2. L'esclavagisme et l'Etat de droit
La théorie de l'Etat de droit trouve ses origines dans
l'école du droit naturel. Pour cette dernière, l'homme naît
libre et le demeure. Toute pratique ou traitement inhumain touchant son
intégrité serait contraire à un Etat de droit. L'article
1er de la DUDH de 1948 s'inscrit dans cette même perspective
lorsqu'il dispose : « Tous les êtres humains naissent libres et
égaux en dignité et en droit ». Et l'article 3
d'ajouter : « Tout individu a droit à la vie, à la
liberté et à la sûreté de sa personne
».
L'exploitation socio-économique de l'EIC par le roi
Léopold II allait à l'encontre de ce que préconise ce
texte. Le régime léopoldien n'est qu'une catastrophe
20 Cf. E. ZOLLER, Droit constitutionnel,
éd. PUF, Paris, 1998, pp. 284 et 279.
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Etat de droit dans l'histoire constitutionnelle de la
R.D.C. Par : ABDOUL KARIM KAPITENE
sur le plan social. Ainsi, d'après
NDAYWEL-è-Nziem, cette histoire tragique trouve son fondement dans la
conception possessive que Léopold II avait de « son » Congo.
De même que toutes les terres vacantes lui appartiennent d'office, toutes
les populations que le hasard de l'histoire a eues à placer sur le
territoire du Congo constitueraient automatiquement, elles aussi, une main
d'oeuvre vacante et disponible : vacante parce que sans propriétaire et
disponible parce qu'inoccupée. Avec des espaces libres et un personnel
sans emploi, Léopold II se trouve en présence d'une situation
rêvée où le prix de revient constitue un
intérêt net car il n'y avait pas de prix d'achat à
défalquer21. Les congolais ont connu toutes sortes de
pratiques malsaines comme le portage, les corvées, etc.
En effet, le portage était un véritable enfer.
Le congolais, soumis brutalement à un rythme de travail d'une
intensité inhabituelle, manifeste peu d'empressement à
exécuter les travaux dont il ne comprend pas la finalité et pour
lequel il ne ressent aucune motivation. On le traitera de paresseux et de
congénitalement peu enclin au travail. Ce mythe du « nègre
paresseux » a servi de justification dans toute l'Afrique noire à
nombre de comportements irrationnels22.
Alors que les autochtones étaient soumis à un
régime de sanctions répressives en matière de portage, ils
se trouveront soumis à une autre obligation sévère,
à laquelle ils ne peuvent guère se soustraire. Il fallait fournir
à manger à tous les blancs qui sillonnaient les cours d'eau avec
leurs soldats, leurs porteurs, leurs nombreux auxiliaires contraints à
mener une vie ambulante sans pouvoir s'occuper de l'agriculture, de chasse et
de pêche23.
La plus grande hécatombe est causée par la
récolte du caoutchouc : la page la plus triste parce que la plus
sanglante de l'histoire congolaise de la colonisation. En effet, elle n'est que
la conséquence d'une logique implacable du système
économique léopoldien. Les prestations à exiger car la
maximisation des recettes était une priorité
absolue24.
21 Cf. NDAYWEL-è-Nziem, Op. Cit., p.
267.
22 Ibidem, p. 337.
23 Cf. Ibidem, p. 338.
24 Cf. Ibidem, p. 339.
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Pour obtenir les prestations requises, les agents de l'Etat
disposaient de toute une gamme de moyens de contrainte et de répression
: ils peuvent faire surveiller les villages par des soldats
affectés sur place - des sentinelles - ils peuvent administrer et faire
administrer le fouet (la chicotte) ou encore prendre des otages et
organiser des expéditions punitives.
Le crime de l'administration léopoldienne serait de
tuer et de faire tuer des gens dont la seule faute serait d'avoir
été dans l'incapacité d'atteindre la qualité
requise de récolte.
L'EIC souffre de tous les maux, antivaleurs contraires
à l'Etat de droit. L'absence de normes juridiques encadrant
rigoureusement les droits et libertés fondamentaux ainsi que
l'exercice du pouvoir de l'administration ; l'absence d'un système de
justice administrative susceptible de sanctionner efficacement les abus de
l'administration faisant que l'homme indigène ne peut rien avoir comme
droit même sur sa vie. Seul son maître décide à sa
place, voire sur sa famille.
Etant contraire aux voeux de l'Etat de droit, l'administration
léopoldienne ne saurait passer sans critique. Toutes les puissances
amies à Léopold II l'ont fort critiquée. Le roi se trouve
alors coupé de ses arrières et se rend à l'évidence
: le Congo (EIC) allait être annexé à la
Belgique après plusieurs décennies.
Cependant, l'acte juridique de l'annexion n'interviendra qu'en 1908 suite
à la dernière lutte que le roi entreprenait pour maintenir
à son compte la fondation de la couronne et au délai
nécessaire à l'élaboration de la Charte coloniale, texte
ayant une portée constitutionnelle dans la colonisation belge.
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