CHAPITRE II: l'influence des engagements internationaux
et européens dans la protection
des droits des étrangers.
La QPC a transporté le Conseil constitutionnel dans
l'espace de l'application de la loi et dans le temps du procès
82 .Dans ce champ, la pression des droits fondamentaux
européens issus de la CEDH et du droit de l'union européenne est
plus forte que dans l'exercice du contrôle a priori de
constitutionnalité de la loi. La QPC est marquée par une
ambivalence: d'abord par son caractère prioritaire par rapport au
contrôle de conventionalité par lequel le législateur
organique rappelle la place de la constitution au
81Ibid, 12-13 août 1993.
82.A.JAUREGUIBERY,«influence des droits
fondamentaux européens sur le contrôle a posteriori
»,RFDA 2013, p10.
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sommet de l'ordre juridique interne, puis le caractère
a posteriori du contrôle qui conduit à l'intensification les
interactions entre les droits fondamentaux constitutionnels et
européens. L'influence du droit européen et international est
déterminant dans la protection des droits des étrangers, la
convergence de ces droits s'impose en vu d'une protection efficace des droits
des étrangers(section 1) et dont est tributaire la
protection constitutionnelle(section2).
Section 1: La convergence entre les droits
constitutionnels et les droits d'origine européenne
et internationale.
La contrainte qui pèse sur le Conseil constitutionnel
tient à la cohérence des droits fondamentaux. Depuis longtemps,
le Conseil était la seule juridiction en Europe à exercer le
contrôle a priori de surcroît sur saisine d'autorités
politiques. Il était de ce fait un gardien des droits fondamentaux mais
non le gardien. L'avènement de la QPC marque une étape importante
parce qu'elle a contraint la France à repenser ses liens avec les droits
européens qu'il s'agisse du droit de l'union et surtout celui de la
CEDH83.
La QPC a renforcé la mission du Conseil de gardien des
droits fondamentaux(B) mais lui confère dans le
contexte européen la responsabilité de la cohérence des
droits fondamentaux dans l'ordre juridique français, ce qui passe par
l'intégration des arrêts de la CEDH dans ses
décisions(A).
A. L'intégration des arrêts de la CEDH dans
les décisions de la QPC.
A l'heure actuelle, aucune décision rendue par le
Conseil constitutionnel dans le cadre de la QPC n'a fait
référence de manière expresse à la CEDH, pas
même à titre confortatif. Depuis l'entrée en vigueur de la
QPC, le Conseil constitutionnel est devenu une juridiction constitutionnelle au
même titre que les autres Cours constitutionnelles européennes.
Elles sont soumises aux règles procédurales de la CEDH. Il en
résulte donc une standardisation du procès constitutionnel.
La règle de l'épuisement des voies de recours
internes n'a pas encore concerné le procès constitutionnel. En
l'état actuel de la jurisprudence européenne, le requérant
français n'est pas tenu de poser la QPC avant de saisir la Cour de
Strasbourg. S'agissant de la soumission de la QPC aux exigences du
procès équitable, il est acquis que l'ensemble des juridictions
françaises concernées par la procédure de la QPC sont
tenues de
83.A.LEVADE,«le Conseil constitutionnel aux
prises avec le droit communautaire», RDP 2004, p.909.
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respecter l'article 6paragraphe1de la CEDH84. Ce
qui constitue en soi une conséquence procédurale de la QPC
découlant des obligations conventionnelles de la France.
Cet article a pour but de protéger les droits des
individus. A ce jour, la QPC s'inscrit dans le cadre de la jurisprudence
Ruiz-Mateos85. Les règles de procès équitable
s'appliquent sans hésitation devant non seulement le Conseil
constitutionnel mais aussi devant le juge se prononçant sur le
bien-fondé de la question. L'inclusion du procès constitutionnel
dans le champ de l'article 6§1 de la CEDH participe d'avantage de la
légitimation de la justice que de sa banalisation. L'alignement du
procès constitutionnel français sur les standards
procéduraux de la CEDH apparaît une évidence mais
l'intégration des arrêts de la CEDH ne sera systématique
qu'en cas de condamnation de la France. Depuis l'avènement de la QPC,
une nouvelle incidence s'impose à la juridiction constitutionnelle,
celle de l'harmonisation de plus en plus forte de la jurisprudence
constitutionnelle et conventionnelle en matière des libertés.
Elle est marquée sur le plan institutionnel par la création de la
QPC et sur le plan matériel par son ouverture progressive sur le droit
européen.
Le Conseil constitutionnel se retrouve à l'intersection
de deux ordres juridiques: français et européen. D'une part, il
se devait d'assurer l'ouverture du droit national sur le droit international
afin de permettre l'adaptation du texte constitutionnel aux exigences
liées à l'appartenance de la France à un ordre
supranational. Et d'autre part, il doit veiller à
l'intégrité de la norme fondamentale dont il est le garant. Le
Conseil a su se familiariser avec le droit européen soit au titre du
contrôle de la conformité constitutionnelle des traités ou
du contrôle de la constitutionnalité des lois de transpositions
des directives86.
En revanche, l'ouverture du Conseil au droit de la CEDH
apparaît embryonnaire. Il demeure à ce jour l'une des rares Cours
en Europe à ne jamais se référer expressément
à la CEDH dans les motifs de ses décisions. Cela n'exclue pas des
similitudes entre les deux jurisprudences tant dans les techniques
d'interprétation que de contrôle, que dans l'attachement à
des valeurs communes. On peut difficilement contester la paternité
européenne du droit à la dignité humaine
dégagée dans sa décision du 27 juillet 199487.
La place résiduelle laissée à la CEDH semble s'expliquer
selon Professeur (D)
84.O. DUTHEILLET de LAMOTHE,«Conseil
constitutionnel et la convention européenne pour la sauvegarde des
droits de l'homme et libertés fondamentales: un dialogue sans
parole», mélanges en l'honneur du Président Bruno
Genevois, Paris, Dalloz, 2008 p. 403.
85.CEDH, arrêt du 23 JUIN 1993, Ruiz Mateos c.
Espagne( série A-262°)
86D.SZYMCZAK,« Convention européenne
des droits de l'homme et juge constitutionnel national», Bruxelles,
Bruyant 2007,p.432.
87.Conseil cons., décision n°94-343 DC du
27juillet 1994:« la loi sur la bioéthique »(Rec.100).
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SZYMCZAK, «par la volonté du Conseil
de préserver la «pureté» de ses normes de
référence et de se préserver de la concurrence
exercée par la Cour de Strasbourg en matière de protection des
droits de l'homme»88.
L'intégration des exigences des droits européens
dans le cadre spécifique du droit français fait
transparaître cette volonté du Conseil. Il est victime de la
cohérence réalisée par la réception
constitutionnelle du droit fondamental européen considéré
comme équivalent et complémentaire.89
L'exemple de la GAV montre que la jurisprudence de la CEDH
constitue un cadre dans lequel le droit constitutionnel va évoluer. Dans
sa décision GAV I, le Conseil a reconnu au gardé à vue le
droit de garder le silence et d'être assisté d'un avocat
dès le début des interrogatoires. Or la Cour de Strasbourg avait
jugé que ces deux droits découlaient de l'exigence d'un droit au
procès équitable. Dans le prolongement de cette décision
sur la GAV, le Conseil a considéré que le procureur de la
république auquel la personne est déférée à
l'issue de sa GAV sans la présence d'un avocat ne saurait être
autorisé à consigner les déclarations de celui-ci sur
les faits qui font l'objet de poursuite. Le Conseil peut
faire montre de divergence par rapport au droit européen relatif aux
droits des étrangers.
C'est en référence aux visas de la directive
«retour» et des arrêts EL DRIDI et ACHUGHBABIAN de la CJUE que
la chambre criminelle de la Cour de cassation a émis un avis
d'illégalité de la GAV. On peut souhaiter que l'introduction et
le succès de la QPC permettent d'harmoniser la jurisprudence
constitutionnelle et celle de la Cour de Strasbourg. Comme le souligne Olivier
DUTHEILLET de LAMOTHE «le Conseil constitutionnel, s'il veut
garantir l'unité de l'ordre juridique français et la
sécurité juridique qui en découle pour les justiciables,
est tenu de s'inspirer étroitement de la jurisprudence de la Cour de
Strasbourg comme celle de la Cour de justice de l'union
européenne»90. Depuis la loi
n°2011-392 du 14 avril 2011, la GAV n'est encourue que pour un crime ou un
délit puni d'emprisonnement. Ainsi, la GAV utilisée pour
contrôler la situation migratoire d'une personne interpellée est
devenue illégale.
Le Conseil est soucieux d'être perçu avant tout
comme protecteur des droits fondamentaux des requérants. Si la CEDH est
sensible à l'effectivité du recours, selon
88D.SZYMCZAK, op.cit.,p .432.
89.R.TINIERE,« la question prioritaire de
constitutionnalité et le droit européen des droits de l'homme
,entre équivalence et complémentarité», RFDA,
2012,p. 621.
90.O.DUTHEILLET DE LAMOTHE,« Conseil
constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'homme: un dialogue
sans parole ,mélanges en l'honneur du Président Bruno
GENEVOIS»,Panis, Dalloz, 2008,p.403.
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Philippe BLACHER «le Conseil constitutionnel
est sensible à l'effet utile de la QPC pour le justiciable qui l'a
posée»91.
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