CONCLUSION
La protection des droits des étrangers par le biais de
la QPC devient une réalité. La spécificité et les
enjeux présentés par le droit des étrangers conduisent le
juge constitutionnel à vouloir pérenniser les choix du
législateur lorsqu'il est saisi de QPC relative aux droits des
étrangers. Ceci pourra s'expliquer par le fait, que le juge
constitutionnel cherche à faire prévaloir l'intérêt
général sur les intérêts en cause dans le litige.
Cette tendance permet de s'interroger sur l'efficacité du contrôle
a posteriori pour les parties en instance et notamment les étrangers
dans la mesure où leur requête a peu de chances d'aboutir.
En matière de protection sociale par exemple, les choix
du législateur visent à adapter le système de protection
aux conditions économiques tout en répondant aux besoins sociaux
croissants. La prévalence de l'intérêt
général sur l'intérêt des parties en instance
conduit le législateur à prendre des mesures pour encadrer les
conditions d'accès aux prestations sociales. Ceci se traduit par la mise
en place de plafonds des revenus et par le durcissement des conditions
d'ouverture des droits à prestations pour les étrangers
(durée du séjour de 5 ans par exemple, la
régularité et la stabilité du séjour etc.).
En effet, l'appréciation des décisions QPC
rendues par le Conseil constitutionnel en matière de protection sociale
permet de constater que les sages semblent réticents à
reconnaître l'inconstitutionnalité des dispositions
législatives mises en cause par les requérants
(étrangers).Comment expliquer ce ressenti? Existerait-il des
caractéristiques intrinsèques à la protection sociale qui
justifieraient cette tendance? Quel est l'impact pour les requérants?
La mise en oeuvre des mesures d'encadrement a conduit les
justiciables à s'interroger et à contester leur conformité
au principe constitutionnel d'égalité. Ainsi, les
décisions de non conformité à la constitution dans le
cadre de notre travail n'ont été déclarées sur le
fondement du principe d'égalité. Il s'agit
décristallisation des pensions, allocation de reconnaissance, carte du
combattant, droit de prélèvement dans la succession d'un
héritier français, élection au Conseil d'administration de
l'AFP, GAV, et sur la détention provisoire(voir tableau en annexe).Cette
liste très limitative des QPC favorables aux étrangers a pu
bénéficier des décisions de non conformité à
la constitution par rapport aux
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multiples décisions de non renvoi et de
conformité prononcées par le Conseil et les juridictions
suprêmes. Les juges de la rue Montpensier utilisent souvent
l'intérêt général comme condition de
constitutionnalité permettant les restrictions législatives
à l'égalité de traitement. Ceci entraîne le
renforcement des objectifs du législateur et la diminution de la
protection des principes constitutionnels. Cependant, le Conseil
constitutionnel apprécie les objectifs en cause à travers aussi
le principe de proportionnalité. La retenue du Conseil constitutionnel
pourrait s'expliquer aussi par la nature de ses pouvoirs qui ne sont pas
identiques à ceux du parlement. Ceci ne le permettant pas de substituer
son appréciation à celle du législateur. A titre
d'illustration, dans sa décision du 17 juin 2011 n° 2011-137 QPC,
le Conseil constitutionnel a validé les conditions de
l'antériorité de la résidence pour l'attribution du RSA au
regard du principe d'égalité. Il a estimé que la
différence de traitement établie est en lien avec la
finalité de la loi qui est l'insertion professionnelle. Et a
affirmé que la stabilité du séjour est une condition
nécessaire à cette finalité, et qu'il n'est pas
disproportionné. Dans l'analyse du Conseil constitutionnel,
l'objectivité de la loi et l'intérêt général
priment sur la subjectivité des situations individuelles. Le bilan du
contrôle de constitutionnalité des lois en matière de QPC
sur des questions de protection sociale relatives aux étrangers est donc
à nuancer pour les parties en instance et pour tous les justiciables.
Il convient de signaler que les dispositions censurées
par le Conseil sont dépourvues de tout lien avec les questions
d'entrée et de séjour car chaque fois qu'un lien même
indirect avec la maîtrise des flux migratoires, le Conseil
constitutionnel écarte le grief d'inconstitutionnalité notamment
les décisions relatives à l'acquisition de la nationalité
française: acquisition de la nationalité par le mariage avec
présomption de fraude, les effets indirects sur la nationalité de
la réforme de la filiation et sur le délit de séjour
irrégulier etc.
Le Conseil constitutionnel n'a pas les moyens
d'apprécier a priori les effets de la législation en
matière de protection sociale. Le législateur dispose d'une
grande liberté pour choisir les moyens les plus adaptés pour
atteindre l'objectif fixé. Or le manque d'effectivité de la
législation portant atteinte aux droits des justiciables apparaît
au moment de son application. Le contrôle a posteriori offrirait donc une
opportunité de corriger ces atteintes en prononçant dans certains
cas l'abrogation des textes inconstitutionnels. S'agissant des droits
-libertés, l'obsession sécuritaire dont est victime les droits
des étrangers détermine les conditions restrictives
imposées aux étrangers dans l'exercice de ces derniers.
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La prépondérance de l'ordre public contribue
à limiter la jouissance effective de ces droits bien que
constitutionnellement garantis. Ces conditions restrictives bien que soumises
au contrôle du juge administratif qui en apprécient la
légalité traduit la vulnérabilité des droits des
étrangers. Ces droits sont reconnus sous condition, ils n'ont pas de
caractère absolu. Cette réalité va se traduire par de
refus de délivrance de titre de séjour, de refus de visa , des
mesures d'expulsion, de refus de protection subsidiaire, de retrait de titre de
séjour ou de refus de renouvellement de celui-ci. Le statut
précaire des étrangers découle aussi de la
réduction toujours renouvelée par des dispositifs
législatifs contraignant sa sphère de liberté.
L'étranger est devenu une personne harcelée. La
suspicion permanente de l'étranger fraudeur, la pénalisation de
l'irrégularité du séjour traduit la complexité de
la situation de l'étranger pour qui, divers visages lui sont
attribués: étranger indésirable, un besoin, un être
différent de nous, un profiteur. Nouvelle cible de politique
d'immigration, la maltraitance que l'étranger subit s'effectue par le
biais de contrôle des conditions de résidence et
régularité de séjour pour l'accès aux droits
sociaux. Cependant, la protection des droits fondamentaux des étrangers
ne relève pas de la compétence exclusive du Conseil, celui-ci est
influencé par le droit européen même s'il ne se
réfère pas de manière expresse dans ses
décisions.
Certaines décisions rendues par le Conseil convergent
avec la jurisprudence de la CEDH notamment celle sur la GAV (droits au
procès équitable) et celle sur la décristallisation des
pensions des anciens combattants (l'utilisation combinée de l'article 14
et 8 de la CEDH).
En revanche, certaines décisions divergent notamment,
il en va ainsi des décisions relatives à la pénalisation
de l'irrégularité du séjour par le juge interne alors que
la CJUE estime que ce délit d'irrégularité est contraire
à la directive retour (Décision de la CJUE du 6
décembre2011,affaire C-329/11, M. Alexandre ACHUGHBABIAN).Le
Conseil avait validé la constitutionnalité des articles 9 et 9-1
de la loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et l'habitat des gens
des voyages en ce sens que la différence de traitement est objective de
la situation tenant à leur« mode de vie
itinérant».Il semble que la CEDH qui a consacré sur le
fondement de l'article 8«le droit au respect du mode de vie
traditionnel des tziganes» ne partage pas pleinement cette analyse
avec le Conseil.
Dans le cadre de notre recherche, il a été
constaté que la QPC s'inscrit dans la logique de la CEDH en ce qui
concerne la conformité à l'article 6§1 (droits au
procès équitable) dont le Conseil s'inspire sans l'affirmer
expressément. Le risque de condamnation de la France
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pour violation de ses obligations en matière des droits
fondamentaux est permanent. Toutes les juridictions françaises sont
sensibilisées et s'y conforment déjà. Dans le cadre de
contrôle a priori, le Conseil s'est inspiré de la CEDH pour faire
émerger des droits constitutionnels comme le respect à la vie
privée, la liberté du mariage, le principe de la dignité
de la personne humaine au profit des étrangers. Qu'il s'agisse des
décisions relatives à la garde à vue, à la
motivation des cours d'assises, on voit que l'influence de la jurisprudence de
la CEDH a été déterminante. Ceci permet d'assurer une
proximité des droits et libertés constitutionnels et
conventionnels et par conséquent rapprocher leur jurisprudence pour le
bien de tous les justiciables.
Cependant, il n'existe pas à ce jour d'obligation qui
incomberait à l'État français à l'égard de
l'étranger pour avoir laissé perdurer une disposition
inconstitutionnelle dans l'ordre juridique interne. L'efficacité de la
procédure de la QPC pour la protection des droits des étrangers
reste à relativiser au regard de la prépondérance de
l'intérêt général tel que le Conseil constitutionnel
ne cesse de ménager dans ses décisions.
La QPC n'a pas apporté ni plus, ni moins des droits aux
étrangers que le reste des justiciables. Elle a certes, renforcé
certains droits sans créer des nouveaux au profit des étrangers.
Elle n'a toute fois pas entraîné de bouleversements, mais a permis
un renforcement de l'État de droit, de la sécurité
juridique et enrichi notre démocratie, au plus grand
bénéfice des justiciables.
Si la QPC constitue sans conteste, une avancée pour un
État de droit, elle demeure une procédure perfectible dans le
sens où certaines décisions demeurent discutables surtout lorsque
les Cours suprêmes évoquent l'absence de caractère
sérieux de la question. Elles interprètent de manière
restrictive les conditions prévues par la loi organique. Le Conseil
constitutionnel devenant une juridiction, on pourrait aussi se poser la
question de la composition de ses membres qui sont à ce jour que
politiques en y intégrant une partie de la doctrine et des juges. Le
refus de transmission d'une QPC n'est pas incompatible avec le droit au
procès équitable sauf à priver le justiciable de toute
voie de recours possible.
Rappelons que les avocats interrogés sur la QPC dans le
cadre de notre recherche,(voir questionnaire en annexe) ont
déclaré que ce mécanisme constitue un succès
indéniable pour tout justiciable, mais ont émis de réserve
quant à son efficacité car la procédure est encore jeune
pour tirer des conclusions.
En revanche, ils admettent tous (5 avocats ayant
répondu à notre questionnaire) les difficultés qu'ils
éprouvent pour prospérer la QPC relative aux étrangers en
situation
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irrégulière frappés des mesures d'expulsion
du fait de l'absence d'effets suspensifs.
Eu égard aux intérêts en présence
et aux résultats des différentes décisions QPC rendues en
la matière, le dispositif ne montre que peu d'efficacité pour les
requérants étrangers. Par conséquent, la QPC qui
était attendue comme une nouvelle stratégie judiciaire, semble
trop peu opportune pour les parties à l'instance et de ce fait, ne
constitue pas en soi une révolution dans le paysage juridictionnel
français. Les années à venir nous convaincront de
l'efficacité réelle de ce nouveau mécanisme car trois ans
demeurent peu pour juger et tirer des conclusions définitives. Une chose
demeure vraie, une nouvelle procédure est née, il nous appartient
de nous en servir pour le bien de nous tous: défendre nos droits et
libertés garantis par la constitution. On peut saluer la création
de ce nouvel outil de protection dans lequel les avocats ont un rôle
prépondérant à jouer. Ils ont à assumer pleinement
un rôle d'instigateur du droit, de protection des droits et
libertés. Ce sont eux qui sont à l'origine des QPC, de
l'avancée et de l'évolution des droits et des garanties
conférées aux justiciables. Sans pouvoir se tromper, la QPC va
pouvoir aussi apporter un certain renouveau au métier d'avocat.
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