en
situation irrégulière.
Dans sa décision du 12-13 août 1993
35l'article 7 de la loi incriminée soumettait la
délivrance de plein droit d'une carte de séjour temporaire aux
étrangers mineurs ou qui, dans l'année qui suit leur
huitième anniversaire à la réunion de deux conditions:
d'une part, la présence de l'étranger ne doit pas
représenter une menace à l'ordre public et d'autre part,
l'étranger doit justifier d'une résidence habituelle en France
depuis l'âge de six ans.
Dans ce cadre, l'étranger irrégulier pourrait
bénéficier de ce droit s'il justifie d'une attache familiale
susceptible d'éviter l'expulsion ou l'éloignement sous
réserve des exigences liées à l'ordre public. Le juge
constitutionnel invite le législateur à apprécier les
conditions dans lesquelles les droits de la famille peuvent être
conciliés avec les impératifs d'intérêt public. Ce
qui permettra d'attribuer un titre de séjour temporaire à
certaines catégories
35.DC n°93- 1027 du 24 août 1993 JO
n°200 du 29 août 1993.
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d'étrangers en situation irrégulière sous
réserve de menace à l'ordre public. L'étranger ne doit pas
vivre en polygamie, devra être mère ou père d'un enfant
français de moins de seize ans résidant en France à la
condition qu'il subvienne effectivement à ses besoins.
Dans sa décision n°2013 - 312 QPC du 22 Mai 2013,
M.JORY ORLANDO T. (condition d'attribution d'une carte de séjour mention
«vie privée et familiale» au conjoint étranger d'un
ressortissant français), le requérant de nationalité
bolivienne ayant conclu un PACS avec un ressortissant français sollicite
la délivrance d'un titre de séjour en qualité de compagnon
d'un ressortissant français au même titre que le compagnon
marié. Il soutenait qu'en accordant pas à un étranger
lié avec un ressortissant français par un PACS les mêmes
droits à une carte de séjour temporaire que ceux accordés
à un étranger marié avec un ressortissant français,
le 4e alinéa de l'article 313-11 du CESEDA porte atteinte au droit de
mener une vie familiale normale et au principe d'égalité.
Le Conseil a estimé que les dispositions
contestées sont conformes à la constitution et qu'elles portent
sur le mariage et que le PACS ne peut pas être assimilé au
mariage. Compte tenu des objectifs d'intérêt public, le
législateur n'a pas méconnu la liberté de mariage, ni
porter une atteinte excessive au droit de mener une vie familiale normale.
Le droit de mener une vie familiale normale implique une
protection minime pour les irréguliers. Il a un caractère
prestataire. L'alinéa 10 du préambule de la constitution de 1946
énonce: la nation assure à l'individu et à la famille les
conditions nécessaires à leur développement. Il
résulte de cette affirmation que l'État doit mettre en place les
conditions nécessaires au développement de la famille. Ce qui
suppose les moyens matériels et des prestations propres à
garantir ce développement. Pour les étrangers réguliers ou
nationaux, ce droit a un caractère défensif et son exigence
résulte de l'abstention de la part de l'État. Il ne peut se
permettre de s'ingérer dans les relations familiales de
l'étranger en instituant une procédure d'éloignement que
dans une certaine limite. Ce droit ainsi reconnu est réputé mixte
en ce sens qu'il a à la fois un caractère prestataire lorsqu'il
exige une action de la part de l'État et défensif quant il fixe
une limite à l'intervention des autorités publiques. La
jouissance des droits fondamentaux n'est pas absolue, elle est
conditionnée aux exigences d'ordre public. Il convient d'observer que
les droits fondamentaux reconnus aux étrangers se bornent par leur
caractère défensif à constituer une limite à
l'intervention des autorités publiques. Cette limitation est de
surcroît marquée par la prépondérance d'un
intérêt public justifiant l'ingérence de l'État.
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