Section 2: Des garanties constitutionnelles des
étrangers bien encadrées.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel a progressivement
renforcé la protection des droits des étrangers en leur
appliquant le principe d'égalité. En se montrant soucieux de
garantir l'effectivité des droits constitutionnels, elle a rendu
possible l'extension des droits sociaux aux étrangers. Et assurer la
garantie des droits fondamentaux reconnus à ces derniers en abrogeant
des dispositions législatives déjà promulguées dont
la lettre viole des droits et garanties d'ordre constitutionnel. Si ce principe
constitutionnel est affirmé comme garantie pour les étrangers
(A), il demeure soumis aux exigences de l'intérêt
général(B).
A. L'application du principe constitutionnel
d'égalité aux étrangers.
Le principe d'égalité constitue une sorte de
bouclier autour duquel gravite d'autres principes constitutionnels. Sa
consécration pour les étrangers a été tardive. La
formule du professeur JESTAZ selon laquelle« en France,
l'étranger jouit de tous les droits qui ne lui sont pas
spécialement refusés» 71 illustre cette conception. La
décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1990 par laquelle le
juge déclare: «l'exclusion des étrangers résidant
régulièrement en France du bénéfice de l'allocation
vieillesse méconnaît le principe constitutionnel
d'égalité» 72 demeure fondatrice en matière des
droits des étrangers. Elle ouvre accès des étrangers aux
prestations d'aide sociale.
Depuis cette décision, l'assistance sociale est devenue
«un droit de l'homme» comme l'a écrit Mme Schnapper
73.Elle fait de l'égalité un principe et de
l'inégalité une dérogation que le législateur devra
justifier sous peine d'une annulation contentieuse. Dans les
71PH. JESTAZ,«Le principe
d'égalité des personnes en droit privé»,in«
La personne humaine, sujet de droits», 4e journées
Savatier, PUF, coll.«Faculté de droit et des sciences sociales
de Poitiers »,1994, p.168. 72Cons .const.n °89-269 DC
du 22 janvier 1990.
73D.SCHNAPPER,«L'assistance est un droit de
l'homme», pouvoirs locaux, numéro14,1992, p.18.
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domaines des droits des étrangers, le Conseil
constitutionnel a rendu plusieurs décisions favorables aux
étrangers. Il a pu au nom de ce principe censurer certaines dispositions
législatives jugées discriminatoires. La jurisprudence du Conseil
constitutionnel sur le principe d'égalité reste constante, le
Conseil juge que «le principe d'égalité ne
s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon
différente des situations différentes, ni à ce qu'il
déroge à l'égalité pour des raisons
d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre
cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport
direct avec l'objet de la loi qui
l'établit»74.Il apparaît que la
vérification que le Conseil constitutionnel va opérer suivant
deux étapes: il y a d'abord le constat d'une différence de
situation ou d'intérêt général puis le
contrôle de l'adéquation entre la différence de traitement
établie et la finalité poursuivie par le législateur,
à savoir l'objet de la loi.
Cette interprétation est conforme aux exigences de
l'article 14 de la CEDH qui impose que la jouissance des droits et
libertés protégés soit assurée sans distinction
aucune. Sur ce fondement, les étrangers peuvent
contester la méconnaissance du principe d'égalité et
de non discrimination même dans l'hypothèse où le droit en
cause ne les mentionne comme destinataires d'un droit. S'agissant de cette
jurisprudence, plusieurs dispositions discriminatoires entre nationaux et
étrangers ont été abrogées par le Conseil dans le
cadre de la QPC.
Dans sa première décision 2010-1 du 28 mai 2010
QPC- consorts L.(cristallisation des pensions), le Conseil a abrogé
trois dispositions législatives relatives à la
décristallisation applicables aux ressortissants des anciennes colonies
devenus des étrangers en raison de l'accession de celles-ci à
l'indépendance et que les lois fixant les modalités permettant
à corriger les conséquences inégalitaires de la
cristallisation des anciens combattants n'étaient pas conformes au
principe d'égalité. Le Conseil a estimé que l'objet de la
loi examinée est de garantir à toutes les personnes qui ont servi
la France« des conditions de vie en rapport avec la dignité des
fonctions exercées au service de
l'État».75Une différence de traitement selon
la nationalité ne pouvait se justifier.
Dans sa décision n° 2010-93 QPC du 04
février 2011 (comité HARKIS et vérité) relative
à l'allocation de reconnaissance. En l'espèce, les
requérants soutenaient que les dispositions des lois qui imposaient des
conditions de résidence et de nationalité pour l'octroi des
allocations et rentes portent atteinte au principe constitutionnel
d'égalité. Le Conseil juge que le critère de
résidence est justifié mais pas celui de nationalité et
déclare
74.Décision n°97- 388 DC du 20 mars 1997,
loi créant les plans d'épargne retraite, cons.27.
75.Décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010, consorts
L.(cristallisation des pensions), cons.9.
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contraire à la constitution celles des dispositions
déferrées qui imposaient ce critère de
nationalité76.
Le Conseil a censuré dans sa décision
n°2010-18 QPC du 23 juillet 2010, M. Lahcène A.(carte du
combattant), l'exigence de la nationalité et de domiciliation
posée par le troisième alinéa de l'article 253 bis du code
des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre pour
l'octroi de la carte de combattant. La différence de traitement qui en
résulte entre nationaux et étrangers était
injustifiée au regard de l'objet de la loi qui consiste à la
reconnaissance de la Nation77.
Le Conseil a jugé récemment dans sa
décision n° 2011-128 QPC du 6 mai 2011 Syndicat SUD AFP(Conseil
d'administration de l'agence France-Presse), le requérant soutenait que
le fait de réserver aux journalistes et aux agents des autres
catégories du personnel de nationalité Française le droit
d'élire leurs représentants au Conseil d'administration de la
l'agence France-Presse en excluant d'autres nationalités
méconnaît le principe d'égalité et la participation
à la détermination collective des conditions de travail ainsi
qu'à la gestion des entreprises garantie par le huitième
alinéa du préambule de 1946.Le Conseil a estimé que
puisque les élections prévues pour la désignation des
représentants du personnel au Conseil d'administration de l'agence
France-Presse ont pour objet de mettre en oeuvre le principe de participation,
«le législateur ne pouvait, sans méconnaître le
principe d'égalité, instituer une différence de traitement
entre les personnels de l'agence selon qu'ils sont ou non de nationalité
française» 78.Ici sont déclarés contraire
à la constitution, le mot« nationalité
française» figurant dans le sixième et septième
alinéas de l'article 7 de la loi du 10 janvier 1957 portant statut de
l'AFP.
Dans sa décision n°2011- 159 QPC du 15 août
2011 Mme Elke B. et autres.(Droit de prélèvement dans la
succession d'un héritier français), la QPC posée est
relative à l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819 qui vise à
protéger les héritiers français des effets
discriminatoires à leur égard d'une loi successorale
étrangère. Il institue un droit de prélèvement
permettant à tout français de réclamer sur les biens
situés en France la part que lui octroierait la loi française et
dont il a été privé par application de la loi
étrangère. Les requérantes soutenaient que cette
disposition méconnaissait le principe d'égalité. Le
Conseil constitutionnel juge qu'en réservant le droit de
prélèvement sur la succession au seul héritier
français, la disposition établit une différence de
traitement entre les héritiers venant également à la
succession d'après la loi française et qui ne sont pas
privilégiés par
76.Décision n°2010-93 QPC du 04
février 2011 comité HARKIS et vérité .( allocation
de reconnaissance)
77.Décision n°2010-18 QPC du 23 juillet
2010, M. Lahcène A.( carte du combattant).
78Décision n 2011-128 du 6 mai 2011, syndicat
SUD AFP( Conseil d'administration de l'Agence France-Presse, cons.5)
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la loi étrangère. Cette différence de
traitement n'est pas en rapport direct avec l'objet de la loi qui tend,
notamment à protéger la réserve
héréditaire.79
Dans sa décision 2011-123 QPC du 29 avril 2011,
M.MOHAMED T(Allocation adulte handicapé), le requérant soutenait
que la condition d'inactivité posée au 2e de l'article L. 821-2
du code de sécurité sociale privait les personnes
handicapées en cause les moyens convenables d'existence en
méconnaissant le onzième alinéa du préambule de la
constitution de 1946 qui pose le principe de la solidarité nationale et
le principe constitutionnel d'égalité. En sanctionnant les
personnes handicapées qui ont occupé un emploi à celles
qui n'en ont pas occupé sans que la différence de traitement qui
en résulte n'apparaisse en rapport direct avec l'objet de la loi qui
l'établit. Mais, le juge de la loi a estimé que la
différence de traitement qui résulte des situations
différentes était en rapport direct avec l'objet de la loi qui
est de réserver l'allocation aux personnes qui ne sont pas en
capacité de subvenir à leurs besoins essentiels par la perception
des revenus tirés de l'exercice d'une activité
professionnelle.
Les droits reconnus aux étrangers peuvent être
dans leur exercice limités par les exigences d'ordre public. La
prépondérance de l'intérêt général
rend les droits des étrangers vulnérables en ce sens qu'ils
restreignent l'exercice effectif de ces droits. Pour éviter tout
arbitraire, les mesures restrictives de ces droits sont sous le contrôle
du juge administratif. Ces droits étant relatifs et conditionnels.
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