§3. La Constitution Révolutionnaire
Cette Constitution établit en RDC une démocratie
(art. 1). Comme dans tout Etat de droit, cette Constitution déterminait
le mode d'exercice et d'accession au pouvoir. Situant la source du pouvoir dans
le peuple, la démocratie s'efforce de faire prévaloir la
volonté des plus nombreux. Elle repose donc sur le suffrage universel et
implique à la fois, le pluralisme des formations politiques et la
liberté des citoyens et
36 E. BAKADIABABO, Op. Cit., pp. 235-236.
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des groupes. A partir de ces données, la règle
majoritaire peut s'appliquer. C'est dans cet esprit que les art. 2, 4 et 5
disposent : Art. 2: « Tout pouvoir émane du peuple qui l'exerce
par ses représentants ou par la voie du référendum. Aucune
fraction du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice
». Art. 4 : « Les partis politiques concourent à
l'expression du suffrage ». L'art. 5 souligne : « Tous les
congolais sont égaux devant la loi et ont droit à une
égale protection des lois ».
La Constitution semble instituer en RDC un Etat de droit. Mais
comme le Président a une ambition autre que celle des membres du haut
commandement militaire, il écartera ces derniers pour accomplir ses
rêves et visées ; c'est un réel coup d'Etat par le fait
qu'il va abolir encore une fois les institutions démocratiques
existantes. Il convoque son parti, le Mouvement Populaire de la
Révolution en congrès extraordinaire, le 20 mai 1970, avec un
seul point à l'ordre du jour : « Institutionnalisation du MPR
» dans le pays. Encore une fois, c'est la violation de la Constitution
à son art. 4 en écartant toute possibilité de
création d'un autre parti et en faisant du MPR un parti
unique. Cet article fut remplacé par les dispositions
suivantes : « Le MPR est le seul parti politique de la
République Démocratique du Congo » (Loi n° 70-001
du 23 décembre 1970). L'art. 2 de cette loi dispose: «Les
principales institutions de la République sont : 1° le MPR ;
2° Le Président de la République, Président du parti
et Chef du Gouvernement, 3° L'Assemblée Nationale, 4° le
Gouvernement, 5° la Cour constitutionnelle, 6° les Cours et
Tribunaux.
L'institutionnalisation du MPR comme parti Etat implique
directement l'instauration de la dictature et la politisation des institutions
de la République qui conduit à l'arbitraire de l'administration
et à la limitation du pouvoir du juge, gardien des droits et
libertés des citoyens. Par conséquent, c'est l'Etat de droit qui
est mis en cause. Ce qui fait que le contrôle de l'activité
administrative (A) devient de plus en plus difficile et les droits fondamentaux
des citoyens (B) feront l'objet d'abus.
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A. Le contrôle de l'activité
administrative
Comme l'écrit Jacques CHAVALLIER, « Le
contrôle de l'activité administrative par un juge
indépendant est un aspect essentiel de l'Etat de droit : il permet en
effet de garantir le respect par l'administration de la hiérarchie des
normes et de l'intensité du contrôle exercé dépendra
le degré de soumission de l'administration au droit
»37.
Ce contrôle de l'administration par un juge
indépendant est un mécanisme pour lutter contre l'arbitraire et
la monarchie et cela se passe par la détermination de l'organisation du
pouvoir et par l'affirmation des droits et libertés. Dans cette
perspective, Joël MEKHANTAR écrit : « Le pouvoir politique
que l'Etat de droit entend combattre ou parfois domestiquer est celui de la
monarchie. Ce combat passe par la détermination de principes politiques
régissant l'organisation de l'Etat et par l'affirmation de
libertés individuelles puis, plus tard collectives venant limiter
l'action du gouvernement »38. Un tel combat n'a de chance
d'aboutir que s'il existe une réelle indépendance au profit du
pouvoir judiciaire.
La Constitution de 1967 s'inscrit dans cette logique
lorsqu'elle affirme à son article 56 : « Le pouvoir judiciaire
est indépendant des pouvoirs législatif et exécutif
». L'art. 57 al. 2 ajoute : « Les cours et tribunaux
n'appliquent les actes des autorités administratives que pour autant
qu'ils soient conformes aux lois ».
De nos jours, l'administration n'est plus la puissance
souveraine qui impose sa volonté sans contrôle ni compensation.
Elle est maintenant considérée comme une puissance au service
d'un but.
Lorsqu'elle s'exerce dans un Etat de droit, l'action
administrative ne peut être laissée à l'arbitraire ou au
simple bon sens des gouvernants. Le respect de la légalité
administrative et des droits des citoyens exige qu'il y ait des
mécanismes de contrôle. Le contrôle peut être
politique. Celui-ci est exercé par le Parlement, par le peuple à
l'occasion de nouvelles élections ; le contrôle peut être
aussi administratif. Dans ce cas
37 J. CHAVALLIER, Op. Cit., p. 77.
38 J. MEKHANTAR, Op. Cit., p 113.
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il est exercé par l'Administration elle-même.
Mais aussi, le contrôle peut être juridictionnel. C'est lorsqu'il
est exercé par les Cours et tribunaux.
S'agissant du contrôle juridictionnel, il est
écrit à l'art. 60 : « La cour suprême de justice
comporte 2 sections : administrative et judiciaire. La section administrative
est compétente pour connaître en premier et dernier ressort des
recours en annulation pour violation de la loi, formés contre les actes
réglementaires et décisions des autorités centrales
(...) ». L'art. 62 ajoute : « La section administrative de
la Cour d'Appel est compétente pour connaître en premier ressort
des recours en annulation pour violation de la loi, formé contre les
actes, règlements et décisions des autorités
administratives provinciales et locales ».
Mais le contrôle de l'action administrative a
été un leurre pendant cette période sous examen car le
pouvoir judiciaire lui-même est resté au service du MPR.
A cet effet, T. MUHINDO MALONGA écrit : « Le
problème du contrôle de l'action administrative est ancré
au Congo. Il date de la IIe République. Déjà
sous cette République, en raison du phénomène de
personnalisation autoritaire du pouvoir, va se développer une conception
de l'administration comme phénomène d'autorité et de
puissance. Lorsque l'administration est instrumentalisée par le pouvoir
personnel, s'attaquer à l'administration venait de la fragilité
du statut des juges. Un juge trop audacieux risque, à tout moment, de
subir les représailles du pouvoir politique. Le juge aura plutôt
tendance à adopter le point de vue de l'administration
»39.
Pour confirmer ce qui vient d'être dit, KENGO WA DONDO
affirme : « Le conseil judiciaire n'est pas une institution propre,
mais un orange par lequel le MPR - et donc son président car ce dernier
en est l'incarnation - exerce la mission de rendre justice. De ce fait, le
magistrat zaïrois et non pas proprement parlé le mandataire mais en
quelque sorte le président du MPR exerçant sa mission de dire le
droit. Cette réalité nouvelle confère une dimension toute
particulière à la justice zaïroise car quiconque s'insurge
contre ses décisions, désobéit au président du MPR
lui-même. Aussi, le magistrat zaïrois doit-il prendre conscience de
l'importance de sa mission et rendre justice en âme et conscience de
militant (...). Au Zaïre, la magistrat n'est pas
39 T. MUHINDO MALONGA.,Op. Cit., p.16.
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un citoyen à l'écart de la vie politique au
sens courant du terme. Membre à part entière, comme tous les
autres citoyens du MPR ; il est appelé activement à la gestion de
la chose publique et au triomphe de la résolution
»40.
Du fait que la magistrature est politisée,
l'impunité, mépris du droit et de la justice, profitera à
certains individus. Plus l'on montait dans la pyramide du pouvoir, plus le
spectre de l'impunité s'élargissait41.
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