2.1.3.2. L'approche des sciences technologiques et
sociologiques
Les etudes de technologie et des societes emergent des
disciplines de philosophie et de sociologie.
ü Le constructivisme social
Dans le modèle de construction de la technologie
(SCOT) les participants, composes de groupes sociaux pertinents/dominants et
à travers leurs interactions, creent les technologies et les artefacts
technologiques à travers un processus d'interpretation flexible.
«Dans ce modèle descriptif, un
artéfact ne peut soudainement muer en un résultat, un acte
momentané d'un inventeur héroïque et plutôt, il est
graduellement construit ou déconstruit dans les in teractions sociales
des groupes sociaux dominants» (Bijker, 1993: p119). Les
normes formelles/officielles peuvent 'etre perçues comme une creation de
ces groupes sociaux.
ü La flexibilité interpretative
L'interpretation flexible est le processus par lequel ces
groupes sociaux varies donnent un sens et une utilite à ces artefacts,
et par lequel ces artefacts doivent trouver differentes applications comme
envisagees par les inventeurs originels ou developpeurs. La traduction des
exigences morphologiques et de poids des noix de cajou, etablissant la norme de
qualite, en des conduites de plantations est bien une expression de cette
flexibilite interpretative.
ü Les ensembles sociotechniques
En reaction aux approches traditionnelles positivistes des
sciences politiques et economiques, et au reductionnisme du determinisme
technologique, l'ecole des STS a allie les elements technique et social dans
une interaction dialectique avec une analyse finale : «le technique est
socialement construit et le social est techniquement construit».
Dès lors que les normes techniques sont socialement construites à
travers un corps dynamique de principes, ces theories suggèrent que
l'operation des ensembles sociotechniques et leurs groupes sociaux dominants
peuvent servir de base à la theorie de normalisation. Le constructivisme
social offre une plateforme theorique sur laquelle les theories de normes sont
à construire et l'arène des normes offre une place pour atteindre
le but du projet constructiviste.
Les reglementations et normes peuvent 'etre etudiees comme
activant et supportant les reseaux de firmes et d'autres groupes dominants qui
sont engages dans la construction de la technologie.
2.1.3.3. L'approche des théories de la
sphère publique
Cette approche met les «protagonistes>> de la
fabrication des normes dans une position d'acteurs intervenant dans une
arène, ici publique, où le pouvoir, sa détention et son
usage sont les éléments déterminants.
Discours éthique
L'établissement des normes peut être vu comme une
forme de disc ours éthique tel que défini par Habermas. L'essence
de ce discours éthique est que les principes éthiques universels
et la relation entre justification, et l'application des normes peuvent
être socialement construites à partir du discours rationnel
basé sur le langage. Dans ce modèle, Habermas poursuit son
exposé en engageant la proposition selon laquelle les normes
réellement bien négociées peuvent être
déterminées à travers le consensus et le groupe suivant
les principes procéduraux du discours rationnel et lesquels principes
impliquent ce qu'il appelle «le discours
idéal>>.
La sphère publique
C'est un forum pour le discours éthique qui repose
essentiellement sur ces principes de discours idéal ou règles
d'argumentation. De tels principes comprennent l'accès libre, les droits
égaux de participation, la véracité de certains
participants, l'absence de coercition, etc. La notion propre à
l'idée de la sphère publique donnant les principes du discours
idéal, est que l'homme raisonnable devrait être à
même d 'aboutir au consensus ou à un agrément substantiel
sur les issues de l'intérêt mutuel.
L'établissement des normes peut être aussi vu
comme une forme de sphère publique qui donne corps à une pratique
sociale spéciale. La sphère publique telle que conçue par
Harbemas est un espace public conceptuel où les privés se mettent
ensemble pour engager le discours rationnel sur les matières
d'intérêt mutuel.
L'action communicative
Habermas (1983) propose pour résoudre le conflit entre
privé et public, l'intersubjectivité par laquelle les
intérêts subjectifs du conflit sont évacués à
travers la création discursive de l'opinion publique qui reconnaît
l'égalité des droits privés et publics.
Pour l'auteur, la démocratie légitime
procéderait non pas seulement de la majorité mais par la
qualité discursive de la délibération qui a abouti
à la décision. L'établissement des normes à
contrario de la législation et de la gouvernance démocratique
usuelle, n'est pas seulement une question de majorité mais surtout de
consensus.
Le processus de la rationalité discursive transforme
les disputes normatives en satisfaction mutuelle : c'est le discours
pratique. Il propose trois étapes pour ce discours : les
participants doivent parler le même langage naturel suivant les
mêmes conventions générales et les participants doivent
désirer l'aboutissement à un agrément et doivent
défendre ce qu'ils pensent être bon et et les participants doivent
fournir les arguments, preuves de leur assentiment, et non simplement
être à la recherche de comportements commodes ou
résultats.
Au troisième niveau, il trace la distinction entre
l'action stratégique qui concerne seulement les
résultats externes (influence politique, menaces, coercition,
rhétorique utilisée...) et l'action communicative
qui concerne la valeur du meilleur argument. L'action
stratégique introduit les distorsions dans le processus du discours
idéal.
L'établissement des normes a été longtemps
perçu pour institutionnaliser ces mêmes règles
d'argumentation basée sur l'action communicative, peut-être avec
la mesure du succès.
Les processus officiels de fabrication des normes sont
constitués de procédures et règles qui se retrouvent dans
le discours idéal habermasien, ses règles et son
argumentation. Les directives opérationnelles des organisations
internationales de normalisation (ISO, IEC, JTC, ITU, IEEE, etc.) et la plupart
des organisations nationales ou régionales (CEBENOR, ANSI, CENELEC,
etc.) s'appuient sur la liberté, l'ouverture, l'inclusion des
«parieurs», l'adhésion libre et le consensus dans la
décision et lesquels principes sont compatibles avec le modèle du
discours idéal. Sous cet angle, la pratique officielle de fabrication
des normes est décrite comme une sphère publique
revitalisée dans un contexte de société
(technologique/industrielle) moderne.
Force est de constater que cette pratique est sujette à
plusieurs formes de distorsions. Avant qu'elle ne fonctionne comme une
sphère publique, elle doit s'intéresser à l'identification
des «parieurs», leur degré de participation et le rôle
de l'expertise et l'accès public. Le degré auquel cette pratique
actuelle s'écarte du discours idéal et de la théorie de
l'action communicative a donné lieu à deux autres théories
: théorie de la rhétorique, issue des sciences de communication
et théorie d'analyse institutionnelle issue des sciences politiques.
L'approche des théories de la
rhétorique
La rhétorique est l'étude et la pratique de la
communication anthropocentrée, parlée ou écrite et et
c'est peut-être la plus ancienne des disciplines, née dans la
Grèce Antique et longtemps considérée comme
indispensable.
La rhétorique est la persuasion - et les institutions
juridiques (ex- législative et judiciaire) et de normes (ex :
normalisation) - sont aussi de la persuasion. L'abstraction de l'«action
stratégique» par Habermas
n'est pas sans équivoque. Hauser (1999) a
critiqué cette approche et propose un modèle rhétorique
plus large de la sphère publique - dans lequel les
observateurs habermasiens dépendent du discours idéal
et de la sphère publique et ainsi << de la
compétence des participants et de la validité rationnelle de leur
discours...» qui exclut plusieurs arènes où se joue le
dialogue public - et <<établit les critères de
communication qui sont peu compréhensifs par rapport à
l'essentiel rhétorique».
Hauser appelle à un modèle rhétorique de
la sphère publique qui met en relief <<un réseau de
sphères discursives» comprenant la société civile
dont certains membres <<engagent chacun un dialogue continu sur les
problèmes publics, les corps constitués et les challenges dans
les domaines pour la formation de <<l'opinion publique». Bien que
Hauser se réfère à la société en
général, le caractère rhétorique et les croyances
idéologiques évidentes dans le discours sur les normes,
présentent une difficulté pour les membres des comités de
fabrication des normes dans l'agrément des discours dominants et et il
est clair que l'atmosphère du discours rationnel n'est pas toujours une
réalité. A cela, Habermas pourrait répondre qu'un tel
discours n'est pas compatible avec les règles du discours idéal
et ne constitue pas une action communicative. Mais que faut-il faire ? La
pratique de fabrication des normes ne constitue pas un réseau de
<<sphères discursives» ou publiques et, peut-être les
<<règles» nécessaires sont néanmoins reconnues
par les pratiques rhétoriques et donc elles peuvent être
effectivement séparées de celles rationnelles.
L'approche de l'analyse institutionnelle
Steinmo (1994, pp106-131), dans cette approche, examine le
rôle des institutions, un rôle différent de celui de la
culture dans le processus délibératif. Son étude sur les
approches américaines de législation pour le bien-être
versus celles d'autres nations occidentales, a identifié les voies par
lesquelles l'élite ou les organes institutionnels
«...constituent essentiellement ceux qui participent effectivement
à la politique, comment ils doivent être organisés et
qu'est ce qui estpossible d'atteindre ? - irrespectueux de nos
idéologies et valeurs».
Les mécanismes identifiés par Steinmo sont
particulièrement utiles dans la compréhension des
différences institutionnelles et historiques entre les structures de
fabrication des normes lorsqu'on passe des USA à l'Europe et à
l'Afrique. Le problème n'est donc pas que culturel, mais surtout
institutionnel.
Le processus de fabrication ainsi analysé par la
littérature est un processus d'élite dans lequel les producteurs
de noix de cajou du Bénin ne se frayent aucun passage. Les exemples,
mêmes de normes établies au niveau national en sont si
éloquents que les producteurs ne se retrouvent pas comme acteurs membres
de comités de fabrication des normes. Cela s'accentue lorsqu'on monte
dans les structures internationales où la réalité ne
s'écarte pas trop de la théorie de domination ou de
dépendance (voir Paul Baran, 1957 et A. Gunder, 1970).
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