2.3. LES NORMES, LA NORMALISATION ET LES DEBATS ACTUELS
SUR LA QUESTION
2.3.1. Approches de définition et catégories
des normes
2.3.1.1. Norme
La norme, bien que «admise« et
intégrée dans notre vie quotidienne, est difficile à
définir. C'est un concept qui soulève beaucoup
d'équivoques, que toutes les tentatives intellectuelles ont bien du mal
à enlever tant ses tenants, implications et appréhensions restent
très complexes. La définition sera abordée du point de vue
étymologique, sociologique, de quelques auteurs et de celui de certaines
organisations de normalisation ou ayant rapport avec les questions de
normes.
Etymologiquement, norme dérive du mot latin
Norma, et signifie une équerre ou règle de charpentier.
Quelques sociologiques se sont penchés sur cette question.
Selon R.M Williams(1930), les normes sont des
référence en fonction desquels le comportement est jugé,
approuvé ou désapprouvé. En ce sens une norme n'est pas
une moyenne statistique d'un comportement actuel mais plutôt une
définition culturelle (partagée) d'un comportement
désirable. Lorsqu'elle est effective, on assiste à une
régularité d'actes sociaux dans des situations récurrentes
d'un type particulier. Ainsi, il aura des manières plus ou moins
standardisées de se comporter pour faire du commerce, entreprendre un
cérémonial religieux ou s'adonner à des jeux
organisés.
La place du concept de norme dans les analyses sociologiques
du contrôle social ne le dispense d'une pluralité de notions que
divers auteurs se discutent. Prenant l'allure d'une quantification de la norme,
ou de la relation individu-société, A. Quételet propose la
«théorie de l'homme moyen », un personnage fictif dont les
conduites possibles sont établies à partir des valeurs centrales
dites « moyennes », conduites réelles observées au sein
d'une population de référence. Cet homme moyen
représente l'homme «normal«. Mais il faut admettre qu'il
est bien difficile sinon quasi impossible qu'un individu puisse
présenter pour chacune des variables retenues, toutes ces valeurs
moyennes.
Pour les structuralistes comme A. Giddens (1984), la
structuration de la société procède des normes. La norme a
ainsi donc un pouvoir de structuration de la société.
Présentes dans toutes les sociétés humaines, les normes
sont un élément crucial de l'ordre social. Dans cette tradition,
le potentat de la norme est sans pareil : elle exerce une coercition, s'impose
aux individus et fonde naturellement leurs pratiques. Par les mécanismes
de socialisation primaire et secondaire elles sont intériorisées
par les individus. C'est selon le substrat objectif des comportements qu'il
faille déterminer et cela n'est nullement le fait de manifestations
individuelles mais plutôt de normes. Tout en agissant à
l'intérieur
d'un champ d'actions qui témoigne de la
sédimentation de pratiques antérieures et récurrentes,
l'individu n'en participe pas moins à la production et à la
transformation de ce cadre spatio- temporel, les normes.
L'anomie durkheimienne est bien illustrative de la notion de
norme. Le suicide anomique est celui commis en état de
dérèglement, de passions moins disciplinées au moment
elles en ont besoin le plus.
L' «habitus« de P. Bourdieu (1930) aborde aussi la
notion de norme tout en la nuançant. L'»habitus« suppose
l'autonomie effective des individus. L' «habitus« comme
système de schémas générateurs de pratiques et de
schémas de perception de pratiques est le fruit des expériences
vécues, des apprentissages et des processus d'inculcation et par
conséquent d'une histoire.
Analysant les éléments de la structure sociale,
R.K. Merton (1949) distingue: les buts et intentions et les
intérêts définis pa r la civilisation: ce sont les
objectifs légitimes proposés par la société
à ses membres et qui sont plus ou moins intégrés dans une
hiérarchie des valeurs et et une définition et un contrôle
des moyens «légitimes« pour atteindre ces buts. Pour lui, les
normes et les objectifs agissent de concert non pas dans un rapport constant,
pour ainsi déterminer les pratiques les plus répandues.
Les contributions de ces auteurs permettent aux analyses
sociologiques de mieux cerner les relations existant entre d'une part les
normes et les pratiques et entre les normes et les orientations culturelles
générales de la société d'autre part. En clair la
sociologie admet aujourd'hui la pluralité de normes et appréhende
la norme comme une médiation entre les valeurs et des pratiques. Si,
pour certains, les normes exercent des pressions sur l'individu et sont
indispensables à l'action sociale, elles ont pour d'autres une dimension
positive. Mais revisitons quelques auteurs actuels qui ont abordé le
débat sur les normes et leurs relations économique, sociale ou
politique. Ici, il s'agit beaucoup plus des définitions à forte
teneur technique, industrielle et économique.
Pour David (1995) les normes sont des documents qui
fournissent « des spécifications techniques auxquelles peut
adhérer un producteur, soit tacitement ou comme résultat d'un
accord formel«. Standards Australia définit la norme comme
«...un document publié qui fournit des spécifications
etprocédures pour attester qu'un matériel, un produit, une
méthode ou service estfait pour les objectifs désignés et
par conséquent est performant tel que prévu.« Un moyen
général de caractériser une norme est de dire et il s'agit
de «comment faire...« ou «how to...«. Utilisant la
terminologie de l'historien Joel Mokyr (2002), la connaissance peut être
vue comme connaissance proposée (quoi) et la connaissance prescrite
(comment). L'ensemble de la connaissance proposée (connaissance des lois
physiques, des sciences naturelles, chimie etc.) est traduit - à travers
la R & D, expérimentation, pratique etc....- en un ensemble de
techniques faisables ou en connaissance de comment faire. Cet ensemble
de techniques
faisables est traduit en un ensemble de techniques
réellement en pratique, fonction de la variété des
facteurs comme la pression du marché, les fluctuations des prix, la
demande... Les normes entrent en image en devenant une part de la transition
entre le quoi et le commentfaire... c'est pourquoi, la norme
codifie la connaissance concernant comment partir des choses construites ou
fabriquées dans l'optique de comment se comporter dans certaines
circonstances.
Les normes consistent en « une collection de
spécifications techniques, de termes, définitions et principes de
classification et de labellisation. Elles englobent les règles de
mesures établies par régulation ou autorité (normes) et un
système de classifications basé sur des attributs quantifiables
(grades) (Farina et Reardon, 2000).
The Compact Oxford English Dictionary cité par
le Rapport Mondial sur le Commerce (OMC, 2005) propose deux définitions:
«un niveau requis ou admis de qualité ou de convenance» et
«quelque chose utilisée comme une mesure, un étalon ou
modèle en évaluation comparative». Ce même rapport
fournit un exemple pour étayer ces deux approches de définitions.
La nécessité qu'un chocolat ne contienne pas plus de 5% de
graisse végétale (en place du beurre de cacao) dans le but de
garantir le nom «chocolat«, pourrait probablement bafouer la
première définition d'une norme. La nécessité pour
les feux de circulation d'utiliser trois couleurs (rouge, jaune et vert)
pourrait bafouer la deuxième définition, mais pas
forcément la première. La différence entre ces deux
exemples est que dans le premier cas, la norme est mesurable (faible ou fort
pourcentage de graisse végétale) alors que le second ne l'est
pas. Pour une analyse économique des normes, la différence entre
les normes se rapportant aux caractéristiques mesurables et celles se
rapportant aux caractéristiques
qui ne peuvent
l'être, est bien importante. de l'OTC 7
L'Organisation Mondiale du Commerce, définit, à
l'annexe 1 , la
norme comme «document approuvé par un organisme
reconnu, qui fournit, pour des usages communs et répétés,
des règles, des lignes directrices ou des caractéristiques pour
des produits ou des procédés et des méthodes de production
connexes, dont le respect n'est pas obligatoire«.
L'accord sur les OTC met donc l'accent sur le caractère volontaire d'une
norme et propose la définition d'un concept plus contraignant, le
règlement technique: «document qui énonce les
caractéristiques d'un produit ou les procédés et
méthodes de production s'y rapportant, y compris les dispositions
administratives qui s'y appliquent, dont le respect est obligatoire
«.
7 OTC: Obstacles Techniques de Commerce est un des plus
importants des accords spécifiques liés à l'accord cadre
de l'OMC qui est actuellement le GATT. Il se place d'ailleurs au dessus du
GATT, c'est-à-dire que ses dispositions priment en cas de conflit avec
les dispositions du GATT et s'appliquent aux normes et programmes de
certification. Les obstacles techniques de commerce représentent une des
raisons d'être de l'OMC et concernent toutes sortes d'handicaps
artificiels que ces nations commerçantes, bien qu'ayant ratifié
l'accord cadre de l'OMC, pourraient être tenté d'utiliser, si ce
n'est déjà le cas, pour protéger leur marché local
ou leur part de marchés...
L'Organisation Internationale de la Normalisation (ISO,1996)
définit les normes comme «... des accords documentés
contenant des spécifications techniques ou d'autres critères
précis à utiliser de manière cohérente comme
règles, directives ou définitions, afin d'assurer que les
matériaux, produits, processus et services sont adaptés à
leur objet«. (ISO, 1996). Cette d éfinition rencontre presque un
large consensus comme d'ailleurs l'institution ISO. Le système ISO/CEI
est explicitement reconnu dans l'Accord OTC comme établissant des normes
acceptées internationalement (FAO, 2004).
En référence à ces nombreuses approches
de définitions, nous retiendrons une mixité pour
caractériser notre sujet. Nous entendons ainsi donc, dans le cadre de ce
sujet, comme normes de production, l'ensemble des mesures culturales techniques
ou non, décrites dans le référentiel technique de
production des noix de cajou (INRAB et PADSE, 2003) et mises en relation avec
la qualité dans la fiche signalétique de bonnes pratiques
agricoles pour une production de noix d'anacarde de qualité au
Bénin et modèle de fiche technique de suivi d'une plantation
(DPQC et FAO, 2004). Il s'agit donc des principes normés de conduite de
la culture et expérimentés pour obtenir des noix d'anacarde
brutes conformes aux normes de qualité
internationales (CEE/ONU). En effet, la qualité de la
noix brute participe fortement de celle des produits dérivés-
dont l'amande, la noix grillée (objet de la norme ISO 6477), le baume,
le CNLS - et joue un rôle important en amont dans la détermination
desdites normes. Ces normes répondent aux caractéristiques
essentielles détaillées dans les définitions
énoncées ci-haut. Elles sont mesurables et non mesurables
à quelques égards. La restriction des caractéristiques des
normes étant des éléments d'efficacité et du
réalisme de l'analyse, nous nous sommes proposés de retenir trois
caractéristiques à savoir l'écartement entre les
plants8, la période de récolte et/ou la manière
dont les noix sont récoltées9 et le mode de stockage.
Alors que l'écartement entre les plants est une donnée mesurable,
la période de récolte et le mode de stockage des noix ne le sont
pas.
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