§8. La répression
des infractions politiques dans le chef du Chef de l'Etat et du Premier
ministre
Il est de plus en plus admis que le régime pénal
des plus autorités du pays soit fixé dans la Constitution. C'est
une tradition en République démocratique du Congo même si
Auguste Mampuya Kanunk'a Tshiabo s'inquiète que le constituant congolais
du 18 février 2006 ait exercé un oeil plus qu'averti sur le Chef
de l'Etat considéré ainsi comme un malpropre.967(*) Il y a, là, la part
du poids de l'histoire récente et la part du droit comparé qui
poussent ainsi le constituant à plus de vigilance.
L'instant du remord étant évanoui, il importe de
s'interroger autour de quatre questions essentielles qui sont autant des clefs
pour une intelligence complète du régime pénal
constitutionnel du chef de l'Etat et du Premier Ministre.
C'est le lieu de signifier que par cet arsenal pénal
constitutionnel, le constituant congolais a fait l'économie des textes
même si cette matière pourrait très bien relever du
législateur même ordinaire.
L'on peut comprendre sa réticence à confier
telle matière au législateur dans le contexte de la transition
d'après Sun City. En effet, il ne serait pas dans les priorités
du Chef de l'Etat ni dans celles du premier Ministre de réglementer leur
régime pénal et carcéral. Qui ferait ceci serait imbu
d'une forte dose de suicide.
Par ailleurs, il est aussi compréhensible que sorti des
sentiers ardus de la dictature, le constituant congolais ait eu à coeur
de tout régir de la vie et de la mort du chef de l'Etat aboutissant
à maints égards à une personnalisation du texte
fondamental dont la survie dépendra de l'épreuve du temps et
surtout de la pratique institutionnelle que le porteur du costume de la
fonction présidentielle pourra instaurer. Du fait de la fonction,
certaines personnes jouissent des immunités.
Le terme « immunité » peut, de manière
générale, être défini comme le droit de
bénéficier d'une dérogation à la loi commune. Elle
pourra être qualifiée de constitutionnelle, lorsqu'elle trouvera
son fondement dans la Constitution.
Les immunités constitutionnelles revêtent, en
principe, deux formes. Il peut s'agir d'immunités de fond, par exemple
au profit des parlementaires pour les opinions ou les votes émis par eux
dans l'exercice de leurs fonctions ou au profit du Chef de l'État pour
les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions.
Il peut s'agir aussi d'immunités de procédure,
qui peuvent elles-mêmes se présenter sous différentes
formes (privilèges de juridiction, garanties procédurales
particulières, etc.).
Les immunités prévues par la Constitution
concernent en général, trois catégories d'organes : le
Chef de l'État, les membres du Gouvernement et les membres du Parlement.
L'approche de droit comparé permet ici de réfléchir sur le
point de savoir si le particularisme inhérent au régime des
immunités et la part de dérogation aux règles de droit
commun qu'il comporte, conservent aujourd'hui des justifications suffisamment
solides.
Il conviendra également de s'interroger sur la
compatibilité des régimes des immunités constitutionnelles
avec les droits fondamentaux garantis par les textes constitutionnels, afin de
vérifier que le régime des immunités ne soit pas une
source d'impunité, allant à l'encontre du principe de
l'égalité de tous devant la loi.
La répression mérite d'être
évaluée pour ses fonctions : catharsis, elle l'est sans doute;
facteur de dissuasion pour l'avenir, elle l'est probablement, encore que la
haine lève les inhibitions qui pourraient résulter d'une sage
peur du juge. Or, loin des terres yougoslaves, à propos desquelles a
été créé le TPIY, et de Rome où a
été adoptée la Convention portant statut de la Cour
Pénale Internationale, d'autres pratiques se sont
développées.
Celles de l'Amérique latine ont tout d'abord
été regardées avec suspicion: un peuple a-t-il le droit de
pardonner à ses bourreaux ? La pratique de l'Afrique du Sud, celle de la
Commission Vérité et Réconciliation, a recueilli plus de
respect. L'idée que le tissu social puisse être reconstruit
à partir d'une élucidation du passé, articulée avec
une certaine sanction, mais ne débouchant pas nécessairement sur
la répression est de plus en plus avancée en post-conflit.
La restauration de l'Etat de droit dans des
sociétés ayant connu de violents conflits (armés ou non
armés) pose de sérieuses difficultés liées à
l'incapacité - fréquente - du système pénal interne
de faire face aux poursuites nécessaires. Les violations massives des
droits fondamentaux de l'individu et les crimes commis durant ces
périodes troublées restent souvent impunies, laissant les
victimes insatisfaites et semant les germes d'un futur conflit.
Que le système judiciaire soit corrompu ou impuissant,
il apparaît de plus en plus nécessaire de se tourner vers de
nouvelles formes de justice qui ne soient pas uniquement rétributives
mais également réhabilitatrices ou «restauratrices ».
La justice transitionnelle vise à apporter une
réponse à ces nouveaux défis à travers la
création de Commissions Vérité et
Réconciliation. Initiées vers le milieu des années
1970 en Afrique, puis développées dans les années 1980 en
Amérique Latine, ces Commissions Vérité et
Réconciliation ont connu un développement remarquable dans les
années 1990 et concernent aujourd'hui, avec plus d'une trentaine
d'expériences, tous les continents de la planète. L'on peut noter
avec plus ou moins de bonheur que le recours à la justice
transitionnelle est une tentative heureuse du peuple à se rendre justice
en tenant compte des impératifs catégoriques de paix et de
réconciliation nationale.
Ce phénomène a dépassé le stade
expérimental pour faire place à un nouveau champ du droit de
transition lequel est en phase d'émergence. L'autre axe de recherche
vise donc à analyser ce phénomène nouveau dans une
perspective comparative et internationale en cherchant notamment à
comprendre l'articulation entre justice pénale nationale et
internationale et justice transitionnelle.
Ce champ d'étude a fait l'objet de recherches dans les
milieux juridiques anglophones mais reste pratiquement inexploré dans le
monde juridique francophone. Le but de la recherche vise non seulement à
faire connaître l'existence de cette nouvelle forme de justice mais
également à rechercher les axes fondamentaux communs aux
différentes expériences mises en place.
Ce sujet n'est pas strictement juridique et fait appel
à une approche multidisciplinaire impliquant notamment des sociologues,
anthropologues, politistes, philosophes...La structuration juridique de cette
forme de justice reste toutefois fondamentale pour assurer son succès et
éviter que ne se reproduisent les erreurs passées. La recherche
se veut donc à la fois théorique et pratique. Elle implique une
réflexion sur le sens de la justice en période de transition.
Elle implique également et impliquera encore des recherches de terrain.
Cette tendance doctrinale devra mobiliser nos meilleures énergies
intellectuelles pour tenter un essai de systématisation théorique
susceptible d'engendrer ou d'asseoir la théorie africaine de la
justice.
Pour comprendre à fond ce régime, voyons
à présent la première question qui est celle relative
à la nature des infractions visées.
A. Problème de la
nature des infractions visées
La lecture des infractions portées par la Constitution
à charge du Président de la République et du premier
Ministre donne à voir que deux catégories d'infractions sont
prévues par la loi fondamentale pour l'occasion transformée en
norme de comportement répressif.
En effet, il y a, d'une part, les infractions purement
politiques, les infractions de droit commun d'autre part ainsi que les
infractions que l'on nommerait mixtes dans la mesure où reliées
aux autorités politiques elles s'agrégeraient pour ainsi dire une
nature politique par accession.
Procédons par l'énumération avant d'en
trouver la justification.
Avec Raphael Nyabirungu Mwene Songa retenons qu'est politique
l'infraction dont l'auteur ou le but recherché est politique.968(*)
Ainsi donc, serait politique par nature une infraction comme
l'attentat à la vie du chef de l'Etat car le but recherché est
manifestement politique : le renversement des institutions politiques. En
effet, l'on ne tue pas un chef de l'Etat pour prendre sa femme ou sa voiture.
Le but recherché est donc un critère d'une simplicité
quasi biblique ; cependant, lors de la commission de tels actes il est
toujours possible que le ou les infracteurs soient des politiques ou de simples
sujets. Le critère de l'auteur de l'infraction proposée par une
certaine doctrine969(*)
n'emporte qu'une approbation mitigée de notre part.
Toutefois au-delà de ces infractions politiques par
nature, il existe le catalogue impressionnant des incriminations prévues
et punies par le livre second du code pénal congolais. Il y faut y
ajouter les autres infractions portées par des lois
complémentaires et particulières. Elles recouvrent la
qualification générique des infractions de droit commun. Il est
possible aussi que les infractions militaires soient en cette occurrence
à mettre sous la catégorie d'infractions de droit commun. En
effet, vis-à-vis des infractions politiques, les infractions militaires
rentrent dans la catégorie de droit commun.
Au-delà de cette summa divisio, il existe ce
que l'on nommerait volontiers les infractions mixtes. Il s'agit, en effet, de
celles que commettrait un auteur non politique dans le champ politique. Il est
entendu que le comptable public qui aide le premier Ministre ou le Chef de
l'Etat à faire des faux en écritures destinées à
justifier des malversations financières faisant l'objet d'une motion de
censure à l'Assemblée nationale, non seulement commet un faux en
écritures publiques de droit commun mais il reste susceptible
d'être poursuivi comme coauteur de l'infraction politique d'atteinte
à la probité.
La question de la nature politique semble avoir quitté
les rivages de la doctrine pour être définitivement
réglé par le constituant. En effet, serait politique l'infraction
qualifiée telle par le constituant au regard des dispositions de
l'article 164 de la Constitution.
Ainsi donc, sont politiques les infractions de haute trahison,
d'outrage au parlement, d'atteinte à l'honneur ou à la
probité et les délits d'initié. Les infractions de droit
commun commises à l'occasion ou dans l'exercice de leurs fonctions
empruntent cependant la nature politique par accession et rendent leurs auteurs
justiciables devant la Cour constitutionnelle.970(*)
La question qui demeure est que s'agissant des infractions de
droit commun qui serait commises par le chef de l'Etat ou le premier Ministre,
il faudra non seulement les assimiler à des infractions politiques dans
la mesure où elles concernent des institutions ou des autorités
les plus élevées de l'Etat mais surtout se soumettre à la
mise en accusation prévue par l'article 166 de la Constitution.
Par son vote renforcé, et la forme de la
décision qui est une résolution du parlement siégeant en
congrès, la disposition relative à ce mécanisme de
poursuites et de mise en accusation risque d'être longtemps lettre morte.
En effet, ces mécanismes constitutionnels sont ceux qui exigent une
culture politique non partisane pour leur exécution. Comment d'ailleurs
les mettre en mouvement dans un cadre procédural où la poursuite
éventuelle du président de la République est
nécessairement perçue comme une trahison sinon une tentative de
coup d'Etat par le clan opposé à ce dernier ? A cet
égard, le droit constitutionnel pénal congolais risque fort bien
de demeurer un droit de décoration et rejoindre ainsi les institutions
de mimétisme institutionnel qui constituent des fausses fenêtres
dont parle J.-V. Djelo Empenge Osako.
Faute d'étudier les infractions de droit commun qui
font l'objet des développements savants de brillants
pénalistes,971(*)
il est utile d'aborder ici les seules infractions politiques
érigées par le constituant de 2006.
B. Les éléments
constitutifs des infractions constitutionnelles prévues
Ici, l'on va tenter de procéder à la
manière de pénalistes pour ressortir les éléments
matériels avant les éléments intentionnels,
l'élément légal étant le texte constitutionnel.
Ainsi, le constituant incrimine les comportements constitutifs
de haute trahison. Il y a haute trahison lorsque le Président de la
République a violé intentionnellement la Constitution ou lorsque
lui ou le premier Ministre sont reconnus auteurs, coauteurs ou complices de
violations graves et caractérisées des droits de l'homme, de
cession d'une partie du territoire national.
En systématisant, l'on remarque sans peine que les
éléments matériels sont constitués dans la
violation intentionnelle de la Constitution, la violation grave et
caractérisée des droits de l'homme et la cession d'une partie du
territoire national. Chacun de ces trois éléments
matériels appelle un commentaire de notre part.
Si la violation de la Constitution est une affaire de constat
par le juge constitutionnel éventuellement saisi en
interprétation, ou statuant comme juge répressif et se trouvant
là devant une question préalable de savoir s'il y a
violation intentionnelle de la Constitution, cette question sera toujours une
question de fait laissée à la seule appréciation
souveraine du juge constitutionnel.
En effet, à partir de quel élément
peut-on inférer qu'une violation est devenue intentionnelle ? Le
juge scrutera les intentions, à notre avis, en recourant au contexte de
la violation et aux antécédents politiques du pays.
L'écriture constitutionnelle semble inférer que
seul le Président de la République demeure responsable de la
réalisation de la haute trahison par cette modalité de violation
intentionnelle de la Constitution, le premier ministre ne pouvant être
poursuivi que comme auteur, coauteur ou complice de violations graves et
caractérisées de droits de l'homme et de cession d'une partie du
territoire national.
Là aussi, les violations graves et
caractérisées des droits de l'homme sont d'une vacuité
inadmissible dans un texte incriminateur. Les violations de droits de l'homme
deviennent-elles graves et caractérisées lorsqu'elles constituent
des crimes relevant du statut de Rome de la Cour pénale internationale
c'est-à-dire les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité
et le génocide ?
Aliis verbis, qu'est-ce qu'une violation grave et
caractérisée de droits de l'homme ? C'est finalement une
question de fait que devra résoudre le juge constitutionnel
répressif. En revanche, la répétition et l'ampleur
seraient des critères plus ou moins fiables pour indiquer au juge les
caractères grave et caractérisé de la violation
incriminée. Par ailleurs, la constitution prévoyant la cession
d'une partie du territoire national972(*), il faut entendre donc par cet élément
constitutif la seule cession frauduleuse du territoire national.
En second lieu, il y a l'infraction politique d'atteinte
à l'honneur ou à la probité. Cette infraction se
réalise en deux temps : primo, lorsqu'il y a comportement contraire
aux bonnes moeurs ; secundo, lorsque les autorités publiques
visées sont reconnues responsables de malversations, de corruption ou
d'enrichissement illicite.
Ces deux éléments constitutifs posent
problème tant l'énoncé incriminateur est trop
général. En effet, le comportement personnel du chef de l'Etat ou
du premier Ministre doit être contraire aux bonnes moeurs. La notion de
bonnes moeurs est d'une relativité qui est à la fois
contextuelle, historique et géographique. L'incrimination n'étant
pas précise dans son énoncé, elle pose en effet le
problème précis de sa rationalité praxéologique.
Telle disposition perd en efficacité normative tant elle ne règle
pas de manière claire les questions de son contenu.
La seconde modalité de commission de cette infraction
pose problème également car elle postule en effet que les auteurs
présumés doivent avoir été au préalables
convaincus de malversations, de corruption ou d'enrichissement illicite pour
être ensuite poursuivis et jugés pour atteinte à l'honneur.
Telle formulation fait double emploi : un chef de l'Etat
ou un premier Ministre convaincus des infractions visées à
l'alinéa 2 de l'article 165 ne peut plus être chef de l'Etat car
aux termes de l'article 167 alinéa 1er, il aura
été déchu de ses fonctions empêchant ainsi la
réalisation de cette infraction qui exige que son auteur soit chef de
l'Etat ou premier Ministre.973(*)
En troisième lieu, il y a l'infraction de délit
d'initié qui exige les éléments constitutifs
suivants : être Président de la République ou premier
Ministre, effectuer des opérations sur valeurs immobilières ou
sur marchandises à l'égard desquelles l'on possède des
informations privilégiées et tirer profit avant la divulgation
desdites informations au public.
Il en est de même de l'achat des actions ou de la vente
des actions fondés sur des renseignements qui ne seraient jamais
divulgués aux actionnaires. Ces éléments constitutifs
n'appellent guère de commentaire particulier sauf à remarquer
qu'il s'agit de la mise en oeuvre de la disposition de l'article 96 de la
Constitution qui établit une incompatibilité des fonctions
absolue dans le chef du Président de la République974(*) alors que pour le premier
Ministre, une incompatibilité plus ou moins relative est établie
à l'égard de toutes les fonctions à l'exception des
activités agricoles, artisanales, culturelles, d'enseignement et de
recherche. 975(*)
Le constituant ne semble pas permettre que le Chef de l'Etat
surtout ait une quelconque activité professionnelle, même pas une
ferme puisqu'elle constituerait une activité agricole permise uniquement
aux membres du gouvernement.
En quatrième lieu, il y a enfin l'infraction d'outrage
au Parlement. Elle vise les éléments constitutifs suivants :
être premier Ministre, recevoir des questions posées par l'une ou
l'autre chambre du Parlement relativement à l'activité
gouvermentale et ne pas répondre dans un délai de trente jours.
C'est sans commentaire l'infraction la plus caractéristique du droit
constitutionnel congolais car elle vise à obliger le premier ministre
à répondre aux questions des autres représentants de la
Nation.
Curieuse chose, s'il en fut ; car, le premier Ministre
étant l'émanation de la majorité parlementaire, celle-ci
aura du mal à livrer son élu aux gémonies d'une
minorité politique en proie à des fortes frustrations pour
n'avoir pas reçu de réponse dans le délai.
Les éléments intentionnels ainsi que l'on l'a vu
sont de l'ordre du dol spécial. En effet, l'infracteur doit avoir eu
conscience qu'il commet une interdiction comportementale prévue par la
constitution et avoir choisi de le faire quand même. Ce catalogue
d'infractions pose aussi le problème pénal de la sanction
comminée contre les auteurs des faits punissables.
C. Problématique de la
sanction pénale
Le constituant ayant choisi de poser des normes comme
législateur pénal, il eut fallu aller jusqu'au bout de sa logique
en portant des sanctions pénales à chaque incrimination. Il
semble qu'il n'a porté que la seule sanction de déchéance
des fonctions comme peine accessoire à la condamnation. A défaut
des règles plus spéciales, l'on est autorisé à
penser que les autres normes de droit pénal ordinaire jouent ici aussi
en faveur des prévenus de la Cour constitutionnelle. L'on peut observer
déjà que contrairement à l'usage établi les
infractions qui sont portées par la loi fondamentale seront
comminées des peines prévues par une loi organique.
Enfin de comptes, le législateur organise devra
comminer des peines à chacun des comportements incriminés par le
constituant. Le régime pénitentiaire devrait être
également fixé par la même loi pou faire économie de
temps et de texte. La condamnation du Président de la République
ou celle du premier Ministre peut donner lieu à la condamnation des
personnes qui seraient coauteurs ou complices avec ces hauts dirigeants du
pays. Cette condamnation pose une autre problématique qu'il faut
étudier ici.
D. Le privilège de
juridiction et le double degré de juridiction : violation de
l'article 61 de la Constitution ?
Le privilège de juridiction, de tous temps, a
été l'apanage des plus hautes autorités du pays. Il a
été dit et ressassé que ce privilège n'en
était pas un tant le principe demeure l'égalité des
citoyens devant la justice. Il a été également
avancé que ledit privilège était établi pour
protéger le juge contre les influences dont il pourrait être
l'objet de la part des justiciables les plus fortunés ou ceux occupant
les premières places dans la Cité. L'argumentation a fait des
émules et même le constituant semble s'être rangé de
ce coté-là.
La question surgit brusquement lorsque l'on sait que les
arrêts de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d'aucun recours
alors que l'article 61 de la Constitution range le droit de recours parmi les
droits indérogeables des citoyens. Il se pose la question
théorique des deux normes constitutionnelles contradictoires.
En d'autres termes, il se posera la question de la
constitutionnalité de la loi organique sur la Cour constitutionnelle
lorsque celle-ci reprenant la disposition constitutionnelle affirmera
écarter le droit de recours contre les arrêts de cette haute
juridiction. Par le biais de la théorie de la loi-écran, la Cour
pourrait très bien décréter l'inconstitutionnalité
de cette disposition légale. Elle aura donc le choix entre
privilégier l'article 61 de la Constitution si elle est progressiste en
matière des droits de l'homme ou plus conservatrice, s'accrocher
à l'article 168 de manière viscérale.
La seconde hypothèse semble plus réaliste car
elle vise à asseoir l'autorité de la Cour constitutionnelle
qu'elle ne saurait raisonnablement saper elle-même. Au demeurant, telle
est la logique d'ensemble du système de justice constitutionnelle
instauré dans le pays et qui est dans le modèle européen
que l'on a vu plus loin.
Le problème ainsi posé se posera chaque fois
qu'un justiciable ordinaire suivra le Chef de l'Etat ou le Premier ministre
devant la Cour constitutionnelle par le mécanisme de la participation
criminelle. Ce pauvre justiciable sera condamné de manière
irrémédiable sans une seule possibilité de recours
pourtant reconnu à tous les autres citoyens. Loin d'être une
question de constitutionnalité, c'est l'égalité des
citoyens devant la justice qui est rompue et qui entraîne une
incohérence systémique.
Il n'est pas exclu de lege ferenda d'observer qu'il
est possible d'organiser à l'intérieur de la Cour
constitutionnelle une chambre d'appel pour concilier l'article 61 et les
dispositions de l'article 168 susmentionné.
Telle formule est en marche devant la justice pénale
internationale.976(*)
Ainsi, si les arrêts de la Cour constitutionnelle ne sont pas
susceptibles de recours devant une autre instance, ils demeurent
néanmoins réformables par elle-même.
La formule consisterait à introduire des recours devant
la Cour siégeant in plenum alors qu'au premier degré,
elle siégerait en formation restreinte. Il s'agit d'une anomalie qu'il
faut extirper du système de justice politique de la République
démocratique du Congo comme celle qui concerne les arrêts de la
haute Cour militaire congolaise.
* 967 Lire MAMPUYA
KANUNK'a-TSHIABO (A.), Espoirs et déception de la quête
constitutionnelle congolaise. Clés pour comprendre le processus
constitutionnel du Congo-Kinshasa, Kinshasa, Nancy, AMA.Ed-BNC, 2005.
* 968 NYABIRUNGU MWENE
SONGA, Traité de droit pénal zaïrois, Kinshasa,
éditions DES, 1989, pp.186-188.
* 969 Idem, p.187.
* 970 Lire article 164 de
la Constitution.
* 971 NYABIRUNGU mwene
SONGA, op.cit, 375 pp. ; LUKILA BOLONGO, Droit pénal
spécial, op.cit, 555 pp.
* 972 Lire l'article 214,
alinéa 2 de la Constitution du 18 février 2006.
* 973 Article 167 de la
Constitution du 18 février 2006.
* 974 Article 96 de la
Constitution.
* 975 Article 97 de la
Constitution.
* 976 Lire notamment le
traité de Rome sur la Cour pénale internationale, Codes
Larcier RDC, tome 2, Matières pénales, Bruxelles, Larcier,
2002.
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