Section II : LA COLONIE BELGE ET LA CHARTE
COLONIALE
Avec la charte coloniale, un texte à caractère
constitutionnel dans la colonie belge, il y a lieu de dire, avant de lire les
différentes dispositions de cette dernière, qu'on est
en marge d'un Etat de droit. Le titre « charte coloniale »
en témoigne suffisamment. Contenant six chapitres dont le
deuxième consacre les droits n'ayant que cinq articles en son sein, ce
texte paraît plus tributaire de la ségrégation que de
développement comme le prétendaient les belges. Par le
fait de son intitulé, le second
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Etat de droit dans l'histoire constitutionnelle de la R.D.C. Par
: ABDOUL KARIM KAPITENE
chapitre de la Charte est porteur de l'inégalité
entre les hommes se trouvant dans la colonie. En effet, ce chapitre porte le
titre de « Les droits des belges, des étrangers et des
indigènes ». C'est là un mauvais départ pour un Etat
de droit.
Aussi, est-il que tous les pouvoirs, dans cette charte, sont
concentrés entre les mains d'une seule personne. En effet, le chapitre
trois, précisément l'article 7 al.1 dispose : « La loi
intervient souverainement en toute matière. Le roi exerce le pouvoir
législatif par voie de décret, sauf quant aux objectifs qui sont
réglés par la loi ». L'article 8 ajoute : « Le
pouvoir exécutif appartient au roi. Il est exercé par voie de
règlements et d'arrêtés ». Ce qui renvoie
à un Etat de police qui « est celui dans lequel
l'autorité administrative peut d'une façon discrétionnaire
et avec une liberté de décision plus ou moins complète,
appliquer aux citoyens toutes les mesures dont elle juge utile de prendre par
elle-même l'initiative en vue de faire face aux circonstances et
d'atteindre à chaque moment les fins qu'elle se propose
»25. L'Etat de police est fondé sur le bon plaisir
du principe : il n'y a ni véritable limite juridique à l'action
du pouvoir, ni réelle protection des citoyens contre le
pouvoir26.
Comme on vient de le voir, la charte coloniale contient des
dispositions inégalitaires (§1) faisant participer, seuls, les
colons à la gestion de la res publica (§2).
3. L'inégalité des hommes devant la loi et
l'Etat de droit
L'Etat de droit consacre l'égalité
des hommes devant la loi. Il s'agit là, d'après E.
CARPANO, d'une caractéristique essentielle du modèle de l'Etat de
droit en ce qu'il fait figure à la fois de principe structurel et de
principe substantiel de l'ordre juridique : en tant que
principe structurel, il conditionne l'application des droits fondamentaux
(droit à l'égalité des droits) ; en tant que principe
substantiel, il impose de traiter chaque individu de manière
égalitaire27. Or dans la charte coloniale, il en va
autrement. Seuls peuvent avoir des droits et être
égaux, les colons alors que les autres,
appelés indigènes, ne sont astreints qu'à des obligations.
D'ailleurs, tout en bénéficiant
25 C. DE MALBERG, Contribution à la
théorie générale de l'Etat, Tome 2, Sirey, Paris,
1920-1922, p. 488.
26 Cf. J. CHEVALLIER, Op. Cit., p. 16.
27 Cf. E. CARPANO, Op. Cit., p. 427.
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de certains droits reconnus par la Constitution belge de 1830,
les indigènes restent victimes de l'inégalité dans la
colonie.
Cette inégalité est une émanation de la
charte coloniale elle-même. En effet, l'article 2 al. 4 de cette charte
dispose : « Des lois régleront, à bref délai en
ce qui concerne les indigènes les droits réels et la
liberté individuelle ». Pour un belge, même
s'il est au Congo, il n'a pas à s'inquiéter, il ne doit que se
sentir comme il était en Belgique et jouir des mêmes garanties que
celles qui lui sont assurées en Belgique. C'est dans ce sens que l'art.
3 al. 2 dispose : « Les belges jouiront au Congo (...) des garanties
semblables à celles qui leur sont assurées en Belgique
».
Alors que les indigènes pouvaient avoir le souci de
partager le même destin, la charte coloniale les a séparés
en distinguant entre eux des immatriculés et les non
immatriculés. Cette division est à remarquer dans les termes de
l'article 4 de la Charte coloniale qui dispose : « Les Belges, les
congolais immatriculés dans la colonie (...) jouissent de tous
les droits civils reconnus par la législation du Congo belge
(...). Les indigènes non immatriculés du Congo belge
jouissent des droits civils qui leur sont reconnus par la législation de
la colonie et par leurs coutumes en tant que celles-ci ne sont contraires ni
à la législation ni à l'ordre public ». Pour
dire, la Charte n'avait comme objectif que de maintenir la discrimination entre
les habitants du Congo.
Dans un Etat de droit, la non discrimination entre les
individus est le principe. Ainsi, la jouissance des droits et libertés
doit être assurée, sans distinction aucune, fondée
notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les
opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale,
l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance
ou toute autre situation.
En considération de ce qui précède, l'on
peut être tenté de croire que les autochtones étaient
exclus de la gestion de la res publica.
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