Du contentieux constitutionnel en RDC. Contribution à l'étude des fondements et des modalités d'exercice de la justice constitutionnelle( Télécharger le fichier original )par Dieudonné KALUBA DIBWA Université de Kinshasa - Doctorat en droit 2031 |
§2. Le SénégalPays souvent cité comme modèle de réussite de décolonisation à la française, le Sénégal présente en revanche un taux fort élevé de mimétisme institutionnel surtout dans le domaine de la justice constitutionnelle. Il faut d'emblée dire que le Sénégal est demeuré longtemps dans le modèle d'une cour suprême avant d'adopter le modèle qu'il vient de rejeter avec sa dernière révision constitutionnelle. Sans aller dans les détails, l'on peut donc dire que l'exemple sénégalais est symptomatique d'une tendance effrénée au mimétisme français même si dans l'un et l'autre cas les paramètres semblent ne pas être identiques. Toutefois, le Sénégal reste, en dépit de quelques dérapages singuliers, un modèle de démocratie en Afrique noire ; à ce titre, l'étude de son type de justice constitutionnelle présente un vif intérêt suscité du reste par à la fois une proximité géographique et une parenté génétique certaine, pour paraphraser Cheikh Anta Diop.507(*) Le Conseil constitutionnel sénégalais est donc une institution publique et la plus haute instance du système judiciaire de ce pays. Il présente par le phénomène bien connu du mimétisme institutionnel du fait de la colonisation des similitudes avec le Conseil constitutionnel français que nous avons étudié plus loin. Le Conseil constitutionnel sénégalais a vu le jour en 1992 lorsque la Cour suprême a été supprimée et remplacée par trois organes spécialisés.508(*) Il est composé de cinq membres qui sont nommés par décret présidentiel pour six ans non renouvelables, dont un Président et un vice-Président. Il est partiellement renouvelé tous les deux ans, à raison de deux membres au maximum. Les membres de cet organe sont choisis parmi les anciens Premiers Présidents de la Cour suprême, le Président et les anciens Présidents du Conseil d'Etat, le Premier Président et les anciens Premier Présidents de la Cour de cassation et le Procureur général et les anciens Procureurs généraux près la Cour de cassation, les anciens Procureurs généraux près la Cour suprême, jusqu'au Présidents de section, de chambre, les avocats généraux , anciens et actuels, du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation, les Premiers Présidents et les Procureurs généraux, anciens et actuels, des Cours d'Appel. Deux membres du Conseil constitutionnel peuvent être choisis par les professeurs ou anciens professeurs titulaires des Facultés de Droit, les inspecteurs généraux d'Etat et anciens inspecteurs généraux d'Etat, les Avocats, à condition qu'ils aient au moins vingt cinq ans d'ancienneté dans la fonction publique ou vingt cinq ans d'exercice de leur profession. A ce niveau, nous ne pouvons que remarquer une prédilection tout faite en faveur des magistrats, anciens et nouveaux, au détriment des autres catégories des juristes comme les professeurs ou les hauts fonctionnaires de l'Etat. Au demeurant, la condition de l'ancienneté posée entraîne à coup sûr une gérontocratie dans les rangs des juges de la constitutionnalité. Nous en verrons la conséquence à l'occasion de l'examen de la jurisprudence de cet organe. Disons déjà ici que le Conseil constitutionnel ne peut délibérer valablement qu'en présence de tous ses membres, sauf empêchement temporaire d'un d'entre eux au plus, dûment constaté par les autres membres. Si le membre empêché est le Président, le Vice-président assure son intérim. En cas de partage de voix, celle du Président est prépondérante. 509(*) Pour être complet, il importe de signaler que les contestations en matière électorale sont dispensées du ministère d'avocat et le Conseil constitutionnel statue sans frais. S'agissant de ses compétences, le Conseil constitutionnel statue sur la constitutionnalité des règlements intérieurs des assemblées, sur celle des lois, sur le caractère règlementaire des dispositions de forme législative, sur la constitutionnalité des lois organiques, sur la recevabilité des propositions de loi et amendements d'origine parlementaire, sur la constitutionnalité des engagements internationaux, sur les exceptions d'inconstitutionnalité soulevées devant le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation et plus généralement sur tous les conflits de compétence entre le Conseil d'Etat et la Cour de cassation et entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. De par l'ampleur des attributions confiées à cet organe, l'on doit dire qu'il se distingue du juge français par la compétence qu'il détient sur l'exception de constitutionnalité et par celle de trancher les conflits d'attributions entre le Conseil d'Etat et la Cour de cassation. Par ce biais, cet organe acquière non seulement un caractère juridictionnel incontestable mais également une position juridictionnelle dans la hiérarchie judiciaire de ce pays. 510(*) En effet, le juge français, on l'a vu, est dépourvu de telles compétences même si son modèle reste valable pour le gros de compétences dévolues au juge sénégalais. L'action directe en inconstitutionnalité reste fermée aux particuliers comme dans le modèle d'origine qui conçoit le juge constitutionnel comme un organe politique511(*) chargé se surveiller la bonne exécution des lois. Il y a là une survivance très dure de l'esprit de la Constitution du 4 octobre 1958.512(*) En outre, le Conseil constitutionnel reçoit les candidatures à la présidence de la République, arrête la liste des candidats, statue sur les contestations relatives aux élections du Président de la République et des Députés à l'Assemblée nationale et en proclame les résultats. Il reçoit le serment du Président de la République et constate sa démission, son empêchement, ou son décès ainsi que la démission, l'empêchement ou le décès des personnes appelées à le suppléer dans ces cas. Par ailleurs, il exerce les compétences qui lui sont dévolues par les dispositions des articles 46 et 47 de la Constitution sénégalaise lorsque le Président de la République décide de soumettre un projet de loi au referendum ou prononce la dissolution de l'Assemblée nationale. Ajoutons que lors des élections législatives nationales, le Conseil reçoit les résultats provisoires proclamés par les Cours d'appel et statue sur les éventuels recours et réclamations et proclame les résultats définitifs. Il va sans dire qu'en agissant ainsi, il exerce à la fois le rôle d'une juridiction constitutionnelle et d'un organe constitutionnel de mise en place des institutions. S'agissant de la procédure, il sied d `indiquer qu'elle n'est pas contradictoire. Hormis le serment du chef de l'Etat et celui des membres du Conseil eux-mêmes qui se déroulent en audience publique, les audiences du Conseil ne sont pas publiques. Les intéressés ne peuvent demander à y être entendus.513(*) Du point de vue strictement procédural, le Président désigne un rapporteur lors qu'une affaire est portée au rôle du Conseil constitutionnel. Le Conseil prescrit toutes mesures d'instruction qui lui paraissent utiles et fixe les délais dans lesquels ces mesures doivent être exécutées. Une fois désigné, le rapporteur établit les documents suivants : a) une note qui résume les faits ayant donné lieu à l'affaire, expose la procédure suivie et examine les questions suivantes : la compétence, la forclusion, le désistement, l'irrecevabilité ainsi que le fond de l'affaire. La note, dans l'ordre choisi par le rapporteur, propose la solution à ces questions, s'il échet, et examine la solution à donner au fond ou plusieurs solutions si un doute persiste sur l'issue de l'affaire ; b) un projet de décision ou, le cas échéant, plusieurs projets de décisions, et un projet de sommaire ; c) des visas rédigés selon le modèle type adopté par le Conseil. Le dossier ainsi ficelé est transmis au Président du Conseil qui le porte au rôle d'une séance. Le conseil entend le rapport de son rapporteur et statue par une décision motivée. La décision est signée du Président, du Vice-président, des autres membres et du greffier en chef du Conseil constitutionnel. Elle est notifiée, aux soins du greffier en chef, au Président de la République, au Premier ministre, au Président de l'Assemblée nationale et aux auteurs du recours. Toutefois, il faut ajouter que le recours tendant à faire constater la non-conformité à la Constitution d'une loi ou d'un engagement international est présenté sous forme de requête adressée au Président du Conseil constitutionnel. La requête doit, à peine d'irrecevabilité, être signée par le Président de la République ou par chacun des députés. Elle est accompagnée de deux copies du texte de la loi attaquée. Elle est déposée au greffe contre récépissé. Lorsqu'elle émane du Président de la République, notification en est faite au Président de l'Assemblée nationale. 514(*) Lors de l'examen des moyens, le Conseil soulève d'office des moyens tenant à la violation de la Constitution qui n'auraient pas été présentés dans la contestation de la loi ou de l'engagement international. 515(*) Le Conseil se prononce dans le délai d'un mois à dater du dépôt de recours ; toutefois, aucune sanction n'est attachée au prononcé qui se ferait hors ce délai. La publication de la décision du Conseil constitutionnel constatant qu'une disposition n'est pas contraire à la Constitution met fin à la suspension du délai de promulgation de la loi et permet la ratification ou l'approbation de l'engagement international, le cas échéant après autorisation de l'Assemblée nationale. Dans les cas où le Conseil déclare que la loi dont il est saisi contient une disposition contraire à la Constitution inséparable de l'ensemble du texte de la loi, celle-ci ne peut être promulguée. En revanche, dans les cas où le Conseil déclare que la loi dont il est saisi contient une disposition contraire à la Constitution sans constater en même temps qu'elle soit inséparable de l'ensemble de cette loi, celle-ci peut être promulguée à l'exception de cette disposition, à moins qu'une nouvelle lecture n'en soit demandée. Par ailleurs, en matière d'appréciation du caractère réglementaire des dispositions de forme législative, le Conseil se prononce dans un délai de un mois qui peut être réduit à huit jours francs quand le gouvernement déclare l'urgence. Lorsque la solution d'un litige porté devant le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation est subordonnée à l'appréciation de la conformité des dispositions d'une loi ou des stipulations d'un accord international à la Constitution, la haute juridiction saisit obligatoirement le Conseil constitutionnel de l'exception d'inconstitutionnalité ainsi soulevée et sursoit à statuer jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel se soit prononcé. Le Conseil rend sa décision dans le délai de vingt jours. Si le Conseil estime que la disposition dont il a été saisi n'est pas conforme à la Constitution, il ne peut plus en être fait application. Voyons à présent ce qu'il en de l'état de la jurisprudence de ce Conseil constitutionnel eu égard à la protection des droits fondamentaux, ce qui est l'essentiel du contenu de la justice constitutionnelle. Il sied d'emblée d'affirmer que la justice constitutionnelle est le thermomètre le plus fiable pour mesurer l'état de l'Etat de droit dans un pays. Si, au Sénégal, tant de décisions de conformité ou de non-conformité sont rendues contre les lois, il n'existe guère une jurisprudence susceptible de retracer une bonne protection des droits fondamentaux. L'on peut nuancer en précisant que s'agissant des droits politiques, la minorité politique est assez souvent protégée sous les lambris du Conseil constitutionnel. Bien que le Sénégal ait été souvent cité parmi les élèves modèles de la démocratie en Afrique, il n'est pas excessif d'y voir de temps à autre des soubresauts d'une dictature larvée d'origine partisane sur un fond culturel quelquefois ethnique. Par ailleurs, le fonctionnement d'une justice constitutionnelle dans le modèle français de type préventif n'est pas de nature à favoriser un véritable contrôle de constitutionnalité qui fonde une sérieuse protection des droits fondamentaux. 516(*) En effet, cette protection postule la possibilité pour tout citoyen de s'en référer au juge sans le filtre souvent encombrant des autorités publiques seules habilitées à ce jour à saisir le juge constitutionnel.517(*) Ces dernières n'ayant guère un intérêt direct à le faire agissent au gré des conjonctures politiques très mouvantes. Aussi, les droits individuels restent-ils du domaine de l'aléa politique même si il n'est pas exclu que la Cour de cassation ou le Conseil d'Etat tant par voie principale que par voie d'un incident de constitutionnalité porté devant eux finissent par être des protecteurs attitrés de la légalité constitutionnelle lorsqu'il s'agit des individus.518(*) Le Conseil constitutionnel du Sénégal, dans sa décision du 18 juin 2009 sur la loi constitutionnelle instituant un poste de Vice-président de la République - organe constitutionnel auxiliaire, a confirmé une jurisprudence controversée : il n'a pas compétence pour contrôler une loi constitutionnelle. Une telle déclaration d'incompétence est-elle fondée en droit ? S'il avait choisi, à l'instar des Cours constitutionnelles du Mali (sa décision de censure de 2001) et du Bénin (sa décision de censure de 2006 ) ou encore du Conseil constitutionnel du Tchad (sa décision de validation de 2004 ), de statuer, aurait-il dû pour autant censurer la loi constitutionnelle attaquée ?
Deux thèses contradictoires s'affrontent : la question, fort discutée, de la contrôlabilité, de la souveraineté « sans réserve » ou « sous réserve »,519(*) du pouvoir de réviser la Constitution établie. La première, opposée à ce contrôle « hors normes », met en exergue l'absence de texte organisant l'intervention du juge constitutionnel dans le processus de révision, à titre contentieux520(*) ou même consultatif521(*). Que le juge décline sa compétence paraît inéluctable, pour deux séries de raisons. D'abord, de solides arguments théoriques sont opposés au principe même du contrôle : selon le doyen Georges Vedel, « Le pouvoir constituant dérivé n'est pas un pouvoir d'une autre nature que le pouvoir constituant initial : la Constitution lui donne sa procédure..., elle ne borne point son étendue »522(*) ; et, limiter le pouvoir de révision reviendrait à accepter un contrôle de supraconstitutionnalité, un gouvernement des juges, qui rognerait ou nierait le principe suivant lequel « un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures »523(*). En second lieu, le droit africain francophone étant communément ravalé au rang d'un droit aveuglément importé de l'ex-métropole, on voit mal comment une cour africaine pourrait se démarquer de la solution française de l'immunité juridictionnelle des lois de révision524(*). D'aucuns souligneront la sagacité du Conseil constitutionnel du Sénégal qui s'est interdit de contrôler le pouvoir parlementaire de révision dès sa décision du 9 octobre 1998525(*) précédent ainsi de manière fulgurante de quelques années la déclaration d'incompétence de son homologue de France526(*). Les tenants de la seconde thèse prétendent que le contrôle prétorien de la révision est assurément raisonnable, souhaitable et praticable dans un Etat de droit démocratique. Raisonnable, parce que la Constitution borne le pouvoir de révision : « Réviser la Constitution est le travail d'un pouvoir institué qui a reçu cette compétence du pouvoir constituant originaire. Le premier est donc subordonné au second ; son exercice n'est pas libre mais conditionné par les différentes règles de forme et de fond posées par le constituant originaire pour la révision de la Constitution ; il peut dès lors être contrôlé »527(*). Il est sans aucun doute souhaitable qu'un juge s'assure de la constitutionnalité de la révision : le législateur constitutionnel, tout comme le législateur ordinaire, peut « errer », commettre un excès de pouvoir ; seul un contrôle juridictionnel paraît en mesure d'éviter, dans les limites fixées par la loi fondamentale, une révision liberticide528(*). Enfin, le droit comparé enseigne que des juridictions ont affirmé et exercé, à des degrés divers, un contrôle de la révision, que ce soit en Allemagne, en Autriche, à Chypre, en Inde, en Italie, en Turquie ou encore dans certains Etats européens postcommunistes529(*). Qu'une Cour africaine francophone accepte de connaître d'une révision peut paraître iconoclaste au regard du droit français mais parfaitement justifié au regard de bien d'autres droits, parmi les plus avancés. Cela signifie qu'elle a su s'affranchir du modèle de l'ancienne métropole pour se donner sa politique jurisprudentielle. Peut-on, doit-on, reprocher au Conseil constitutionnel du Sénégal de souscrire à la première thèse, de faire preuve d'une absolue déférence à l'égard du pouvoir de révision, reconnu comme le maître de la Constitution ? Rien n'est moins sûr, car la position inverse pose de redoutables problèmes de droit, au point de faire douter de l'utilité du contrôle prétorien de la révision dans un Etat de droit démocratique. L'autohabilitation à contrôler une loi constitutionnelle implique non seulement la découverte d'un titre de contrôle singulier, mais encore la définition des normes au regard desquelles le contrôle de la révision est opéré. C'est au contrôleur de fixer l'ampleur de sa tâche, de livrer la représentation qu'il se fait du pouvoir contrôlé. Ou bien le législateur constitutionnel, à l'instar du législateur ordinaire, est astreint au respect d'un bloc de constitutionnalité hypertrophié, comportant des principes non écrits, et alors un contrôle tatillon risque de l'entraver inconsidérément. Ou bien il est soumis à un corpus réduit de normes530(*), au respect des seuls interdits exprès du Constituant, et alors le contrôle, très mesuré, lui garantit une très large liberté de décision. La seconde option peut légitimement apparaître comme la plus convenable. Utilisons cette grille de lecture pour apprécier la dernière affaire de révision soumise au Conseil constitutionnel du Sénégal et imaginons que le Conseil ait opéré un revirement de jurisprudence, en accueillant le recours en inconstitutionnalité en la forme. Il serait alors pour le moins hardi d'affirmer que le Conseil aurait dû faire droit aux moyens en inconstitutionnalité articulés par les requérants. Sauf à considérer que l'activisme du juge constitutionnel est toujours préférable à sa réserve... Les opposants prétendaient d'abord que la procédure de révision était irrégulière, car le règlement du congrès du Parlement n'avait pas été, au préalable soumis au Conseil constitutionnel, pour contrôle de sa constitutionnalité. La Constitution, en son article 62, suspend bien la promulgation (sic) - et non la mise en application - du règlement intérieur de chaque assemblée à ce contrôle. Seulement, cet article est inclus dans le titre VI- Du Parlement et peut être lu au regard de l'article 59 retenant comme seules « assemblées représentatives de la République du Sénégal » l'Assemblée Nationale et le Sénat. Le congrès du Parlement, quant à lui, est une assemblée de révision à part, exclusivement prévue par le Constituant au titre XII- De la révision. Autrement dit, pour décider que le congrès du Parlement doit être régi par un règlement intérieur obéissant à l'article 62, le Conseil constitutionnel du Sénégal aurait dû faire siennes la pratique et la jurisprudence constitutionnelles françaises, qui se sont greffées sur un texte rédigé bien différemment531(*)... Et une hypothétique « francisation » n'aurait pas ébranlé la volonté de révision : le règlement du congrès du Parlement aurait pu être aisément purgé du vice de procédure, tout vice de ce genre étant réversible par nature. Les requérants alléguaient ensuite que le pouvoir de révision aurait dû inclure le Vice-président dans la liste constitutionnelle des institutions de la République, car le « poste dédouble celui du Président de la République qui a prêté le serment prévu à l'article 37 et relève d'une « profanation voire d'une dénaturation des institutions constitutionnelles ». Le moyen aurait eu fort peu de chances de prospérer, dès lors que la Constitution ne fait peser sur le pouvoir de révision ni une obligation particulière sur le contenu de la liste en cause, ni même l'obligation générale de maintenir une Constitution politique cohérente. Enfin, on voit mal ce qui dans la Constitution interdisait au pouvoir de révision d'habiliter le Président de la République à déléguer certains de ses pouvoirs au Vice-président, dont celui de signer des ordonnances et des décrets. A moins de considérer qu'en l'absence de tout texte il était défendu de procéder à la création, par voie de révision constitutionnelle, du poste en question. Ne s'agirait-il pas alors d'une question purement politique, insusceptible d'être réglée dans un prétoire constitutionnel ? Ces affirmations trouvent leur légitimité dans la sécheresse jurisprudentielle que constate par ailleurs Evariste Boshab.532(*) Mais au-delà de cette constatation malheureuse, il reste que le Sénégal mérite les encouragements de la doctrine au moment où l'idéologie libérale est devenue le credo de plus de la moitié de l'humanité. Le pays de Senghor a le mérite, disons-le, d'avoir été dès 1960, un Etat détenant une élite intellectuelle parmi les meilleures de l'Afrique noire. Le mimétisme institutionnel, quoique combattu par une très grande frange de la doctrine, semble avoir dans ce pays rencontré les ferments d'une expérience jusque là heureuse. Sur cette voie, depuis la Conférence nationale souveraine qu'il a inaugurée en Afrique noire, il y a le Bénin dont l'étude de la justice constitutionnelle s'impose ici. * 507 Lire avec fruit, CHEIKH ANTA DIOP, Nations nègres et culture. De l'antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l'Afrique noire d'aujourd'hui, tome II, Paris, Présence Africaine, 1979. * 508 Voir la Loi n°92-23 du 30 mai 1992, modifiée par la loi organique n°99-71 du 17 février 1999 citée in http : www.gouv.sn/institutions/conseil_const.html consultée le 27 février 2008. * 509 Il est donc possible que le vote se fasse par un siège en nombre pair en cas d'empêchement temporaire dûment constaté de l'un des membres ou que le Conseil ne fonctionne plus dès lors que plus d'un membre sont empêchés. * 510 Lire à ce sujet, CAMARA (O.), « La Cour suprême du Sénégal » in CONAC (G.) (sous la direction de), Les cours suprêmes en Afrique, Paris, Economica, 1988, p.307. * 511 Voy MPONGO BOKAKO BAUTOLINGA (E.), Institutions politiques et droit constitutionnel, op.cit, p.238. * 512 Lire MOUHAMADOU MOUNIROU SY, La protection constitutionnelle des droits fondamentaux en Afrique, L'exemple du Sénégal, Paris, L'Harmattan, 2007, 564 p. * 513 Là aussi un fort mimétisme avec le Conseil constitutionnel français est à remarquer. Se justifierait-il au demeurant par les mêmes raisons que le constituant français, par ses dix-huit sources, évoque, soit sa méfiance vis-à-vis du pouvoir judiciaire qu'il a appelé simplement autorité judiciaire chargée donc d'appliquer la loi, seule expression légitime de la souveraineté nationale ? Telle théorie possède-t-elle les mêmes béquilles en droit sénégalais ? Rien n'est moins sûr. * 514 Ces détails purement techniques indiquent à notre sens que le constituant sénégalais, a, par le texte organique du Conseil constitutionnel, voulu et pu limiter les manoeuvres politiciennes en obligeant ainsi les autorités politiques à signer leur requête c'est-à-dire à politiquement assumer la responsabilité de la crise ainsi ouverte. En effet, s'agissant du chef de l'Etat, par exemple, une requête signée par lui contre une loi signifie qu'il est en contradiction majeure avec la majorité parlementaire qui l'a votée. Le Chef de l'Etat sera enclin selon les augures du moment à plus de circonspection surtout lorsqu'il n'est pas sûr de renverser la majorité ainsi solidement établie. Par contre, s'il contredit sa propre majorité par voie de requête, cela veut tout au moins signifier qu'il a perdu les rênes de celle-ci. * 515 Pour tous les détails sur la justice constitutionnelle sénégalaise, lire avec profit Ibrahima ANNE, « Justice. Une réforme, pour quoi faire ? », Wal Fadjiri, 6 août 2007. * 516 Lire avec intérêt MOUHAMADOU MOUNIROU SY, La protection constitutionnelle des droits fondamentaux en Afrique, L'exemple du Sénégal, Paris, L'Harmattan, 2007. * 517 Idem, pp.17-21. * 518 S'en reporter aux développements précédents idoines relatifs à la justice constitutionnelle allemande entre autres et leurs conséquences sur les droits fondamentaux des citoyens et même des étrangers vivant en Allemagne. Ce modèle très protecteur semble n'avoir pas attiré l'attention du constituant sénégalais enclin en revanche à imiter le modèle jacobin du Conseil constitutionnel plutôt protecteur de l'autorité que de la liberté. Ce couple conceptuel « liberté-autorité » a donné lieu à une littérature juridique et politique abondante qu'il ne sied guère de développer ici. * 519 Pour reprendre le distinguo retenu par JAN, (P.) La saisine du Conseil constitutionnel, Paris, LGDJ, 1999, p. 343, au vu de la décision 92-312 DC, 2 septembre 1992, Rec. P. 76, du Conseil constitutionnel français. * 520 Au Burkina Faso (Constitution de 1991 révisée, art. 154 ; loi organique n°011-2000/AN du 27 avril 2000, art. 34 à 36), le Conseil Constitutionnel veille au respect de la procédure de révision : s'il estime fondée une contestation, le Conseil a le pouvoir d'arrêter la procédure ou d'annuler la loi de révision. * 521 Au Gabon (Constitution de 1991 révisée, art. 116 ; loi organique n°9/91 du 26 septembre 1991, art. 57 et 58), la Cour constitutionnelle émet un avis simple, sans grand intérêt pratique, sur tout projet ou proposition de révision, quant à la régularité de la procédure et à sa compatibilité avec la Constitution dans son ensemble. Au Congo Brazzaville (Constitution de 2002, art. 186), la Cour Constitutionnelle émet un « avis de conformité », avant l'approbation référendaire d'un projet ou d'une proposition ; cet avis lie le pouvoir de révision. * 522 VEDEL (G.), « Schengen et Maastricht », RFDA, 1992, p. 179. * 523 France, Constitution de 1793, art. 28. * 524 France, Conseil Constitutionnel, décision 2003-469 DC, 26 mars 2003, Rec. p. 293. Voir les commentaires parus à la RDP, n°3-2003, et à la RFDC, 2004, n°59. * 525 Dans sa décision du 9 octobre 1998 sur l'affaire n°9/C/98, le Conseil Constitutionnel se déclare incompétent pour statuer sur une loi de révision touchant à la rééligibilité à la Présidence de la République et à la réglementation de la compétition présidentielle. Il confirme cette jurisprudence, dans sa décision du 18 janvier 2006 sur l'affaire n°3/C/2005, concernant une loi constitutionnelle prorogeant le mandat des députés élus. * 526 Sur ce genre d'anticipation jurisprudentielle, voir FALL (A.B.), « Le droit africain a-t-il sa place en droit comparé ? », in Le devenir du droit comparé en France (Journée d'études à l'institut de France, 23 juin 2004), J. du Bois de Gaudusson (dir.), Presses universitaires d'Aix-Marseille, 2005, p. 168 et s.. * 527 ROUSSEAU (D.), Droit du contentieux constitutionnel, 7ième édit., Paris, Montchrestien, 2006, p. 217. * 528 Voir SABETE (W.), Pouvoir de révision constitutionnelle et droits fondamentaux. Etude des fondements épistémologiques et européens de la limite matérielle du pouvoir constituant dérivé, Presses universitaires de Rennes, 2006. * 529 Voir La révision de la constitution, (Journées d'études des 20 mars et 16 décembre 1992, Travaux de l'AFDC), Paris, Economica, PUAM, 1993, « Justice constitutionnelle et révision de la constitution », IXième table ronde internationale d'Aix-en-Provence, septembre 1994, Annuaire international de justice constitutionnelle IX-1994, Paris, Economica, 1995, BOISSY (X.), La séparation des pouvoirs oeuvre jurisprudentielle. Sur la construction de l'Etat de droit postcommuniste, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 433 et s., GOZLER (K.), Le pouvoir de révision constitutionnelle, Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1997, KLEIN (C.), Théorie et pratique du pouvoir constituant, Paris, PUF, 1996, PAPASAVVAS (S.S.), La justice constitutionnelle à Chypre, Paris, Economica, PUAM, 1998, p. 155 et s., et PINI (J.), « La Cour constitutionnelle autrichienne et les rapports entre juge constitutionnel et pouvoir constituant », Cahiers du Conseil Constitutionnel, n°7-1999, p. 47 et s. . * 530 FAVOREU (L.), « Le principe de constitutionnalité. Essai de définition d'après la jurisprudence du Conseil constitutionnel », in Mélanges Charles Eisenmann, Paris, Cujas, 1975, p. 37 et suivantes relève que la « composition du bloc de constitutionnalité varie selon la nature des actes soumis au contrôle ». * 531 Voir http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-par-date/1963/63-24-dc/decision-n-63-24-dc-du-20-decembre-1963.6590.html * 532 BOSHAB (E.), Note d'observation, Revue de droit africain, Bruxelles, n°26, avril 2003, pp.265-271. |
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