II. DISCUSSIONS
Pour dégager un avis motivé sur l'objet de la
consultation, il conviendrait au préalable, sur le plan
méthodologique, de :
a) Procéder, pour en appréhender les similitudes
et les différences qui fondent leur sens et leur portée, à
un examen comparatif de la rédaction des textes d'interdiction en
matière de concurrence dans le Traité de Rome par rapport
à ceux sus indiqués du Traité de Dakar, qui s'est du
reste, profondément inspiré du droit européen.
Car aussi bien dans le Traité de Rome que dans le
Traité de Dakar, ces règles sur les atteintes à la
concurrence par ententes, associations et pratiques concertées ou abus
de domination ou aides d'Etat constituent les principes de base du Droit de la
concurrence auxquels on se réfère pour caractériser tout
acte anticoncurrentiel
b) Circonscrire la notion de compétence en Droit
institutionnel communautaire ; que recouvre cette notion ? Quel est son contenu
et ses différents aspects ? C'est une fois ces préalables
levés par la consolidation de leur fondement, que l'adaptabilité
à ce canevas, des interprétations divergentes sus
exposées, laissera entrevoir l'option juridique qui paraîtrait la
plus compatible avec les dispositions des articles 88 a), b) et c) du
Traité de l'Union.
A/ DE L'EXAMEN COMPARATIF DES DISPOSITIONS DES DEUX
TRAITES
PRECITES EN MATIERE D'ACTES COLLECTIFS
ANTICONCURRENTIELS ET
D'ABUS DE POSITION DOMINANTE
Les dispositions des articles 85 et 86 du Traité de
Rome (81 et 82 du Traité de Masstricht) sont ainsi libellées :
Article 85 : « Sont incompatibles avec le
Marché Commun et interdits, tous accords entre entreprises, toutes
décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques
concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats
membres etqui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou
de fausser le jeude la concurrence à l'intérieur du Marché
Commun... ».
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Article 86 : « Est incompatible avec le
Marché Commun et interdit dans la mesure où le commerce entre
Etats membres est susceptible d'être affecté, le fait pour une ou
plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position
dominante sur le Marché Commun ou dans une partie substantielle de
celui-ci ».
Selon ce Traité, il y a donc deux conditions
cumulatives pour que l'interdiction communautaire s'applique :
1) La restriction volontaire ou effective de la concurrence
à l'intérieur du Marché Commun européen vu dans les
limites géographiques de l'Union.
2) La susceptibilité d'affecter le commerce
intercommunautaire c'est-à-dire entre les Etats membres de l'Union.
L'accord, la décision ou la pratique concerté ou l'abus doit
pouvoir exercer une influence directe ou indirecte actuelle ou potentielle sur
les courants d'échanges entre les Etats membres.
C'est l'association de ces deux critères qui
matériellement limitent le champ d'application du Droit communautaire de
la concurrence selon le Traité de Rome.
En revanche, si l'on se réfère au texte du
Traité de Dakar, dont les articles 88 a) et b) contrairement aux
articles 85 et 86 du Traité de Rome, sont ainsi libellés :
« Sont interdits de plein droit
:
a) Les accords, associations et pratiques
concertées entre entreprises, ayant pour objet ou pour effet de
restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur
de l'Union
b) Toutes pratiques d'une ou de plusieurs entreprises
assimilables à un abus de position dominante sur le Marché Commun
ou dans une partie significative de celui-ci ».
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L'interdiction faite selon ce Traité diffère
fondamentalement de celle édictée par le Traité de Rome en
ce sens qu'en l'espèce, il suffit que les accords, associations ou
pratiques concertées ou l'abus de domination aient pour but ou pour
effet de restreindre le jeu de la concurrence à l'intérieur de
l'Union, autrement dit, du Marché Commun dans ses limites
géographiques et peu importe qu'ils affectent ou pas les échanges
entre les Etats, pour que le Droit communautaire s'applique. Le seul fait de
restreindre la concurrence à l'intérieur de l'Union et quel que
soit le marché en cause et ses limites, constitue selon le Traité
de l'UEMOA, une
infraction communautaire au Droit de la concurrence.
Au regard de ce qui précède on constate que les
Etats membres de l'Union européenne peuvent être régis par
deux Droits de la concurrence :
1) Celui communautaire qui suppose non seulement une
restriction de la concurrence à l'intérieur de l'Union mais
encore une modification structurelle de l'état des relations
commerciales entre Etats membres.
2) Celui national qui n'est appliqué que dans le cadre
des limites territoriales et de souveraineté, de l'Etat membre et qui,
à cause de son caractère infra communautaire est soumis en cas de
conflit entre les deux Droits au principe de primauté sous l'emprise
duquel il est tenu d'évoluer.
En ce qui concerne les Etats membres du Traité de
Dakar, l'analyse exégétique des dispositions, laisse entendre que
le Droit communautaire de l'UEMOA est un droit à vocation centralisateur
en ce sens qu'il intègre dans son champ d'action tous accords,
associations ou pratiques concertées ou abus de domination ayant pour
objet ou pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence dans
l'espace communautaire. Le Traité de Dakar consacre ainsi un nivellement
par le haut du marché de l'Union où les différents
marchés nationaux sont confondus dans un marché unique qui ignore
toute stratification des marchés nationaux et communautaires ; en somme,
il s'est produit en quelque sorte un processus de phagocytose du Droit national
de la concurrence par le Droit communautaire qui exerce la plénitude de
sa primauté par pure substitution.
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Le contexte conceptuel de ce droit vient renforcer l'option
non équivoque des rédacteurs du
Traité de Dakar, qui ont entendu manifestement se
détacher de la conception de la double barrière adoptée
par le droit européen. C'est ainsi que contrairement à l'article
92 du Traité de
Rome, relatif aux aides d'Etat qui reprend la notion
constitutive «d'affectation du commerce entre Etats », l'article 88
c) du Traité de l'UEMOA, quant à lui, parle simplement
«d'aides susceptibles de fausser la concurrence », de même le
Traité de Dakar, contrairement à ce qui est prévu à
l'article 87, paragraphe 2 e) du Traité de Rome, n'a pas cru devoir
charger la Commission de définir les rapports entre les
législations nationales et le Droit communautaire de la concurrence,
sans doute à cause de la compétence exclusive
réservée à l'Union en matière de Droit de la
concurrence compris comme partie intégrante du Marché Commun de
l'UEMOA.
Il est certain qu'une telle conception du Droit communautaire
de la concurrence peut comporter des avantages appréciables. Elle est de
nature à simplifier les rapports qui pourraient naître entre les
autorités communautaires chargées de la mise en oeuvre du Droit
de la concurrence et les autorités nationales des Etats membres dans
l'éventualité d'une application du Droit de la concurrence sur le
territoire de l'Etat.
Le sens et la portée de deux Droits pourraie nt
être différemment interprétés par les
différentes autorités qui les appliquent. En outre la
primauté du Droit communautaire et surtout les décisions
d'exemption de la Commission pourraient faire peser des incertitudes sur
l'efficacité réelle des activités des autorités
administratives nationales appelées à appliquer voire
interpréter séparément le Droit national et le Droit
communautaire dont les limites ne sont pas toujours précises. En effet,
la manipulation de la notion d'atteinte au Droit de la concurrence
réputée de géométrie variable, avec sa dimension
nationale et sa dimension communautaire concernant un même objet, peut
être source de confusion voire de dissension d'interprétation,
toute chose préjudiciable à la bonne marche des affaires dont les
premières victimes sont les entreprises, exposées qu'elles sont
à un double contrôle opéré par des administrations
différentes tant dans les buts poursuivis que dans leur manière
d'opérer surtout lorsque les sanctions qui résultent de ces
contrôles peuvent se cumuler.
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Les rédacteurs du Traité de Dakar, ont, sans
doute, tiré les leçons des difficultés
rencontrées
dans l'expérience européenne de l'application de
la théorie de la double barrière qui a été
consacrée judiciairement par un Arrêt de la Cour
de Justice du Luxembourg dans l'affaire
14/68 WALT WILHEM C/ BUNDESKARTELLANT du 13 février
1969 Rec.1.
Dans cette décision, la Cour de Justice du Luxembourg
tolère que les autorités nationales
puissent appliquer leur loi interne de la concurrence
«sous réserve que cette mise en oeuvre du Droit national ne puisse
porter préjudice à l'application pleine et uniforme du Droit
communautaire et à l'effet des actes d'exécution de celui-ci
». Dans ce droit, la compétence de l'Union se limite au Droit de la
concurrence, comprenant dans sa définition comme élément
constitutif, l'affectation du flux des échanges entre Etats membres.
Il convient de relever également que ces
autorités nationales, aux termes de l'article 9 du règlement
n°17 du 6 février 1962 du Conseil, exercent à titre
transitoire une compétence précaire et révocable en
matière d'application du Droit communautaire de la concurrence,
compétence qu'elles perdent, dès que la Commission prend une
décision d'engagement d'instruire une affaire. C'est donc dire que
l'application de cette double barrière par ses subtilités dans
son fonctionnement paraît poser plus de problèmes qu'elle n'en
résout, même sur le plan judiciaire où les juridictions
nationales sont en même temps juges de droit commun du Droit
communautaire de la concurrence en raison de l'effet direct de ses
dispositions. L'existence ou l'éventualité de l'intervention
d'exemptions par décisions de la Commission, lesquelles peuvent avoir
pour effet de « légitimer » même en cours de
procédure judiciaire certains comportements anticoncurrentiels viennent
s'ajouter aux difficultés indiquées plus haut. Assurément,
l'application du Droit communautaire de la concurrence présente une
certaine originalité qui peut dérouter les autorités
administratives et les juges nationaux. C'est pourquoi une certaine
simplification voire homogénéisation du Droit de la concurrence
pour rendre sa lecture plus limpide et sa pratique plus aisée ne peut
être que souhaitable surtout à ce stade initiatique où
même en droit interne, règne un certain syncrétisme dans la
conception et l'application de ce droit au niveau des Etats membres.
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