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La question prioritaire de constitutionnalité et le droit des étrangers

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par François KONGA
Université Paris VIII - Master 2 droit comparé systèmes de droit contemporains et diversité culturelle 2012
  

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PARTIE I: la stratégie juridictionnelle du Conseil d'État et de la Cour de cassation dans l'appréciation des conditions posées a

Le contrôle de la constitutionnalité10 des lois reste le monopole du Conseil constitutionnel. L'avènement de la QPC depuis la révision constitutionnelle de 2008 et sa mise en application le 01 mars 2010 ont associé la Cour de Cassation et le Conseil d'État à ce contrôle.

Ces derniers participent à l'identification des droits et libertés invocables à l'appui de la QPC. Ils apprécient si la disposition législative contestée peut faire l'objet d'une QPC en tenant compte de son applicabilité au litige que de sa déclaration préalable de conformité à la constitution. En réalisant ce pré contrôle, ils sont devenus des juges constitutionnels bien que limités par leurs fonctions de filtre. Aux termes de l'article 23-2 de la loi organique «la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie des moyens contestant la conformité d'une disposition législative d'une part, aux droits et libertés garantis par la constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France se prononcer par priorité sur la transmission de la QPC au Conseil d'État ou à la Cour de cassation»11.

Cette obligation de priorité ne vaut que lorsque le justiciable soulève devant le juge deux moyens: celui de la non-conformité à la constitution d'une disposition législative et celui de non-conformité à un traité international. Il appartient au juge de vérifier la cohérence de la disposition législative du droit interne contestée au regard de la norme de référence interne qui lui est supérieure, la constitution. Le souci du constituant dans les débats parlementaires était d'assurer le plein effet à la primauté de la constitution dans l'ordre

10 D. ROUSSEAU, le contentieux constitutionnel , 9e éd, Montchrestien Lextenso , 2010 , p.255.

11La loi organique n°2009-1523 du10 décembre 2009 relative à l'application de l'article61-1de la constitution.

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interne en faisant de la question de constitutionnalité de la loi une question prioritaire par opposition à la question préjudicielle. Le mécanisme instauré par la loi organique relative à la saisine du Conseil constitutionnel sur le fondement de l'article 61-1 de la constitution fait participer les deux juridictions suprêmes au procès constitutionnel en leur assignant une mission bien définie. Ce mécanisme original de contrôle répressif des lois et respectueux de l'organisation juridictionnelle repose sur un double filtrage juridictionnel et sur une limitation de l'objet de la question prioritaire de constitutionnalité.

S'agissant de la question de l'étranger, sujet de notre recherche, le constituant organique l'a ignoré complètement, les débats parlementaires n'évoquant jamais, l'étranger. Il est apparu dans le débat au détour d'une déduction sur le «tout justiciable».

La question de l'étranger a toujours été associée à des considérations d'ordre public. Il est le grand absent du texte constitutionnel. On peut penser que cette procédure de la QPC n'avait pas vocation à protéger les droits des étrangers à l'origine, catégorie des justiciables qui représente pourtant la majorité des contentieux administratifs derrière le contentieux fiscal. Quant au pouvoir d'appréciation des conditions de recevabilité que leur reconnaît la loi organique, on peut dire comme l'a écrit le Professeur Bertrand Mathieu, que dans son office «le Conseil d'État tend à devenir le juge de droit commun de la constitutionnalité de la loi»12 dans la mesure où l'appréciation du caractère sérieux de la question qu'il réalise suppose un véritable contrôle de constitutionnalité.

La motivation de la décision est plus étoffée lorsque le juge du filtre décide de ne pas transmettre la question au Conseil constitutionnel, l'arrêt DIAKITE13 du 16 juin 2010 dans lequel le Conseil d'État refuse de renvoyer une QPC au motif que la loi porte sur une disposition déjà contrôlée par le Conseil constitutionnel est une illustration.

Il arrive que le Conseil d'État s'approprie même les motivations et les raisonnements du Conseil constitutionnel se comportant ainsi comme juge constitutionnel.

Ce filtrage permet d'éviter l'encombrement de la juridiction constitutionnelle et des conséquences inévitables tel que:«l'allongement des instances juridictionnelles, ainsi la saisine du Conseil constitutionnel par les juges du filtre(Conseil d'État et Cour de cassation) plutôt que par les juridictions du droit commun conduit à la centralisation des demandes, à l'unification plus rapide de l'interprétation de la règle de droit au sein de l'ordre juridictionnel et ainsi épargner le Conseil constitutionnel d'être assailli de recours

12B.MATHIEU, « neuf mois de jurisprudence relative à la QPC. Un bilan»,pouvoir, n°137, 2011,p58 13C E 16juin 2010 Mme Diakité , n°340250 , publié au Recueil Lebon.

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dommageables à l'accomplissement de ses autres missions pour lesquelles un délai de jugement s'impose à lui»14.

De l'appréciation des conditions de renvoi de la question par les juridictions suprêmes au Conseil constitutionnel découle deux solutions. Si la question remplit les trois conditions cumulatives (être applicable au litige, pas avoir été déclarée conforme à la constitution dans les motifs et dispositifs sauf changement de circonstance de droit ou de fait, et revêtir un caractère sérieux ou nouveaux), elle est renvoyée au Conseil. A l'inverse, si l'une de ces conditions n'est pas remplie, la question n'est pas renvoyée.

Par changement des circonstances de droit, on entend tout changement dans la configuration juridique constituée au moment de la décision du Conseil rendue au titre d'une révision constitutionnelle ou du contrôle a priori des lois.

Une jurisprudence constitutionnelle ayant dégagé de nouveaux principes constitutionnels postérieurs à la décision du Conseil constitue un changement de circonstance de droit. Comme le principe constitutionnel de la dignité de la personne humaine depuis 1994, la liberté contractuelle en 1998 peut conduire à réexaminer toute disposition législative contrôlée avant la constitutionnalisation de ces principes.

La disposition législative elle-même dès lors qu'elle a été modifiée depuis son contrôle a priori constitue un changement de circonstance de droit justifiant réexamen. La Cour de cassation dans son arrêt du 16 avril 201015 a retenu une conception plus large de changement de circonstance de droit en admettant que l'adoption du traité de Lisbonne en 2007 s'inscrit dans la logique développée ci-haut. Le requérant soutenait que l'article 78-4 CPP autorisant le contrôle d'identité à l'intérieur d'une portion de territoire national comprise entre la frontière terrestre et une ligne tracée à 20km en deçà était contraire au principe communautaire de libre circulation constitutionnalisé par le biais de l'article 88-1 de la constitution. Le Conseil constitutionnel a déclaré l'article 78-4 conforme à la constitution dans sa décision du 5 août 1993, on attendait une déclaration d'irrecevabilité de la Cour pour ce motif mais elle a considéré que l'introduction du traité de Lisbonne a constitué un changement de circonstance de droit depuis la décision du Conseil de 1993.

Le changement de circonstance de fait renvoie, pour sa part, à des modifications importantes des données de fait indépendantes de la volonté du législateur. Elles peuvent

14P.JAN, le procès constitutionnel, LGDJ, lextenso, éd. 2010, p.98.

15Cass, QPC, 16 avril , Melki et Abdeli , n°10-40.001;GAUTIER ( M), « la question de constitutionnalité peut-elle rester prioritaire?», RFDA 2010 ,p449 et « QPC et droit communautaire.une tragédie en cinq actes »,Dr.adm 2010, chron. N°19 .

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être économiques, sociologiques, technologiques et ne pouvaient avoir été anticipées par le législateur. Cette possibilité de réexamen de la constitutionnalité de la loi accorde aux juges (ordinaires et constitutionnels) le pouvoir d'apprécier l'adéquation d'une loi à son époque et de la déclarer contraire à la constitution.

Il semble que la logique de changement de circonstance peut être considérée comme attentatoire au principe de sécurité juridique comme l'a affirmé le Professeur Dominique Rousseau. Elle permet, en effet, un réexamen permanent de la constitutionnalité des lois et reconnaît aux juges le pouvoir de décider de l'adéquation d'une loi à son époque.

Dans sa décision 2010- 14/22 QPC du 30 juillet 201016, le Conseil juge que dans sa décision du 11 Août 1993, il avait déclaré conforme à la constitution les dispositions relatives au droit commun de la garde à vue.

«Depuis 1993, certaines modifications des règles de la procédure pénale ainsi que des changements dans les conditions de sa mise en oeuvre ont conduit au recours de plus en plus fréquent à la garde à vue et modifié l'équilibre des pouvoirs et des droits fixés par le code de procédure pénale. Il conclut que ces évolutions ont contribué à banaliser le recours à la garde à vue, y compris pour les infractions mineures. Qu'elles ont renforcé l'importance de la phase d'enquête policière dans la constitution des éléments sur le fondement desquels une personne mise en cause est jugée. Ces modifications des circonstances de droit et de fait ont justifié un réexamen de la constitutionnalité»17 du régime commun de la garde à vue. Et ce réexamen a abouti à la censure de ce régime.

S'agissant du caractère sérieux ou nouveau de la question, l'objectif poursuivi par les juridictions est d'écarter les demandes fantaisistes, infondées et présentant un caractère dilatoire. Si les conditions sont remplies, la question est transmise au Conseil constitutionnel pour constater sa constitutionnalité ou non, soit qu'elle ne les remplit pas et dans ce cas précis une décision de refus de transmission de la question est prise mais motivée.

Le justiciable ne peut faire recours immédiatement, il doit attendre le jugement au fond de l'affaire et faire appel du jugement tout en annexant à cet appel au fond l'appel contre le refus de transmission de la QPC.

Dans cette hypothèse, il doit présenter dans un écrit distinct les conclusions au fond et

16Déc.n°2010.-14/22QPC du 30 juillet2010 M. Daniel W.et autres ( Garde -à vue), Recueil, p179 J O du 31 juillet 2010 p.14198.

17DC n°2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010.

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celles portant sur la QPC. En cas de rejet de la QPC, le procès continue mais en cas de transmission de la question au Conseil d'État ou à la Cour de cassation, la juridiction sursoit à statuer jusqu'à réception de la décision de la juridiction suprême saisie. Si le Conseil constitutionnel est saisi, le procès au fond est suspendu jusqu'à la fin du procès constitutionnel dont l'issue commande la reprise ou non du procès au fond.

La transmission de la QPC au Conseil constitutionnel et la reconnaissance effective des droits des étrangers dépendent de l'appréciation des conditions par les juridictions suprêmes.(chapitre I) et de la jurisprudence du Conseil au regard de ses deux contrôles(chapitre II).

CHAPITRE I: L'appréciation des conditions de transmission de la question au Conseil
constitutionnel et sa portée pour les étrangers.

Les juridictions suprêmes ont pour fonction de filtre. Elles vérifient que la QPC transmise par les juridictions inférieures remplit les conditions cumulatives fixées par la loi organique du 10 décembre 2009.Selon l'amplitude du filtre, la question peut bénéficier soit d'un renvoi devant le Conseil, soit d'un refus de transmission.

La question peut -être soulevée par toute partie au cours de toute instance et devant toute juridiction qu'elle relève du Conseil d'État ou de la Cour de Cassation. Toute question posée en dehors d'une instance ou portant sur une autre disposition que législative sera déclarée irrecevable.

Les juridictions suprêmes vont se limiter uniquement à vérifier que les dispositions litigieuses concernent les droits et libertés protégés par la constitution. Sont donc exclues en principe les questions de procédure et de compétence, les dispositions réglementaires ou conventionnelles. Il convient donc de signaler que rien n'oblige les juges de filtre à transmettre la QPC au Conseil constitutionnel. La transmission de la question dépend de l'interprétation et de l'appréciation qu'ils se font des conditions cumulatives. Dans ce cas, les juridictions suprêmes risquent de constituer un obstacle pour les justiciables car le renvoi de la question au Conseil dépend de leur bon vouloir. On pourrait se poser la question si le mécanisme de filtrage des QPC ne va pas constituer un frein à l'évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière des droits fondamentaux?

Devant les juridictions suprêmes, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Le juge du filtre doit vérifier l'argumentation spécifique de la QPC, ses

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motivations pour éviter des questions dilatoires.

La question de l'étranger et sa place dans ce nouveau dispositif juridictionnel semblent n' avoir pas intéressé le législateur organique. On aurait pensé que la QPC n'a pas pour vocation à protéger les droits de l'étranger qui, au demeurant sont ignorés par le texte constitutionnel sauf lorsqu'ils sont demandeurs d'asile. Ils sont inclus en tant que justiciables conformément à l'article 61-1 de la constitution. Ainsi, tout justiciable peut, à l'occasion d'une instance en cours soulever qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la constitution garantit.

La formulation par «tout justiciable» 18 , inclut tant les nationaux que les étrangers. L'étranger se voit reconnaître un statut de justiciable, ce qui constitue une avancée remarquable dans le procès constitutionnel. La constitution est aux mains de tous, elle est devenue une chose commune. Mais au delà des effets attendus par les justiciables, signalons comme l'a affirmé JAN(P):«que cette procédure juridictionnelle crée des liens directs entre les individus et la constitution, purge l'ordre constitutionnel des dispositions inconstitutionnelles et assure la prééminence de la constitution dans l'ordre juridique interne»19.Cette procédure de QPC permet aux citoyens de faire valoir les droits et libertés qu'ils tirent de la constitution.

La constitution par le biais de la QPC est devenue une nouvelle voie de recours pour l'étranger, il est reconnu sujet de droit (section1) dont les juridictions suprêmes participent à sa protection (section 2).

Section1 La reconnaissance de l'étranger en tant que sujet de droit.

Pour qu'un justiciable soutienne qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution, non seulement cette question ne doit être soulevée qu'à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction mais que la question posée devint remplir les conditions de recevabilité fixées par le constituant. Il doit aussi respecter les normes constitutionnelles invocables (droits et libertés constitutionnellement garantis).

Même si le texte ne le dit pas expressément, l'étranger est concerné par ce nouveau dispositif instauré depuis 2008 par le seul fait qu'il est justiciable comme les autres et doit de ce fait, bénéficier cette protection constitutionnelle. L'étranger peut comme tous les justiciables soutenir à l'occasion d'une instance qu'une disposition législative viole les

18CC, 3décembre 2009,loi organique relative à l'application de l'article61-1 de la constitution, n°2009-595. 19.P.JAN, op,cit. 2010, p 98.

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droits et libertés que la constitution garantit et demander son abrogation. De ce fait, non seulement il est justiciable(A) mais qu'il est détenteur d'un patrimoine des droits fondamentaux (B).

A. Étranger comme justiciable.

L'article 61-1 de la constitution donne au justiciable le droit de soulever une question de constitutionnalité devant le juge ordinaire à l'occasion d'un procès. Il n'accorde pas ce pouvoir aux citoyens de saisir directement le Conseil constitutionnel autrement dit la constitutionnalité d'une loi ne peut-être contestée que lors de son application contentieuse à un cas particulier. Seul le justiciable dispose de ce pouvoir, or la catégorie de justiciable est plus large que celle de citoyen parce qu'il comprend toute partie en instance, non seulement les personnes physiques de nationalité française mais également les étrangers réguliers et irréguliers, les personnes morales de droit privé ou public, les associations, les syndicats, les tiers intervenant au litige opposant deux parties. Il exclu le juge qui ne peut pas soulever cette question d'office. L'étranger peut utiliser ce pouvoir devant n'importe quelle juridiction et à n'importe quel moment de la procédure juridictionnelle en cours. La loi organique prévoit, la QPC peut être soulevée devant toute juridiction relevant du Conseil d'État ou de la Cour de cassation couvrant ainsi toute juridiction de droit commun ou spécialisée.

Sont exclus du champ de la QPC: les instances arbitrales, le tribunal de conflit, les autorités administratives indépendantes, les cours d'assises.

L'étranger peut soulever la QPC à l'encontre de toute disposition législative sans restriction temporelle, matérielle ou formelle et quelque soit sa date d'adoption, son contenu. Toute disposition législative peut faire l'objet d'une QPC par tout justiciable étranger régulier ou non, il s'agit de l'inclusion de l'étranger dans la procédure de la QPC.

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