3-2/ Faut-il redoubler tôt ou tardivement
l'école primaire ?
Il n'y a pas d'année idéale pour le redoublement
(Ziegler Suzanne 1992). Les effets de la reprise d'une année sur le
rendement scolaire seraient différents pour chaque classe du primaire.
Dans la pratique, la première année a été et
demeure une année fréquemment reprise, quand les techniques de
base en lecture ne sont pas maîtrisées. Elle est suivie de
près par la troisième année.
Une étude de Leblanc Jacynthe (1991) indique qu'il est
préférable de redoubler tôt. Le redoublement des
élèves du primaire semble donner lieu à des
résultats plus favorables que les reprises plus tardives. Il semble que
la reprise de la première année aide l'enfant qui n'avait pas
acquis la maturité suffisante et lui permet de consolider son bagage
scolaire. L'auteur suggère que s'il faut faire reprendre une classe
à l'élève qui éprouve des difficultés
persistantes, il vaut mieux le faire lorsqu'il ou lorsqu'elle est jeune. Ils
indiquent la fin de la première année comme le meilleur moment et
déconseillent de le faire après la troisième année,
jugeant la mesure inefficace à partir de ce moment. Les résultats
scolaires sont encore moins satisfaisants si l'élève redouble une
classe avancée. Si le redoublement survient après la
2e ou la 3e année, comme on l'a dit
précédemment, un stigmate social semble rattaché à
l'échec. Leblanc affirme qu'il faut éviter de faire redoubler un
ou une élève de plus de 12 ans car le redoublement, vu comme un
échec par l'adolescent ou l'adolescente, affecte sa motivation et
mène à l'abandon. Comme le souligne Brais Yves (1994), il y a
probablement des différences de capacités entre les redoublants
et les redoublantes du cours préparatoire et ceux et celles du cours
élémentaire. Leblanc (1991) indique dans sa thèse que le
cours préparatoire du primaire est un cycle d'éveil et de
maturation alors que le cours élémentaire a pour but de
consolider les apprentissages.
Dans la même optique, Seibel et Leivasseur (1983) ont
fait une étude sur les « effets pédagogiques du
redoublement ». Cette étude a concerné plus de
1000 élèves scolarisés au cours préparatoire. C'est
une étude qui confirme que le redoublement précoce ne semble pas
conduire, en moyenne, à des évolutions pédagogiques aussi
favorables pour les élèves redoublants que pour les
élèves promus. L'évolution comparée des deux
populations considérées révèle un écart
croissant variable selon les exercices proposés, mais très
souvent (dans 7 cas sur 10) en faveur des non-redoublants faibles. Les cinq
exercices (sur 45) où les redoublants progressent davantage que les
promus faibles se rapportent tous au domaine mathématique. Ce
résultat peut s'expliquer, en partie, selon ces auteurs « par
une pratique plus fréquente de ce type d'activités qui sont mises
en oeuvre au début du cycle préparatoire ». En
conclusion, on peut dire que le redoublement précoce ne permet pas aux
élèves de progresser. Pour un élève faible, il
n'est pas nécessaire de redoubler pour continuer à progresser. La
décision de fin d'année scolaire n'est pas neutre à ce
niveau (cours préparatoire) d'enseignement. Elle a un effet
« démobilisateur » chez les enfants invités
à recommencer leur cours.
Plus tard en 2002, Thierry Troncin commence de nouvelles
recherches en France dont les résultats vont confirmer ceux de
l'étude de Seibel. Il se base sur un échantillon de près
de 4000 élèves. En septembre 2002, à leur entrée en
CP, il leur fait passer un ensemble de 4 tests, puis il recommence en juin 2003
(fin de CP), en septembre 2003 (début de CE1) et en juin 2004 (fin de
CE1). Il constate alors qu'au cours de l'été 2003 (qui suit le
premier CP) les performances des « futurs redoublants »
diminuent. En septembre 2003, les résultats aux tests des
élèves ayant fait l'objet d'un redoublement en juin 2003 baissent
(d'environ 3 points), alors que les résultats des élèves
faibles promus augmentent systématiquement (d'environ 4 points) par
rapport aux tests du mois de juin. Il met alors en évidence l'effet
« démobilisateur » de la décision de redoublement pour
les enfants qui en font l'objet en opposition avec l'effet « dynamisant
» de la promotion des élèves faibles. A l'issue des tests de
juin 2004, il constate que la progression des élèves promus
faibles est nettement supérieure à celle des redoublants. Les
moyennes des redoublants aux tests sont au moins 5% inférieures à
celles des promus faibles. Plus loin, il constate que les élèves
ayant redoublé leur CP réussissent environ 22 % en moins que les
non redoublants en français, et 23,7 % en moins en mathématiques.
Il conclut par le fait que le redoublement du CP ne suffit pas à
résoudre les difficultés scolaires.
A en croire l'étude de Shane Jimerson de
l'université de Californie qui évalue les conséquences
à long terme d'un redoublement précoce, le redoublement aux cours
préparatoires et élémentaires handicape la progression
scolaire, provoque les abandons scolaires et le comportement scolaire des
redoublants. En prenant pour sujets 190 enfants suivis dans le cadre du
Minnesota Mother-Child Interaction Project, cette étude a suivi les
enfants depuis leur naissance jusqu'à leurs vingt et un ans, en
collectant une masse de données sur eux et leur famille. L'auteur a
constitué un groupe de 40 enfants de cette cohorte qui ont
redoublé la grande section de maternelle, ou le CP, ou le CE1, ou le CE2
; elle les compare à un groupe de 50 enfants qui, dans les mêmes
classes, avaient un niveau aussi bas que les précédents, mais
n'ont pas redoublé (le groupe des non redoublants), et un groupe
témoin de 100 enfants de la même cohorte qui, au départ,
ont de bons résultats scolaires. Elle a ensuite comparé les
performances scolaires en fin de parcours des trois groupes. Les
résultats sont sans appel. En fin de la classe de première,
l'adaptation au lycée, évaluée à partir de la
moyenne des notes, mais aussi de l'assiduité et du comportement à
l'école est beaucoup moins bonne chez les redoublants que chez les non
redoublants, lesquels font presque aussi bien que le groupe témoin. A 19
ans, 69 % des redoublants ont abandonné le lycée en cours
d'études, contre 46 % des non-redoublants et 29 % des
témoins. A 20 ans, 42 % des redoublants ont obtenu leur certificat
de fin d'études secondaires (qui, aux Etats-Unis, tient lieu de
baccalauréat), contre 72 % des non-redoublants et 88 % des
témoins. En conclusion, l'auteur constate que son étude prolonge
dans le temps des études antérieures, mais va dans le même
sens. Le redoublement précoce à l'école primaire est
nuisible et devrait être abandonné, au profit de mesures telles
que le tutorat, un entraînement spécifique à la lecture,
etc.
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