§9. Le contrôle de
constitutionnalité des arrêts de la Haute Cour militaire :
une anomalie de l'article 83, alinéa 3 du code judiciaire
militaire?
Après avoir posé en son article 76 du code
judicaire militaire de 2002 le principe de la surséance et de renvoi
préjudiciel au profit de la Cour constitutionnelle, le
législateur militaire, comme pris de vertige, crée une situation
insolite en droit congolais : il pose le principe d'un contrôle de
constitutionnalité des arrêts de la Haute Cour militaire. Par
quelle modalité la Cour constitutionnelle se saisirait-elle d'un tel
contrôle ?
Jean-Louis Esambo Kangashe dans sa thèse
défendue devant la faculté de Droit de Panthéon-Sorbonne
opine que « l'analyse approfondie des actes soumis au contrôle
du juge constitutionnel congolais incite à soutenir que ce
contrôle ne s'exerce pas uniquement aux seuls actes obligatoires
énumérés dans la Constitution.
Le constituant et la loi n°023/2002 du 18 novembre 2002
portant code judiciaire militaire élargit l'intervention du juge
constitutionnel à d'autres actes non expressément
déterminés par la Constitution.
Cette thèse est affirmée par la récente
jurisprudence de la Cour suprême de justice laquelle autorise le juge
constitutionnel à contrôler les actes d'assemblée. Le
courage et l'audace du juge constitutionnel congolais l'ont amené
à assurer la suprématie de la règle constitutionnelle sur
toute autre norme ».977(*)
De notre point de vue, il s'agit d'affirmer que l'arrêt
de la Haute Cour Militaire en tant qu'oeuvre juridictionnelle reste soumis
à la voie de recours extraordinaire de cassation conformément
à l'article 153, alinéa 2 in fine de la Constitution du 18
février 2006.
Et en tant que voie de recours, la cassation ouvre sur la
Constitution comme norme de référence pour son
admissibilité. Ainsi, une réconciliation peut être faite
entre l'article 76 du même code judiciaire militaire qui prévoit
la surséance lorsqu'une exception d'inconstitutionnalité a
été soulevée avec le fameux article 83, alinéa 3 du
même code qui cite expressément le contrôle de
constitutionnalité des décisions juridictionnelles.
Cette interprétation nous semble plus cohérente
avec le système de justice constitutionnelle adopté par le
constituant congolais. Au cas contraire, il se créerait à coup
sûr une anomalie dans le système qui ne reconnaît en
principe de compétence au juge constitutionnel que contre les actes
législatifs et réglementaires au voeu du texte constitutionnel
mais qui, par voie d'une loi ordinaire même spéciale comme l'est
le code judicaire militaire, rendrait le même juge compétent
à l'égard des actes juridictionnels que Jean-Louis Esambo
Kangashe qualifie de spéciaux. 978(*)
Enfin des comptes, ce chapitre aura été le plus
long de cette étude tant son caractère hautement technique a
exigé des développements plus étendus. En effet, la
question de la compétence du juge constitutionnel, vue dans les
détails comme nous venons de l'examiner, revient à poser le
problème de la place de ce juge dans le système politique
congolais.
S'il a autant d'attributions constitutionnelles et parfois
même législative, c'est que véritablement le pouvoir
politique congolais a considéré dans son architecture
institutionnelle la centralité du juge constitutionnel qui devra s'il
est efficace occuper les premières marches de l'édifice Etat de
droit. En effet, la disposition de l'article 1er de la Constitution
actuelle du pays semble conforter cette thèse en posant de
manière on ne peut plus volontariste que « la
République démocratique du Congo est, dans ses frontières
du 30 juin 1960, un Etat de droit... »979(*)
Cette proclamation de foi n'aura de pertinence au regard de
l'efficacité du système de justice constitutionnelle mise en
place que grâce au courage des juges, à leur audace quelques fois,
et comme tous les juges constitutionnels souvent, à leur
timidité. Cette marche d'horloge est à la mesure de l'oeuvre
juridictionnelle qui a pour ambition de brider l'un des pouvoirs d'Etat les
plus puissants : le pouvoir exécutif.980(*)
En effet, la transformation des régimes politiques
modernes va dans le sens de la prédominance de
l'exécutif.981(*)
Les lois sont de plus en plus d'origine gouvernementale de sorte que censurer
une loi équivaut à contester le gouvernement qui fait porter
seulement le projet par sa majorité parlementaire. Cette
inféodation du législatif à l'exécutif rend de plus
en plus vitale la présence de l'arbitre constitutionnel du jeu
politique : la Cour constitutionnelle.
Mais pour que le juge lui-même ne devienne un danger
public, une sorte d'automate brisant la beauté du jeu politique ou
imprimant des accélérations indues là où
l'intérêt de l'Etat commanderait une marche plus pesante, il faut
brider l'enthousiasme zélé du juge constitutionnel en enserrant
son activité dans des règles de procédure aussi simples
que claires. C'est ce que nous allons voir au chapitre suivant.
* 977 ESAMBO KANGASHE
(J.-L.), La constitution du 18 février 2006 à
l'épreuve du constitutionnalisme. Contraintes pratiques et
perspectives, Thèse de droit public, Université Paris 1
Panthéon-Sorbonne, Université de Kinshasa, 17 juin 2009,
p.286.
* 978 Idem, p.286.
* 979 Lire article
1er de la Constitution du 18 février 2006.
* 980 Lire ESAMBO KANGASHE
(J.-L.), La constitution congolaise du 18 février 20066 à
l'épreuve du constitutionnalisme, op.cit, p.234 qui va dans ce sens
en opinant que « Ces questions ont fait l'objet d'amples
développements. On insistera sur le contrôle de la
constitutionnalité des lois et l'encadrement juridictionnel du pouvoir.
Bien exercé par la Cour constitutionnelle, le contrôle de la
constitutionnalité des lois pourra jouer un rôle éducatif
dans le chef des gouvernants et des gouvernés. Ceux-ci sont tenus au
respect de la Constitution. Le constituant a fait de la Cour constitutionnelle
le juge pénal du président de la République et du premier
ministre. L'exercice sans entrave de cette compétence est susceptible
d'accréditer l'idée de l'émergence en République
Démocratique du Congo d'une nouvelle branche du droit
constitutionnel : le droit pénal constitutionnel ».
* 981 Dans ce sens, TURPIN
(D.), Droit constitutionnel, op.cit, p.456.
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