Chapitre premier
LA PERIODE COLONIALE ET LA NEGATION DE L'ETAT DE
DOIT
Dans son ouvrage « Institutions politiques et Droit
constitutionnel », P. PACTET écrit : « Il ne peut y avoir
Etat de droit que si le pouvoir politique s'exerce par les voies du droit et
seulement par ces voies. Pour cela, il faut qu'il existe dans l'Etat un
réseau normatif bien adapté et une hiérarchisation des
normes avec un sommet des principes à valeur constitutionnelle qui
servent de références »16.
Eric CARPANO ajoute : « Les droits fondamentaux dont
la source est la dignité humaine sont fondateurs, voir refondateurs de
l'Etat de droit (...) ; c'est le droit fondamental qui pose l'Etat en tant
qu'Etat de droit, et celui-ci n'a pour fonction que de le concrétiser et
le garantir en même temps. Il s'agit là de l'expression la plus
essentielle de l'idée même d'Etat de droit
»17.
Dans l'Etat droit, les droits fondamentaux tels
qu'énoncés dans la Déclaration universelle des
droits de l'homme et dans les différentes conventions doivent être
respectés. Nous pouvons, de manière exemplative, citer quelques
articles de cette Déclaration qui en parlent.
L'article 1 de la DUDH dispose : « Tous les
êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en
droit ». L'article 3 ajoute : « Tout individu a droit
à la vie, à la liberté et à la sûreté
de sa personne ». L'article 18 mentionne : « Toute personne
a droit à la liberté de pensée, de conscience et de
religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de
conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa
conviction seul ou en commun, tant en public qu'en privé par
l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites
». L'article 26 déclare : « Toute personne a droit
à l'éducation ».
En effet, le problème de la violation des droits
fondamentaux est l'un de ceux qui n'ont cessé de solliciter l'attention
de plus d'une personne. La solution à ce
16 P. PACTET, Institution politique et Droit
constitutionnel, 17è éd. Armand Colin, Paris,
1998, p. 125.
17 E. CARPANO, Etat de droit et droits
européens, L'Harmattan, Paris, 2005, p. 441.
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Etat de droit dans l'histoire constitutionnelle de la
R.D.C. Par : ABDOUL KARIM KAPITENE
problème semble se trouver dans l'Etat de droit,
corollaire de la démocratie libérale.
L'Etat de droit échappe à toute dictature, et
sans doute, cherche à garantir les droits et libertés des
citoyens en prohibant les tortures, esclavage, colonisation, etc.
Avant de parler de la période coloniale, l'analyse de
l'Etat de droit dans la période précoloniale exige une attention
particulière.
La RDC d'avant la colonisation était
caractérisée par différents empires et royaumes où
seule la loi non écrite régit l'exercice du pouvoir et des droits
des citoyens. Pendant cette période, l'on pouvait assister à la
vente ou au commerce des humains, à l'esclavage, etc. pratiques
contraires à l'Etat de droit. Ainsi, l'Etat de droit y était de
façade.
A l'approche de la fin du 19è siècle,
les puissances européennes sont à la recherche de colonies. Le
roi des belges voudra également offrir une colonie à la Belgique.
Malheureusement, l'opinion publique belge est hostile à la colonisation.
En effet, les belges étaient en peine sortis, en 1830, de la
colonisation hollandaise et ils en gardaient encore de mauvais souvenirs. Le
roi belge a ainsi agi pour son compte personnel et a, pour ce faire, entrepris
des voyages en Asie et en Afrique centrale.
C'est ainsi que, après avoir conquis les
différents royaumes, le roi Léopold II a réussi à
se tailler une partie de terre dans le bassin du Congo. C'est en 1885, lors de
la conférence de Berlin, convoquée par le Chancellier
allemand BISMARK du 15 novembre 1884 au 26 février 1885, que l'EIC a
été reconnu au niveau mondial par toutes les puissances.
Léopold II avait dissimulé ses visées coloniales
derrières des objectifs scientifiques et humanitaires. Officiellement,
son souhait serait d'implanter la civilisation occidentale en Afrique.
Ce nouvel Etat n'appliquera que des pratiques négatives
à l'Etat de droit et qu'en réalité le testament fut sans
grande conséquence puisque la propriété du roi passera
à la Belgique avant la mort de celui-ci. Cela implique la
continuité de ces anti-valeurs contraires à l'Etat de droit,
même si l'autorité sur la colonie passe du roi
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Léopold II à la Belgique. L'EIC (section I)
devient donc le Congo belge et sera régi par une disposition
constitutionnelle qui est la « Charte coloniale » (section II).
Section I : L'ETAT INDEPENDANT DU CONGO
Dans un Etat de droit, pour une meilleure garantie des droits
et libertés fondamentaux, les textes qui les proclament doivent se
situer à un niveau supérieur de la hiérarchie des normes
juridiques. C'est dans ce sens que P. PACTET écrit : « Les
garanties des droits et libertés fondamentaux sont meilleures lorsque
les textes qui les proclament se situent à un très haut niveau de
la hiérarchie des normes juridiques. Sur ce point, satisfaction est
obtenue lorsque le texte qui les proclame a valeur constitutionnelle et que les
textes qui les réglementent doivent obligatoirement avoir valeur
législative »18, ce qui n'est pas le cas dans
l'EIC.
Il est encore plus nécessaire que, sous couvert de
réglementer les droits et libertés fondamentaux, le pouvoir
législatif ainsi que le pouvoir exécutif ne puissent leur porter
atteinte. Il doit donc exister un contrôle de la
constitutionnalité des lois. Bien entendu, ce contrôle doit
être complété par un contrôle juridictionnel de la
constitutionnalité et de la légalité des actes
spécifiques de l'exécutif, règlements ou décisions
unilatérales. En d'autres termes, les libertés et droits
fondamentaux ne seront garantis que si est institué un véritable
Etat de droit19. Or, dans l'EIC, ces textes semblent n'avoir jamais
existé. Et donc, la constitutionnalité des lois et la
légalité des actes, leur contrôle n'étaient que des
illusions.
L'EIC est un bien privé à Léopold II.
Ainsi, il détient seul les pouvoirs de décision (§1). Pour
exploiter ce domaine, il avait besoin d'une main d'oeuvre. Cela l'a
poussé à forcer la population à travailler comme des
esclaves (§2).
18 P. PACTET, Op. Cit., p. 124.
19 Cf. Ibidem
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1. Concentration des pouvoirs entre les mains d'un seul :
pratique contraire à l'Etat de droit
Pour garantir les droits et libertés
fondamentaux des citoyens vis-à-vis des atteintes du pouvoir, le pouvoir
ne doit pas être concentré entre les mains d'un seul, mais dans
les mains de plusieurs, ce qui suppose que les pouvoirs de l'Etat soient
séparés et qu'ils le restent20. A vrai dire, la
séparation des pouvoirs est une des conditions indispensables pour
assurer la protection des droits et libertés des citoyens, facteur
important dans un Etat de droit.
Dans l'EIC, les pouvoirs législatif et exécutif
sont concentrés entre les mains du roi Léopold II. Il
édictait lui-même des lois qu'il faisait exécuter par ses
représentants dans la colonie. Cela s'explique par le fait
qu'il n'y avait pas un Parlement. Même le pouvoir judiciaire
n'y était que de façade. Ce pouvoir était
partagé en deux ordres : l'un pour les belges
soumis au droit écrit et l'autre pour les indigènes soumis au
droit coutumier. Ce qui explique l'inégalité des citoyens dans
l'EIC. La citoyenneté n'est donc pas reconnue à tous les
habitants. Pour ce faire, personne ne peut contrôler et limiter les
actions du roi de peur de perdre son emploi. Ainsi, l'administration
léopoldienne ne pouvait mal faire.
Comme dit ci-haut, le roi réduisait ses citoyens à
des esclaves.
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