2-2/ Interprétation des résultats de
l'analyse
Si nous considérons la limite du champ de cette
étude, nous ne pouvons pas extrapoler ces résultats sur
l'ensemble du système éducatif du Togo. D'autres
caractéristiques peuvent toutefois influencer ces résultats de
l'analyse qui feront objets dans ce chapitre de notre interprétation.
Dans cette partie interprétative, nous essaierons de comprendre les
relations entre ces données et les facteurs explicatifs du
phénomène de redoublement précoce au Togo. En effet, les
influences de ces différents facteurs s'expriment à travers les
indicateurs des différentes variables. Ainsi certains facteurs seront
plus déterminants que d'autres.
2-2-1/ Pratiques scolaires des redoublants et les
pratiques pédagogiques des enseignants
Pour porter un regard sur les résultats de la pratique
du redoublement, il faut aussi considérer les évolutions des
attitudes, des comportements des redoublants. Il importe également de
percevoir les situations particulières des élèves et les
difficultés auxquelles ils font face en classe. C'est à la fois
l'analyse des problèmes posés par les conduites des redoublants
et l'attention particulière que les enseignants portent à leurs
égards que nous allons aborder dans cette partie.
· Caractéristiques scolaires de l'élève
redoublant au CM2
L'analyse des données recueillies met en
évidence l'apport de différents facteurs dans l'identification
des différents effets négatifs du redoublement sur la
réussite au CEPD. Les tableaux ci-dessus ne visent qu'à donner un
aperçu des caractéristiques générales des rapports
qui déterminent un redoublant dans son établissement scolaire.
Quelques unes de ces caractéristiques que sont la distance que parcoure
un redoublant pour arriver à l'école, l'âge d'entrée
du redoublant au CP1, la disponibilité des manuels scolaires, la
régularité et la ponctualité du redoublant en classe,
être enseigné par une femme, etc...permettent de se faire une
idée des probables résultats de l'instruction de ce dernier. Ce
type d'analyse s'inscrit dans le cadre d'analyse contextuelle de la
scolarisation formulé par Duru-Bellat et al. (2004). Ainsi, les
contextes dans lesquels les redoublants continuent leurs scolarisations au Togo
ne sont pas favorables à leur sortie de ce cycle diplômés.
Cependant, par rapport à la distance qui sépare
les écoles de nos enquêtés et leurs domiciles, il nous est
donné de constater que la majorité de nos enquêtés
parcourent une distance moins d'un kilomètre pour arriver dans leurs
établissements scolaires. Cette distance, par rapport à la
distance moyenne (500m en milieu urbain et 1000m en milieu rural) ne peut pas
agir de façon significative sur les échecs au CM2 dans ce champ
d'étude. Cet indicateur, même s'il est significatif, il est dans
cette étude peu influençant sur les échecs au CEPD.
D'autre part, l'âge d'entrée au CP1 est un
indicateur relatif aux redoublements et/ou à l'achèvement du
cours primaire. Il peut aussi influer sur les dispositions d'acquisition des
connaissances, et est très déterminant dans les relations entre
le groupe des pairs. Au Togo, l'âge d'entrée au CP1 est de six
ans. D'après l'analyse des données de cette étude, la
majorité de nos enquêtés entrent au CP1 avant l'âge
de sept ans. Ce qui nous permet d'affirmer que le retard scolaire,
malgré son influence approuvée sur les redoublements et les
échecs scolaires n'est déterminant dans le cadre de cette
étude sur les échecs au CEPD. Près de 56% de nos
enquêtés entrent au CP1 avant l'âge de sept ans. Par contre,
nous remarqué également que certains élèves,
environ 33% de nos enquêtés ont pris de l'avance sur les autres.
Ils sont entrés au CP1 avant l'âge proprement dit. Par ailleurs,
le groupe minoritaire dans cette analyse (près de 44% des
enquêtés) a concédé un retard scolaire en moyenne de
deux ans sur leurs scolarisation. Mais ces distinctions qui déterminent
le groupe minoritaire dans cette étude, n'influencent pas
significativement la réussite de nos enquêtés dans
l'ensemble.
A la suite de cette analyse, la proportion
d'élèves constituant notre échantillon qui ont
été enseignés au cours de leurs scolarités par les
enseignantes ne sont pas nombreux. Il est conseillé au cours d'une
scolarité d'un enfant, qu'une femme enseignante encadre ce dernier dans
les classes de base préparatoires et élémentaires (CP1et
CE1). Dans ce contexte, il est recommandé une attention
particulière et une affection significative aux élèves,
surtout à ceux qui sont en difficulté de réussite dans ces
classes de base. Or au Togo, les femmes ne sont pas privilégiées
dans l'enseignement des classes préparatoires et
élémentaires. Elles sont d'ailleurs mal appréciées
dans l'enseignement du CP1 et du CE1 (entretien avec les enseignants et les
directeurs). Néanmoins le préscolaire leur est confié. Par
rapport à cette étude, nous avons observé que moins de la
moitié de nos enquêtés ont rencontré dans leur
cursus scolaire les enseignantes. Près 41% de nos enquêtés
ont été instruits au préscolaire par les enseignantes. Ils
sont moins nombreux à être enseignés par les institutrices
au CP1 et au CE1. Par contre, ils sont plus représentatifs à
rencontrer les enseignants-femmes dans les classes de CP2 et CE2. Ceci
témoigne le fait que les femmes ne sont pas très
appréciées dans l'enseignement des classes de base (CP1et CE1) au
primaire. Par ailleurs les établissements publics emploient les
enseignantes plus que les écoles privées. Ici, ces
résultats peuvent influencer les performances des redoublants au CM2.
Mais ces impacts sont moins explicatifs que les redoublements précoces
des échecs de nos enquêtés au CEPD.
Un autre indicateur est très explicatif des
performances des élèves au niveau primaire. C'est la
disponibilité des manuels scolaires. Les livres sont les supports des
cours ou des prestations des enseignants pour les élèves. La
disponibilité des livres scolaire au niveau des élèves
permet à ces derniers de s'appliquer en classe et de s'exercer à
la maison. Au-delà de leurs aspects pratiques, les livres constituent
une source de motivations scolaires aux élèves du primaire au
Togo. Il est ainsi remarqué que les élèves qui ne
disposent pas de livres ne sont pas actifs en classe et ne sont pas souvent
intéressés par l'école. Ceci est plus significatif dans
les premières classes du primaire c'est-à-dire dans les classes
de CP et CE. Au Togo, les manuels scolaires mis à la disposition des
élèves ne sont pas très suffisants. Ceci est encore plus
observable dans les écoles publiques. Au Togo, dans les écoles
primaires les livres de lecture sont exigés de chaque
élève. Mais, les disparités socioéconomiques des
familles mettent des différences dans la disponibilité des livres
scolaires entre les élèves issus des familles nanties et les
enfants des familles pauvres. Les élèves des milieux
favorisés possèdent plus que les élèves des milieux
défavorisés les livres de lecture. Ce qui explique le fait que
ces livres sont plus utilisés par les élèves des
écoles privées que les élèves des
établissements publics. Hormis cette différence, les livres de
lecture sont utilisés par la plupart des élèves de niveau
primaire. Par contre les livres de calcul quotidien sont moins utilisés
par nos enquêtés. Dans les écoles publiques, à peine
30% de nos enquêtés ont faits usage de ce type de livre avant les
classes de CM, alors que les élèves des écoles
privées qui disposent de ce livre représentent plus de 46% de nos
enquêtés. En général, les livres de calcul quotidien
sont moins disponibles au niveau des élèves que les livres de
lecture. Par ailleurs, on peut retrouver chez une minorité de nos
redoublants enquêtés d'autres types de livres comme celui des
sciences de la vie et de la terre, les livres de géographie et
d'histoire, certains manuels conçus pour aider les élèves
en difficulté. Nous pouvons ainsi déduire que les redoublants
enquêtés n'ont pas manqué de manuels scolaires quand ils
étaient aux niveaux inférieurs de l'école primaire. Ce qui
suppose que cet indicateur ou la non disponibilité des livres au CP et
au CE n'influe pas de manière significative sur la performance des
redoublants au CM2.
En s'interrogeant sur ces facteurs contextuels, nous nous
sommes intéressés également aux comportements scolaires de
l'élève redoublant au CM2. Nous entendons par ces comportements
scolaires, la régularité et la ponctualité en classe des
redoublants que nous avons enquêtés. Ces indicateurs
décrivent d'une part l'adhésion ou la non adhésion des
redoublants à la pratique du redoublement et expliquent d'autre part la
performance des redoublants au CM2. Dans le contexte de cette étude, en
évoquant les raisons de ces comportements, les redoublants expriment
l'état psychologique qui oriente leurs comportements. Au moyen de cette
étude, nous constatons que les redoublants sont moins réguliers
en classe. Moins de 46% des redoublants enquêtés sont
réguliers en classe. Ils sont ainsi plus nombreux dans les
établissements publics à manquer les classes que les
élèves qui fréquentent les écoles publiques. Et, en
justifiant leurs absences en classes, ils sont plus nombreux à accepter
qu'ils s'absentent parce qu'ils possèdent déjà les cours
dispensés en classe. Ce qui explique que beaucoup d'enseignants, surtout
dans les écoles publiques ne changent pas de fiches des cours au fil des
années. C'est ce qui confirme les mêmes cours que possèdent
les redoublants les années suivant son année de redoublement.
D'autres parts, 55,52% des redoublants enquêtés expliquent leur
absence par l'ennui en classe. Ce qui montre qu'ils ne seraient pas
impliqués dans la participation des cours. Ils se sentent nul en classe
et préfèrent l'école buissonnière que de s'ennuyer
en classe. Ils ne sont pas non plus les moindres à se sentir mal
appréciés par leurs enseignants en classe. Ces tendances sont
plus exprimées dans les écoles publiques que dans les
écoles privées. En fait, cet indicateur pourrait être un
facteur très influant sur les performances en classe de CM2 expliquerait
significativement l'échec des redoublants au CEPD. Ces redoublants ne
seraient pas nombreux à être en retard aux cours. Ceux qui sont
souvent en retard ne représentent que 6,21% de nos
enquêtés. Ils sont rarement en retard surtout dans les
écoles privées. Ces derniers expliquent cette situation par leur
occupation à la maison, et par l'amusement qu'ils font en route. Ainsi
nous découvrons, après cette analyse que les redoublants
enquêtés ne sont pas réguliers en classe, mais ils sont
souvent à l'heure en classe. Ils sont alors moins influencés dans
leurs performances par le retard en classe que par les redoublements successifs
concédés dans les classes antérieures.
· Qualité des relations en classe entre les
enseignants et les redoublants
L'attitude de l'enseignant, ses valeurs éthiques et ses
choix pédagogiques influencent la réussite des
élèves qui lui sont confiés. L'enseignant ne doit pas
être indifférent aux différences. Ce qui va l'amener
nécessairement à surveiller ses attitudes et à rechercher
des solutions pour ses propres pratiques. Au risque d'adopter de la
pédagogie différenciée il faut s'efforcer d'enseigner
parfois autrement que ses sentiments incitent à le faire. On favorise,
faute de quoi, les élèves avec lesquels il existe une entente
culturelle ou ceux qui répondent à ses attentes. P. Perrenoud
(1995) évoque à ce sujet : « Dans ce métier de
l'humain, on entre en relation avec des enfants [...] qu'on n'a pas choisis.
Certains vous plaisent, vous attirent, vous font du bien, d'autres vous
irritent, vous mettent mal à l'aise, éveillent en vous des
sentiments troubles ou agressifs. ». Il faut ainsi identifier ses
sentiments sans les nier pour s'efforcer de les maîtriser et de ne pas
les laisser guider son action.
Malheureusement, au Togo en général les
élèves surtout les redoublants réveillent souvent en leurs
enseignants les sentiments de colère allant parfois aux sentiments de
haine par leurs comportements scolaires négatifs et leurs mauvaises
performances en classe. Ce qui s'exprime souvent dans les rapports
qu'entretiennent ces enseignants envers leurs élèves. Nous avons
pris en compte les insultes, les coups de bâtons et la négligence
que subissent les redoublants enquêtés dans cette étude.
Dans notre champ d'étude, les enquêtés ne sont pas souvent
insultés par leurs enseignants. Peu d'élèves sont parfois
insultés tandis que la majorité des redoublants
enquêtés ne sont jamais insultés. Cependant, nous avons
constaté que dans les écoles publiques beaucoup de redoublants
sont parfois insultés par les enseignants alors que dans les
écoles privées la majorité des élèves ne
sont jamais insultés par leurs enseignants. Cette tendance positive
explique d'une part que les enseignants de l'école primaire au Togo ne
détestent pas les redoublants de leurs classes. D'autre part, on peut
penser que ces enseignants mettent en pratique les normes pédagogiques
de leur profession. Par ailleurs, les enseignants ne tapent pas souvent les
redoublants enquêtés. Environ 65% de nos enquêtés ne
sont jamais tapés par leurs enseignants. Ceux qui sont souvent
tapés ne sont pas nombreux que ce soit dans le public que dans les
privées. Nous pouvons confirmer par cette analyse que les redoublants ne
sont pas tellement inquiétés par les enseignants au Togo. Ce qui
ne pourrait pas être la cause d'une mauvaise performance des redoublants
au CM2. D'ailleurs, pour s'en convaincre les redoublants enquêtés
reconnaissent qu'ils sont parfois sollicités à participer aux
cours en classe. Ceux qui, parmi les redoublants qui ne sont jamais
sollicités à participer aux cours sont moins nombreux que les
premiers. Ils sont ainsi considérés ou vus de la même
manière que les non redoublants par leurs enseignants. En s'interrogeant
ainsi sur leurs sentiments en classe, plus de la moitié des
enquêtés se sentent préoccupés par leurs
enseignants. Presque le tiers des redoublants reconnaissent être
abandonnés par leurs enseignants. Nous pouvons alors définir
comme bons comportements pédagogiques les relations que nouent les
redoublants enquêtés avec leurs enseignants en classe. Ces
indicateurs, en définitive n'ont de mauvais impacts sur les mauvaises
performances des redoublants au CM2. Du coût, leurs échecs au CEPD
ne pourraient être déterminés par les relations
qu'entretiennent les enseignants avec les redoublants enquêtés.
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