4. La gestion belge du Congo et la participation
congolaise
Hélène d'ALMEIDA écrit : «
Malgré les différences des conceptions inhérentes
à chaque métropole, la participation des africains aux prises de
décision
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était pratiquement nulle. Ils pouvaient tout au
plus avoir un rôle consultatif limité dans les instances locales
par l'intermédiaire de personnalités nommées, ce qui
n'était même pas le cas dans les colonies allemandes, belges et
portugaises »28.
La participation du peuple à la gestion de la chose
publique garantit ses droits et libertés. Cette participation est
considérée comme étant une garantie de l'Etat de droit et
que les individus sont libres, autonomes et égaux et ne peuvent que
s'auto-administrer.
Dans le Congo belge comme dans l'EIC, l'administration ne se
déroule qu'entre blancs, bien plus de même origine. La
participation congolaise y est faible. La Charte coloniale, en son chapitre
trois, consacré à l'organisation du pouvoir, ne fait mention
d'aucune structure indigène de participation à la gestion de la
chose publique. Au lieu même de laisser une place administrative aux
autorités autochtones, la Charte institue un Gouverneur
Général et un vice-gouverneur général ; et ceux-ci
ne doivent être que des blancs ou des belges d'origine. Pour nous
soutenir, l'art. 21 de la Charte dispose : « Le roi est
représenté dans la colonie par un Gouverneur
général, assisté d'un ou plusieurs vice-gouverneurs
généraux ». L'al. 2 de ce même article ajoute :
« Sauf les personnes qui ont administré en l'une ou l'autre de
ces qualités le territoire de l'EIC, nul ne peut être nommé
aux fonctions de gouverneur général ou de vice-gouverneur
général s'il n'est belge de naissance ou par grande
naturalisation ». L'art. 22 al. 2 continue en affirmant : «
Le Gouverneur Général est, dans les territoires
constitués par le Roi en vice-gouvernement général, le
vice-gouverneur général exercent par voie d'ordonnance le pouvoir
exécutif que le roi leur délègue ».
Les autochtones qui participent à la gestion de la
chose publique n'y sont qu'au service de la métropole. Ce
qui n'est pas de pratique dans les colonies
françaises parce que la France a pris comme pratique
d'associer les autochtones à la gestion de la chose publique tout en
leur reconnaissant certains droits politiques. Cette pratique est
appelée « administration directe ».
28 H. d'ALMEIDA-Topor, L'Afrique du
XXè siècle, éd. Armand Colin, Paris, 1993,
p. 28.
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Les belges font usage de la politique de l'administration
indirecte qui est officiellement instaurée par le décret du 15
avril 1926. Elle consiste à laisser les indigènes s'organiser
dans leurs institutions mais ne doivent pas participer à la vie
politique du pays. Pour dire, la citoyenneté n'est pas reconnue aux
indigènes dans une telle administration. Cette politique entretient la
ségrégation entre populations européennes et africaines
et, partant, elle évite au maximum la multiplication des congolais
acculturés et limite donc l'instruction au strict minimum.
L'administration belge a réussi à
élaborer une quarantaine de textes législatifs pour appuyer
l'option de la ségrégation, notamment l'ordonnance du 8 janvier
1918 interdisant aux Noirs de circuler dans les circonscriptions urbaines et
dans certaines agglomérations européennes entre 21 heures 30 et 4
heures ; le décret du 16 juillet 1918 imposant la séparation des
races dans les villes ; les décrets et les ordonnances de 1919-1920
prévoyant la constitution d'un corps de volontaires européens et
le renforcement des mesures préventives concernant l'ordre public ; le
décret du 6 août 1922 alourdissant les peines destinées
à réprimer les infractions aux règlements de police ;
l'ordonnance du 11 février 1926 visant les associations
indigènes, etc.
En effet, les affres et les conséquences
fâcheuses de la colonisation placeront le régime belge au rang des
régimes les plus sanguinaires que l'histoire nationale ait pu
enregistrer : les corvées, les mutilations corporelles de toutes sortes,
l'exploitation économique et l'embrigadement idéologique
instaurés par ce régime jettent ainsi, à titre de bilan,
une épaisse nuée d'ombre dans toute la politique
sociale coloniale belge, laquelle ne permet pas d'évoquer la question
des droits de l'homme pendant cette période29.
La Charte coloniale prévoit l'institution d'une «
commission permanente de la protection des indigènes et de
l'amélioration de leurs conditions morales et matérielles ».
Elle place singulièrement la question générale des droits
de l'homme sous l'empire entier de la Constitution belge de 1830. Les al. 4 et
5 de l'art. 2 de la
29 Cf. NDAYWEL-è-NZIEM, Op ; Cit., p.
240.
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Charte renvoient à la compétence de la loi la
réglementation des droits réels et la liberté des
indigènes, loi qui n'est intervenue que le 17 juin 1960, treize jours
avant l'accession du pays à l'indépendance. Cet article 2 dispose
: « Tous les habitants de la colonie jouissent des droits reconnus par
les art. 7 al. 1er et 2, 8 à 15, 16 al. 1er, 17
al. 1er, 21, 22 et 24 de la Constitution Belge ». L'al. 5
de cette même disposition ajoute : « Des lois règleront,
à bref délai, en ce qui concerne les indigènes les droits
réels et la liberté individuelle ».
L'on comprendrait peut-être pourquoi la Charte coloniale
de 1908 n'a pas fait beaucoup allusion aux questions liées aux droits de
l'homme. Lors de son élaboration et de sa promulgation, il n'existait
pas d'instruments internationaux protégeant les droits de l'homme ; les
chartes de la Société des Nations (SDN), de l'Organisation des
Nations Unies (ONU) et la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme
(DUDH) n'avaient pas encore vu le jour, excepté la Déclaration
française des droits de l'homme et des peuples (1789) qui est un texte
national.
En 1960, tous ces instruments existent déjà et
la Belgique serait membre de la SDN puis de l'ONU et a
ratifié la DUDH. C'est donc devant ces impératifs de l'heure
qu'elle va prendre l'initiative de proclamer la loi fondamentale sur les
libertés publiques, et, sous pression, octroyer l'indépendance au
Congo (RDC).
Nous venons de fustiger les antivaleurs de la période
coloniale, lesquelles ne peuvent faire éclater un Etat de droit. La RDC
est à son cinquantième anniversaire depuis qu'elle est
indépendante. Il est important de voir si le pays est devenu un Etat de
droit à partir de son indépendance.
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