CHAPITRE III :
PROCEDURE DEVANT LE JUGE CONSTITUTIONNEL
La procédure est comme tout juriste le sait la clef de
voute d'un système juridictionnel. En effet, sans procédure
expressément prévue dans la loi, les velléités
dictatoriales qui sommeillent dans chaque juge pourraient bien lui dicter des
énormités. Aussi, le législateur a-t-il
arrêté dans le cadre de ce système une procédure
à suivre tant pour saisir le juge que pour exécuter les
décisions qu'il aura au départ rendues.
Il s'agira donc ici d'étudier dans un premier moment
les recours organisés devant le juge constitutionnel en ce qui est de la
procédure juridictionnelle et dans un second mouvement, les conditions
de recevabilité et de mise en état de la cause devant ce juge.
Voyons dès lors en détail comment s'organise la
saisine du juge constitutionnel dans les différentes matières
dont il doit connaitre en tant qu'il exerce sa fonction juridictionnelle.
Section 1 : LES
RECOURS DEVANT LE JUGE CONSTITUTIONNEL
Le constituant congolais a prévu dans les dispositions
pertinentes982(*) de la
Constitution du 18 février 2006 un certain nombre des compétences
qui nécessitent pour leur exercice par la haute Cour une saisine
particulière. C'est cette saisine que la doctrine qualifie d'ensemble
d'actes de procédure pour porter un litige devant le juge qui fera
l'objet des paragraphes qui suivent. Par ailleurs, chacun de paragraphes
traitera un mode de saisine relatif à une matière de la
compétence de la haute Cour précédemment
étudiée.
Commençons par le noeud gordien du contentieux
constitutionnel qui est le contrôle de constitutionnalité des
lois.
§1. En matière de
contrôle de constitutionnalité des lois
Deux hypothèses sont susceptibles de survenir en cette
matière, soit qu'il s'agit d'une action directe en
inconstitutionnalité, soit qu'il s'agit alors d'un incident
d'inconstitutionnalité soulevé à l'occasion d'une instance
ordinaire devant un juge non constitutionnel. Nous envisageons ici les deux
hypothèses et nous y consacrons deux points suivants.
A. Cas de l'action en inconstitutionnalité
L'hypothèse de l'action en inconstitutionnalité
est couverte par les dispositions de l'article 162, alinéa 2 de la
Constitution. En outre, elle recouvre deux occurrences, celle du contrôle
a priori et celle du contrôle à posteriori.
1. Hypothèse du
contrôle à priori
Le contrôle de constitutionnalité étant
ouvert contre les lois et les règlements dont nous avons parlé au
chapitre précédent, le constituant a réservé
l'initiative du contrôle a priori aux seules autorités publiques,
écartant ainsi les particuliers du cercle des personnes
qualifiées pour saisir le juge constitutionnel. En effet, s'agit des
actes juridiques en chantier, il est plus logique que ce soient les
autorités politiques elles-mêmes au courant de ces textes en
chantier qui soient habilitées à en empêcher la naissance
juridique.
Il en est ainsi des lois organiques qui sont obligatoirement
soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle avant leur
promulgation, sur pied de l'article 160 ; alinéa 2 de la
Constitution. La saisine dans cette occurrence est l'oeuvre du Président
de la République auquel le tertio de l'article 124 de la Constitution
confère cette compétence. Lorsqu'il s'agit du règlement
intérieur des chambres parlementaires ou du Congrès, la saisine
revient au Président de la chambre concernée ou, en ce qui est du
congrès, à son Président. Il en est de même des
règlements des autorités administratives indépendantes que
nous avons analysées au chapitre précédent.
Il est également possible au regard de notre
ordonnancement juridique que les lois ordinaires puissent également
faire l'objet d'un contrôle a priori. En effet, aux termes de
l'article 160, alinéa 3 de la Constitution, les lois peuvent être
déférées avant leur promulgation par le Président
de la République, le Premier ministre, le Président de
l'Assemblée nationale, le Président du Sénat ou le
dixième des députés ou des sénateurs.
Dans toutes ces occurrences, la saisine appartient aux
autorités politiques qualifiées qui doivent agir par voie de
requête en inconstitutionnalité. Il n'est pas indifférent
de remarquer que cette possibilité d'empêcher la loi de naitre
juridiquement est une arme politique dont la minorité dans les chambres
ne peut s'interdire l'usage. Le droit public congolais connait
déjà un cas qui a malheureusement abouti à une
décision d'irrecevabilité. C'est le RConst 06/TSR du 24 mars
2004.
En date du 11 mars 2004, les honorables députés
Kazadi Nanshabolowa, Jean Mubanga Kabobela, Alphonse Lupumba Kamanda, Bruno
Mukadi et Flory Sekelay ont sollicité l'examen de la conformité
à la Constitution de la Transition de la loi portant organisation et
fonctionnement des partis politiques.
Enrôlée sous R.Const.06/TSR, la requête du
23 décembre 2003 émanant d'une poignée des parlementaires
a donné lieu à un arrêt de principe de la Cour
Suprême de Justice, qu'il convient de commenter avant de donner notre
position.
Le mode de saisine pratiqué par les parlementaires
n'appelle nullement de commentaires particuliers dans la mesure où ils
ont agi par voie de requête prévue à l'article 131 de la
Constitution de la transition.
L'étude de cet arrêt présente
néanmoins un intérêt majeur car il s'agit du premier
antécédent jurisprudentiel du recours formé par les
députés contre une loi dont ils n'ont pu empêcher
l'adoption au niveau de l'Assemblée Nationale.
De ce point de vue, l'on peut apprécier
l'efficacité de ce moyen de contrôle exercé par une
minorité politique pendant la période de transition. La logique
caporaliste des composantes semble émasculer l'efficacité d'une
telle procédure.
Il reste à voir si cette requête a répondu
aux exigences de forme et de fond portées par l'Ordonnance-loi relative
à la procédure devant la Cour suprême de justice.
Dans son arrêt R.CONST. 06/TSR du 24 mars 2004, la Cour
Suprême de Justice relève que « s'agissant de la
recevabilité du recours en appréciation de la conformité
d'une loi à la constitution, l'article 131 de cette loi fondamentale
pose deux conditions aux députés désireux d'engager cette
procédure, à savoir :
a. Le recours doit être formé par un nombre
de députés au moins égal au dixième des membres de
l'Assemblée Nationale
b. Le recours doit être introduit dans le
délai de six jours francs qui suivent son adoption
définitive.
Elle constate en outre que dans l'espèce
examinée, « aucune de ces deux conditions n'a
été respectée » en ce que d'une part,
« le recours du 11 mars a été introduit au-delà
de six jours francs fixés par l'article 131 de la Constitution, et qu'il
a été signé d'autre part par cinq députés
sur les cinq cent que comprend l'Assemblée
Nationale ».
Aussi, la Haute Cour, toutes sections réunies et
siégeant en matière d'appréciation de la conformité
des lois à la constitution, a-t-elle déclaré irrecevable
le recours introduit par les requérants pour non respect des conditions
fixées par l'article 131 de la Constitution du 4 avril 2003.
L'article 131 de la Constitution du 4 avril 2003 dispose que
« la Cour Suprême de Justice peut être saisie d'un
recours visant à faire déclarer une loi non conforme à la
Constitution de la Transition notamment par un nombre de députés
au moins égal au dixième des membres de l'Assemblée
Nationale, dans les six jours francs qui suivent son adoption
définitive ».
De cette disposition, il découle que tout recours
soumis à l'appréciation de la Cour en cette matière, doit
répondre aux trois conditions non alternatives suivantes, à
savoir : la signature du recours par un dixième au moins des
membres de l'Assemblée Nationale ; l'adoption définitive
d'une loi par l'Assemblée Nationale et le respect du délai de six
jours francs courant à partir de l'adoption de loi.
Dans l'espèce examinée, il ressort qu'aucune de
ces conditions n'a été respectée par les
représentants, et que c'est à bon droit que la Cour Suprême
de Justice a décrété l'irrecevabilité de la susdite
requête. 983(*)
L'examen de ce cas nous a permis de relever que dans
l'arrêt R.Const 06/TSR, la Cour Suprême de Justice a
été autant rigoureuse qu'impartiale. Il faut préciser
d'emblée que les notions de courage et de vertu ressortissent du langage
moral. Mais la justice n'est-elle pas finalement une question
éthique ? La symbolique de la justice n'est-elle pas deux plateaux
soutenus au milieu par un glaive, c'est-à-dire le fait et le droit
soutenus par la puissance publique (l'imperium) ? Lorsqu'au mépris
de cette logique de justice le droit est dit, il n'est pas rare de constater
qu'il est contesté et méprisé, à son tour, perdant
ainsi son caractère normatif au seul profit de son apparat
autoritaire.984(*)
Nous ne pouvons pas perdre de vue aussi un aspect pratique
susceptible de constituer une tentative d'explication rationnelle de cet
état de choses.
En effet, il n'est pas inutile de constater que la
quasi-totalité de nos hauts magistrats sont des juristes de haut niveau
oeuvrant depuis vingt-cinq ans, en moyenne, dans le domaine de droit
privé et judiciaire sans avoir eu à trancher des matières
de droit public du reste rares devant les juridictions inférieures dont
ils proviennent.
Nous avons ailleurs dit que ce cas est symptomatique de la
situation politique qui prévalait lors de la transition politique
d'après Sun City. Et c'est le paradoxe de base du contentieux
constitutionnel : les horreurs engendrent le développement de la
justice constitutionnelle. 985(*)
2. Occurrence du
contrôle à posteriori
La survenance de cette occurrence postule que la loi a
été votée et promulguée par le Chef de l'Etat alors
qu'elle est infectée des vices d'inconstitutionnalité. Dans ce
cas, toute personne a le droit de saisine vis-à-vis des lois
déjà étudiées qu'elles soient organiques ou
ordinaires, dans la mesure où elles renferment un vice
d'inconstitutionnalité. 986(*)
Ainsi, il est permis à toute personne de droit public
ou de droit privé, physique ou morale, de saisir le juge par voie de
requête. Signalons que le contrôle a priori qu'une autorité
publique aurait initié devant la haute Cour ne la rend pas inapte
à saisir de nouveau la même juridiction car en effet, la
déclaration de conformité d'une loi organique ne joue pas au
titre d'autorité de la chose jugée. L'explication rationnelle est
qu'agissant sans litige, la Cour constitutionnelle ne fait pas oeuvre
de juge, elle agit en revanche au titre d'autorité constituée
dans un processus législatif prévu par la Constitution.
B. Cas de l'exception
d'inconstitutionnalité
Cette hypothèse est celle prévue par les
dispositions de l'alinéa 3 de l'article 162 de la Constitution. Elle
n'appelle guère de commentaire particulier sauf à remarquer que
la juridiction par devant laquelle est soulevée une exception
d'inconstitutionnalité n'a d'autre ressources juridiques que la
surséance à statuer, toutes affaires cessantes. La question
d'exception concerne une personne qui est partie à un procès et
qui se voit appliquer une loi qu'elle juge inconstitutionnelle.987(*)
C'est ici le lieu de mentionner la problématique
juridique que soulève l'énoncé constitutionnel sur
l'exception d'inconstitutionnalité. En effet, en limitant l'exception
d'inconstitutionnalité à la personne concernée par une
affaire, le constituant semble donc écarter toute intervention
volontaire des tiers.
En d'autres termes, une personne non partie à
l'instance n'a aucune qualité pour soulever cette exception. Or, en
matière civile et administrative, par exemple, l'intervention volontaire
comme la tierce-opposition sont permises de sorte que des tiers plus ou moins
intéressés ont le droit aussi de soulever cette exception.
988(*)
Il ne pourrait en aller autrement dans la mesure où il
n'est pas inutile d'observer que l'exception d'inconstitutionnalité
engendre un contentieux objectif contre la loi ou l'acte réglementaire
dont la nullité est ainsi sollicitée.
Le régime congolais de l'exception
d'inconstitutionnalité qui fonctionne par renvoi préjudiciel
porte une spécificité : non seulement que le texte
trouvé et déclaré inconstitutionnel ne peut être
comme partout ailleurs appliqué à la partie exceptionnelle mais
aussi et surtout le texte constitutionnel postule que la Cour constitutionnelle
statue et rend un arrêt définitif sur cet incident.989(*)
L'on peut de même observer que par la longueur des
délais de prononcé et la chicane parfois non justifiée des
plaideurs, l'on serait amené à considérer l'exception
d'inconstitutionnalité comme une sorte d'arme fatale désorientant
les plaideurs sur le sort de la question principale. Le destin de cette
mécanique procédurale tient sans conteste au respect strict du
délai de trente jours990(*) fixé par le projet de loi
organique.991(*)
Pour résumer, par voie d'exception, la haute Cour est
saisie non d'une requête mais plutôt d'un jugement ou arrêt
avant dire droit ordonnant à la fois la surséance de l'examen de
la question principale et renvoyant la question de constitutionnalité
à la connaissance de la Cour constitutionnelle. 992(*)
§2. En matière
d'interprétation de la Constitution
En cette matière, il a été
déjà dit que seules les autorités politiques
qualifiées par le constituant pouvaient saisir la haute Cour pour
obtenir son interprétation. Sont ainsi seuls qualifiés le
Président de la République, le gouvernement, le Président
du Sénat, le Président de l'Assemblée nationale, un
dixième des membres de chacune des Chambres parlementaires, des
Gouverneurs de province et des Présidents des assemblées
provinciales. L'on note donc une saisine limitée par rapport à
celle qui est largement ouverte en matière de constitutionnalité
des actes législatifs et réglementaires.
L'on peut raisonnablement ajouter à cette liste, les
cours et tribunaux qui peuvent en prenant des décisions avant-dire droit
de renvoi solliciter par là même l'interprétation de la
Constitution comme oeuvre naturelle du juge appelé à appliquer
une norme juridique qui doit échapper à l'ambigüité
et à l'obscurité. Par cette voie incidente, une certitude
s'évince : les juridictions peuvent saisir la Cour
constitutionnelle en interprétation de la Constitution.
L'intérêt de l'interprétation
réside dans le fait évident que les autorités politiques
étant chargées d'appliquer la Constitution sont amenées
à en solliciter l'interprétation en cas d'obscurité ou de
divergence d'opinions. C'est le lieu d'observer que c'est à travers
cette technique d'interprétation que les politiques ont vite fait de
proposer leurs débats à la censure du juge constitutionnel le
transformant du coup en une pièce maîtresse du jeu politique.
Cette situation est à la fois délicate et
resplendissante pour le juge constitutionnel car en effet il prend des couleurs
politiques avec le risque évident de discrédit mais en même
temps sa parole, son obiter dictum revêt la force d'une parole
d'évangile qu'aucun homme politique ne négligerait dans ses
joutes oratoires considérées comme arme du combat politique.
Pendant la transition, de telles divergences ont conduit une de ces
autorités suprêmes à saisir la Cour suprême de
justice faisant alors office de Cour constitutionnelle notamment en
matière d'organisation du pouvoir politique.
A. L'organisation du pouvoir
politique
La jurisprudence congolaise indique que de tels cas ont eu
lieu.993(*) Soulignons
déjà avec Jean-Louis Esambo Kangashe, que « dans un
Etat de droit, la suprématie constitutionnelle suppose
l'élaboration d'un arsenal législatif de contrôle de la
constitutionnalité des actes juridiques des gouvernants. Le principe de
constitutionnelle est contraire à la pratique de duplication
institutionnelle et à d'empiétement des pouvoirs. Elle s'appuie
sur le contrôle de la constitutionnalité des lois et des actes
ayant valeur de lois mais également sur la conformité à la
Constitution des actes législatifs, administratifs ou
juridictionnels994(*).
Le respect des règles établies par la Constitution y joue le
rôle de premier plan.
Le principe de constitutionnalité implique qu'en vertu
du principe de parallélisme de forme et de procédure, seule une
loi constitutionnelle peut modifier la Constitution995(*). L'existence d'une justice
constitutionnelle dont les décisions obligent les gouvernants et les
gouvernés a fait dire à Louis Favoreu, que « sans la
justice constitutionnelle, la Constitution risque d'apparaître comme un
recueil ou un simple programme politique, à la rigueur moralement
obligatoire »996(*)
L'existence constitutionnelle d'une Cour constitutionnelle
n'est pas à notre avis une condition nécessaire et suffisante
pour que s'impose le principe de constitutionnalité. Ce qui importe,
c'est que la garantie que la suprématie constitutionnelle ne se limite
pas aux seules incantations, aux prières et louanges pour se situer dans
le terrain du concret.
Conçu depuis la fin du XVIIIème
siècle, le principe de constitutionnalité ne s'est
développé que tardivement. En Europe, son affirmation peut
être située à partir de la seconde moitié du
XXème siècle. En Afrique, il ne date pas d'avant les
indépendances et particulièrement avant les années 1990.
Ce retard pourrait se justifier par le caractère quasi permanent du
débat entre défenseurs et adversaires de la
légalité et de la constitutionnalité. En France, on
relève que bien que proclamé dans la Constitution, la
suprématie constitutionnelle a pris du retard pour être
ancrée dans les moeurs politiques997(*). Il y subsistait encore une attache au
légicentrisme qui consacre le règne de la loi placée au
centre de l'ordonnancement juridique.
Cette position a été largement
véhiculée dans beaucoup de pays africains. La République
Démocratique du Congo ne fait pas exception. Dans ce pays, on peut
affirmer qu'avec la concentration des pouvoirs entre les mains du
président de la République, la violation de la Constitution est
devenue la règle et sa protection l'exception. Comme la
probabilité de sanctionner toute violation de la Constitution a
été fortement réduite, la suprématie
constitutionnelle semble avoir emprunté la voie des hypothèses
sinon des hypothèques.
Il s'en suit qu'après une longue période
d'atermoiements, l'idée de renforcer la légalité
constitutionnelle dans la gestion des affaires publiques est apparue avec les
travaux de la conférence nationale souveraine. Celle-ci a levé
l'option de confier à trois juridictions distinctes, les attributions
jusque là exercées par la Cour suprême de justice.
L'option levée par le constituant congolais se justifie
lors de la sortie du peuple d'un moment historique marqué par une
confiscation des libertés individuelles. Le mouvement
constitutionnaliste se caractérise notamment par la limitation du
pouvoir que l'on décèle à l'énumération plus
qu'exhaustive des libertés fondamentales.
La démarche n'a pas abouti immédiatement. La
raison est que les prescriptions constitutionnelles n'ont pas toujours
été respectées. Instituée par la Constitution, la
Cour constitutionnelle doit être en mesure d'assurer et de rassurer la
fonctionnalité d'un Etat soumis au droit. De même, par une
interprétation correcte de la Constitution, la protection des droits de
l'Homme et des libertés publiques ou la résolution de tout litige
né de sa saisine, cette juridiction favorisera l'encadrement du
pouvoir ».998(*)
B. Les droits et
libertés fondamentaux
L'interprétation dont il s'agit à ce point de
l'étude est celle qui consiste en la saisine principale du juge
constitutionnel. Il reste cependant que le juge constitutionnel, du fait que sa
norme de référence essentielle se trouve être la
Constitution ne peut statuer sur les matières de sa compétence
sans procéder ne fut-ce qu'implicitement à
l'interprétation voire à la réinterprétation de la
norme constitutionnelle. Il faut préciser qu'interpréter la
norme, c'est l'appliquer à un cas d'espèce, c'est subsumer le
fait sous une catégorie juridique.
L'on devine en effet l'intérêt sans cesse
croissant que l'interprétation de la norme fondamentale en
matière des libertés publiques peut avoir sur le
développement des libertés fondamentales.
L'on voit du reste de ce point de vue un tâtonnement
jurisprudentiel qui fait dire à certains auteurs que la Cour
suprême de justice fait une valse à plusieurs temps.999(*)
Pou éviter cette valse de mauvais aloi entre une
affirmation des droits du citoyen1000(*) et leur négation sous les formes
d'évitement1001(*) les plus horribles, il importe que le juge recoure
davantage à une interprétation qui prenne en charge les
libertés publiques comme la partie essentielle du droit constitutionnel
qu'il est chargé d'appliquer. Il s'en suit que la technique
d'interprétation se trouve même au centre de la fonction du juge
constitutionnel.
Aussi, pour déclarer qu'une loi est ou non-conforme
à la Constitution, le juge doit-il déterminer avec exactitude le
sens de la loi contestée et la signification correcte du principe
constitutionnel qui aura été violé.
Dans le contentieux constitutionnel, « s'affrontent
trois types d'interprétations de la loi : celle faite par le
législateur, celle donnée par le requérant et
l'interprétation du juge. Pour ce dernier, l'interprétation
consiste en une opération intellectuelle inhérente à sa
fonction et un instrument nécessaire à l'exercice de ses
charges »1002(*).
Il faut se garder de considérer que le juge dispose de
toutes les recettes pour découvrir le mystère caché dans
le texte. Ce mystère est, à vrai dire, loin d'être
complètement levé ou vidé par le juge. Le texte reste
à jamais inépuisable par l'interprétation du juge.
Pour tout dire, l'interprétation du juge
constitutionnel ne peut être « qu'un moment de l'histoire du
texte qui continue à vivre et donc à pouvoir être le
support, plus tard, d'autres interprétations »1003(*).
Le recours à des méthodes spécifiques,
telle celle de l'interprétation neutralisante, voire la
prosopopée, est révélatrice de la sollicitude, et pour
tout dire de pleine réussite du juge constitutionnel.1004(*)
L'interprétation peut ainsi se rapporter aux principes
à valeur constitutionnelle.
C. La place des principes
généraux à valeur constitutionnelle
La problématique s'est posée en droit
français et a donné lieu à une forte
littérature : la place des principes généraux
à valeur constitutionnelle. Cette question est d'intérêt
théorique car elle postule que le juge constitutionnel peut être
amené à établir une hiérarchie entre principes
constitutionnels.
En d'autres termes, existerait-il des principes
généraux à valeur constitutionnelle qui s'imposeraient au
juge même en cas d'autres principes constitutionnels écrits ?
La question est loin d'être théorique parce que finalement elle a
déjà donné lieu à la théorie de la
supraconstitutionnalité.1005(*) Elle se rattache idéologiquement à la
doctrine du droit naturel.
Cette théorie postule en effet que le droit positif
quelle que soit son autorité doit se soumettre au droit naturel saisi
comme un ensemble des valeurs transcendantales et supérieures donc
à la volonté constituante. Ainsi la vie serait supérieure
à tout prescrit constitutionnel dans la mesure où le constituant
ne fait que l'organiser sans jamais la créer.
Dès lors, en cas de conflit entre deux normes à
valeur axiologique différente, il faut trancher en faveur de la norme
qui ressortit de la valeur supérieure. Du point de vue du droit positif,
telle formulation est de nature à poser problème car le juge ne
saurait impunément s'ériger en censeur moral alors qu'aucun
catalogue desdites valeurs transcendantales ne lui est guère
présenté. Il pourrait le créer lui-même avec le
risque que l'étendue et la qualité desdites valeurs
dépendraient largement de la subjectivité du juge lui-même.
L'on ne peut manquer de constater avec amertume que le risque
est immense de quitter l'arbitraire de la majorité politique
pour celui d'une minorité judiciaire.
Aussi, est-il utile que le juge reste soumis aux seules
valeurs consignées dans le texte fondamental avec
l'interprétation que le constituant leur accorde dans les travaux
préparatoires mais sous les lumières bienveillantes d'une
« idée de droit » progressiste.
Disons tout de suite ou rappelons qu'il s'agit là du
vrai rôle de la Haute juridiction. Il serait complètement aberrant
qu'un juge constitutionnel donne l'impression d'inventer un droit au
mépris de toute rationalité, en faisant fi de la Constitution et
de son contenu.
Juge constitutionnel, il porte bien son nom ; il doit veiller
à ce que le législateur tout en exprimant la volonté
générale de la nation, ne le fasse que dans le respect de la
Constitution. Pas plus, d'ailleurs, qu'il ne doit donner l'impression de
régler des litiges à visage juridique sur fond politique, des
litiges voisins de ceux qui opposent des particuliers où une solution du
juste milieu peut les satisfaire pour éviter celle où
apparaissent un vainqueur et un vaincu.
Dans le contentieux constitutionnel ou, si l'on
préfère la justice constitutionnelle, ce ne sont jamais deux
parties en litige, mais il y a toujours, d'un côté, le
législateur et, de l'autre, la Constitution. Le rôle du juge
constitutionnel, c'est de vérifier si le législateur n'a pas
outrepassé les limites tracées par le constituant.
Quelle utilité aurait la constitution si ses principes
n'étaient que des voeux pieux à l'adresse d'un législateur
fort de sa légitimité souveraine ? Là est toute la
philosophie dont se nourrit la loi organique de cette haute instance. Parce
qu'elle intervient pour mettre en application un article de la Constitution,
elle doit, avant sa promulgation, impérativement passer sous l'oeil
vigilant du juge constitutionnel auquel il revient de dire si certaines de ses
dispositions sont ou ne sont pas contraires aux règles, principes et
préceptes contenus dans le texte le plus élevé dans la
hiérarchie juridique, la Charte fondamentale.
En paraphrasant Kelsen, on dira que si la loi est une
création du droit vis-à-vis du règlement, elle se
présente comme une application du droit vis-à-vis de la
Constitution ; de ce fait, la vérification de sa
régularité doit se fonder sur le rapport d'un degré
inférieur à un degré supérieur de l'ordre
juridique.
A la suite du même grand juriste, père fondateur
du contrôle de la constitutionnalité des lois en Europe, on
ajoutera que cette correspondance constitue le fondement de l'existence des
garanties de la Constitution qui sont considérées comme garanties
de la régularité des règles immédiatement
subordonnées à la Constitution, c'est-à-dire,
essentiellement, des garanties de la constitutionnalité des lois.
Constitutionalité ! Voilà le terme magique
auquel il faut restituer l'importance qui est la sienne et reconnaître
l'étendue qui le caractérise ! Signifie-t-il uniquement le
contenu purement formel de la Constitution ou doit-il intégrer tout ce
qui s'y rattache comme principes et règles auxquels le texte
constitutionnel fait référence ?
Notre Constitution, comme du reste la plupart des
constitutions du monde pour ne pas dire toutes, contient un ensemble de
référentiels qui complètent tout ce qu'elle proclame
expressément. Naturellement, ces référentiels varient d'un
pays à un autre.
Ici, cela peut être l'attachement aux droits de
l'homme tels qu'ils sont universellement reconnus, ailleurs, cela peut
être l'attachement aux droits de l'homme et aux principes de la
souveraineté nationale tels qu'ils ont été
définis par la Déclaration de 1789 etc. Ici, l'Etat peut
être laïc, ailleurs, il peut être musulman ou chrétien.
Ici, cela peut être la souscription aux principes, droits et
obligations découlant des chartes des organismes internationaux
dont l'Etat est membre, ailleurs, cela peut être la proclamation
comme particulièrement nécessaires à notre
temps de principes politiques, économiques et sociaux.
Bref, et pour ne pas déborder l'objet de la
présente analyse, dans sa mission, le juge constitutionnel est un
créateur de droits, de normes juridiques et, plus simplement, du droit
à partir de la Constitution et surtout de son esprit et des principes
ainsi que les valeurs dont elle est tissée ou qui coulent des textes
auxquels elle fait référence. La constitutionalité d'un
texte de loi organique ou autre, ne réside pas seulement dans sa
conformité à ce qui est expressément énoncé
dans les seuls articles de la Constitution, mais à ce qui
transparaît au travers de ses dispositions et se manifeste dans la trame
de ses lignes.
Elle s'apprécie au regard de ce qui constitue le bloc
de constitutionnalité.
En droit congolais cependant, il importe de souligner qu'il
n'existe pas de principes généraux à valeur
constitutionnelle, catégorie juridique créée par le
Conseil constitutionnel français pour régler la question du bloc
de constitutionnalité qui se posait en France du fait de l'absence d'une
proclamation des libertés publiques dans le texte même de la
constitution.
Telle n'est pas la situation du droit congolais qui proclame
invariablement le caractère constitutionnel des libertés
fondamentales dans ses textes constitutionnels. La même constance est
observée en matière des traités internationaux.
* 982 Lire
spécialement les articles 160 à 167 de la Constitution du 18
février 2006.
* 983 Arrêt
inédit.
* 984 L'autorité
est en effet une des caractéristiques de la loi mais l'adhésion
est une constante dans l'histoire qui fait de la loi une oeuvre commune des
gouvernants et des gouvernés.
* 985 Lire KALUBA DIBWA
(D.), La saisine du juge constitutionnel et du juge administratif
suprême en droit public congolais, op.cit, Kinshasa, éditions
Eucalyptus, 2007.
* 986 Le terme
« actes législatifs » utilisé à
l'article 162 de la Constitution du 18 février 2006 n'est pas de nature
à introduire des distinctions entre les diverses formes de loi. Il
importe seulement au regard du critère formel qu'il s'agisse d'un acte
législatif, c'est-à-dire d'une manifestation de volonté
législative émanant du législateur, ordinaire ou
d'exception, exprimée dans la forme et dans les conditions
prévues par la Constitution.
* 987 Lire AVRIL (P.) et
GICQUEL (J.), Lexique de droit constitutionnel, 7ème
édition corrigée, Paris, PUF, 1998, p.57, v° Exception
d'inconstitutionnalité.
* 988 Voir articles 80 du
code de procédure civile et 84 de la procédure devant la Cour
suprême de justice.
* 989 Saisie par avant
dire droit, la Cour constitutionnelle rend en effet un arrêt qui sera
définitif sur incident vis-à-vis des parties à l'instance
principale qui aura entretemps été suspendue.
* 990 Lire article 160,
alinéa 4, de la Constitution.
* 991 Lire 50 du projet de
loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour
constitutionnelle, inédit.
* 992 Lire article 162,
alinéa 4, de la Constitution.
* 993 C.S.J., R. Const.
28/TSR, Requête en interprétation des articles 99, 102, 105 et
108 de la Constitution de la transition, 24 février 2006
(inédit), six feuillets. Pour le texte soumis au
contrôle, lire la Loi n° 05/023 du 19 décembre 2005 portant
amnistie pour faits de guerre, infractions politiques et d'opinion, in
JORDC., n° spécial, 28 décembre 2005, pp. 1-3.
* 994 KAMUKUNY MUKINAY
NGAL (A.), De l'effectivité du contrôle, ...op. cit,
p. 9.
* 995 Tel n'a pas
été le cas en République Démocratique du Congo
où le Décret-loi constitutionnel n° 003 du 27 mai 1997
relatif à l'organisation et à l'exercice pouvoir en
République Démocratique du Congo a été
modifié par un texte qui portait initialement l'intitulé de
décret-loi avant d'être publié au Journal Officiel sous la
dénomination du Décret-loi constitutionnel n°074 du 28 mai
1998.Lire dans ce sens, ESAMBO KANGASHE (J.-L.), Le texte de la Constitution de
transition,...op.cit. p. 355.
* 996 FAVOREU (L.) et
Alii, Droit constitutionnel, ...op.cit. p. 142.
* 997 FAVOREU (L.) et
Alii, Droit constitutionnel, ...op.cit. p. 143.
* 998 ESAMBO KANGASHE
(J.-L.), La constitution congolaise du 18 février 2006 à
l'épreuve du constitutionnalisme. Contraintes pratiques et perspectives,
Thèse de droit public, Université Paris 1 Panthéon
Sorbonne, 17 juin 2009, pp.232-233.
* 999 CSJ, arrêt
Kapuku, R.Const 051 du 31 juillet 2007 ; CSJ, arrêt
Cibalonza, R.Const 062 du 27 décembre 2007, CSJ, arrêt
Makila, mai 2009, inédits.
* 1000 Les deux premiers
arrêts marquent le droit congolais des libertés publiques en
protégeant le droit de la défense tandis que le dernier
arrêt rentre dans la catégorie de ceux que NGONDANKOY ea LOONGHYA
appelle avec raison des arrêts sur commande tant leur qualité
intellectuelle n'inspire guère le respect.
* 1001 La stratégie
d'évitement est celle qui consiste entre autres à déclarer
un recours irrecevable pour ne plus voir le problème juridique qu'il
pose ou plutôt de déclarer tout recours non fondé sans
trouver une base de raisonnement qui soit logique et juridiquement
cohérent.
* 1002 ROUSSEAU (D.),
Droit du contentieux constitutionnel, ...op.cit., p. 145.
* 1003 Idem., p. 147.
* 1004 GICQUEL (J.),
Droit constitutionnel et institutions politiques, op.cit, p.720.
* 1005 Ibidem.
|