Du contentieux constitutionnel en RDC. Contribution à l'étude des fondements et des modalités d'exercice de la justice constitutionnelle( Télécharger le fichier original )par Dieudonné KALUBA DIBWA Université de Kinshasa - Doctorat en droit 2031 |
§3. Le BéninLa Cour constitutionnelle du Bénin est la plus haute juridiction du pays en matière de constitutionnalité. En effet, c'est l'organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l'activité des pouvoirs publics. La Cour est ainsi composée de sept membres dont quatre sont nommés par le bureau de l'Assemblée nationale et trois par le Président de la République pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. La Cour constitutionnelle comprend ainsi : trois magistrats ayant une expérience de quinze années au moins dont deux sont nommés par le bureau de l'Assemblée nationale et un par le Président de la République ; deux juristes de haut niveau, professeurs ou praticiens du droit, ayant une expérience de quinze années au moins dont un est nommé par le bureau de l'Assemblée nationale et un par le Président de la République ; deux personnalités de grande réputation professionnelle nommées l'une par le bureau de l'Assemblée nationale et l'autre par le Président de la République. Le président de cette Cour est élu par ses pairs et ce, parmi les magistrats et juristes membres de la Cour. A ce niveau, l'on peut déjà noter que le gros des membres de la Cour est nommé par le bureau de l'Assemblée nationale qui lui-même est élu par la majorité siégeant dans cette chambre. Ceci nous amène déjà à nous poser la question de l'efficacité du contrôle juridictionnel des expressions législatives de la majorité politique du moment que la Cour reste en grande partie tributaire de l'onction électorale de cette dernière. Comme dans tout système politique respectueux des formes, les fonctions de membres de la Cour constitutionnelle sont incompatibles avec la qualité de ministre de la République, l'exercice de tout mandat électif, de tout emploi public, civil ou militaire, et de toute autre activité professionnelle. Depuis l'installation de cette Cour et les nominations qui suivirent en 1998, Madame Conceptia Liliane Denis Ouinsou, juriste et agrégée de droit privé a battu le record de longévité tant comme membre que comme chef de cette haute juridiction.533(*) Cette composition appelle néanmoins une observation capitale : les juristes sont favorisés naturellement dans la mesure où il s'agit d'une juridiction et dans la mesure où ils ont les faveurs recueillies dans les allées du pouvoir. La conséquence est que les meilleurs juristes risquent de demeurer sur le bord de la route tant que la caravane de la Cour ne leur est pas favorable. Il ne demeure pas moins que la Président de la République, dans l'hypothèse d'une cohabitation- hypothèse hélas trop fréquente en Afrique et au Bénin à cause de la disparité des tribus et l'osmose presque organique qu'elles entretiennent avec les partis politiques-, sera enclin à nommer les personnalités très proches de son courant. Ce qui entraînera à coup sûr une majorité et une minorité au sein de la Cour. Telle Cour est à vrai dire loin d'être une juridiction mais ressemblera certainement à une arène politique où les gants du droit ne seront pas portés par les protagonistes. S'agissant du contrôle de constitutionnalité, il convient de souligner que la saisine est ouverte à tout citoyen pour les lois, les textes réglementaires, les actes administratifs et la violation des droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques.534(*) Avant la promulgation des lois ou la mise en application des règlements des assemblées, le Président de la République, tout membre de l'Assemblée nationale, les Présidents des institutions peuvent, chacun en ce qui le concerne, selon le cas, saisir la Cour constitutionnelle. Pour l'autorisation de ratification des engagements internationaux, le Président de la République ou le Président de l'Assemblée nationale peut saisir la Cour constitutionnelle. Il faut noter cependant que le juge béninois se saisit d'office en cas de violation des droits de la personne humaine et des libertés publiques. L'on peut à ce niveau se poser la question de savoir pourquoi le législateur suprême béninois utilise les deux termes : droits de la personne et libertés publiques.535(*) A notre avis, les libertés publiques étant celles portées par les textes de droit positif, les droits de la personne humaine relèvent plutôt du droit naturel. Vieux débat s'il en est, le constituant semble n'avoir pas voulu le trancher en prenant position pour une conception plutôt étendue des droits de l'homme, qu'il fût citoyen ou simple être humain. Ceci s'explique également par la vague qui s'est déferlée sur ce pays à l'issue de la conférence nationale souveraine et qui fut porteuse des espoirs de tout un peuple pour le retour à une démocratie basée sur les droits de l'homme.536(*) En matière électorale, tout citoyen peut saisir la Cour, avant le scrutin, sauf si la loi y apporte quelque limitation. Après le scrutin, les réclamations ne sont pas admises avant la date de la proclamation des résultats, sous peine de voir la requête déclarée irrecevable parce que prématurée. Pour être prise en considération, toute réclamation relative aux opérations de vote le jour du scrutin doit être rédigée par le ou les électeurs pour être annexée au procès-verbal de déroulement du scrutin établi à l'issue du vote et à transmettre à la Cour constitutionnelle. Ajoutons pour être complet qu'après la proclamation des résultats, la nature de l'élection détermine la qualité du requérant. Ainsi, pour les élections législatives, la saisine est ouverte aux personnes inscrites sur les listes électorales et aux candidats de la circonscription où a lieu l'élection contestée dans les dix jours qui suivent la proclamation des résultats par la Cour constitutionnelle, sauf cas particuliers.537(*) En revanche, toute requête introduite après les dix jours suivant la proclamation des résultats sera déclarée, sauf cas particuliers, irrecevable pour tardiveté. Pour ce qui est de l'élection présidentielle, la saisine est ouverte à tout candidat au premier tour du scrutin ; au second tour, seuls les deux candidats sont admissibles à saisir la Haute Juridiction. S'agissant de l'exercice de sa fonction consultative, seul le Président de la République et le Président de l'Assemblée nationale peuvent saisir la Cour constitutionnelle en demande d'avis. Il va de soi qu'aucun citoyen ne peut saisir cette dernière en demande d'avis faute évidemment de qualité.538(*) L'on peut avant de conclure ces quelques lignes montrer que la Cour béninoise a la réputation de probité, de compétence et d'incorruptibilité.539(*) Cette caractérisation flatteuse est l'oeuvre des hauts magistrats qui y ont siégé sous la présidence éclairée de Madame Conceptia Ouinsou pendant dix ans. La lecture de sa jurisprudence déjà abondante indique, aux dires d'Evariste Boshab540(*), parfois un rigorisme qui s'explique par une gésine toute fraîche de la démocratie. 541(*) Après une décade d'exercice, la justice constitutionnelle semble avoir marqué les esprits et obtenu ses lettres de noblesse en matière de protection des droits fondamentaux de la personne humaine. A preuve, l'on peut indiquer quelques décisions saillantes recensées par la doctrine africaine la mieux informée.542(*) La Cour constitutionnelle du Bénin a rendu, durant l'été 2009, une remarquable décision de censure confirmant sa suprématie sur le juge ordinaire « en matière de droits de l'homme », autrement dit chaque fois qu'elle constate une violation de la Constitution sociale. Par décision DCC 09-087 du 13 août 2009, la haute juridiction a, en effet, déclaré « contraire à la Constitution » l'Arrêt n° 13/CJ-CT du 24 novembre 2006 de la Chambre Judiciaire de la Cour Suprême rendu dans l'affaire opposant les consorts Atoyo Alphonse aux consorts Sophie Aïdasso. Produit du cheminement de la jurisprudence constitutionnelle depuis 1992, la décision DCC 09-087 du 13 août 2009 répond aux exigences inhérentes à la consolidation d'un Etat de droit sophistiqué, où, loin de solutionner le problème crucial des "contrariétés entre les décisions des cours administrative, judiciaire et constitutionnelle"543(*), l'application à la lettre du texte suprême - la Constitution du 11 décembre 1990 - engendre contradictions et désordres. Au nom d'une loi fondamentale qui reconnaît l'indépendance mutuelle de la Cour Constitutionnelle et de la Cour Suprême, tout en valorisant la protection des droits de l'homme, la première affirme sa suprématie sur la seconde dans ce domaine éminent. La Constitution du 11 décembre 1990 a remodelé la judicature du Bénin : elle a instauré, à côté et en dehors de l'appareil ordinaire coiffé par la Cour Suprême - un ordre juridictionnel unique avec dualité de contentieux -, une puissante Cour Constitutionnelle - dotée de très larges compétences contentieuses. Le texte suprême sépare organiquement et, surtout, fonctionnellement les deux hautes juridictions : leurs compositions sont très différenciées ; aucune relation n'est aménagée entre elles ; chacune est souveraine dans son domaine de compétences. Une sorte de mur de Berlin tenu pour infranchissable. Dans un premier temps, nonobstant l'inévitable enchevêtrement des contentieux et les risques de contradictions entre les jurisprudences, la Cour Constitutionnelle s'est strictement conformée au principe textuel de l'indépendance mutuelle des deux cours suprêmes. Dans sa décision n°13 DC du 28 octobre 1992, le Haut Conseil de la République faisant office de Cour Constitutionnelle a, ainsi, décliné sa compétence pour, en l'espèce, connaître de l'arrêt d'une Cour d'assises et pour, en général, « réformer les décisions de justice ». Cette position de principe a été réaffirmée, non sans embarras, dans l'affaire Campbell : par décision DCC 11-94 du 11 mai 1994, la Cour constitutionnelle a d'abord jugé que l'article 131 alinéas 3 et 4 de la Constitution de 1990 lui interdisait de statuer sur un arrêt de la Cour Suprême, faisant l'objet d'une plainte en violation de droits de la défense, et ce malgré les articles les articles 117 alinéa 4, 120 et 121 alinéa 2 de la Constitution de 1990 qui « donnent compétence exclusive à la Cour constitutionnelle pour statuer sur les violations des droits de la personne humaine » ; la Cour, dans une seconde décision DCC 95-001 du 6 janvier 1995, a ensuite confirmé son incompétence ... tout en déclarant qu'elle aurait constaté une violation des droits de la défense, si la Constitution le lui avait permis. La Cour suprême gardienne de la Constitution considérait qu'elle ne pouvait, sans en méconnaître le texte, renverser une solution grosse d'incohérences et d'absurdités, préjudiciable au justiciable et à ses droits garantis par la Constitution. Ce sont ces impasses de l'indépendance mutuelle des deux cours suprêmes, qui apparaissent à la lecture de la décision DCC 98-021 du 11 mars 1998. Commandée par une interprétation littérale de la loi fondamentale, la solution de principe de la Cour Constitutionnelle nuisait au justiciable et à l'autorité de la justice constitutionnelle. Elle a fini par être abandonnée. La Cour constitutionnelle a opéré le revirement de jurisprudence attendu en 2003 : après avoir réaffirmé, dans sa décision DCC 03-79 du 14 mai 2003, l'immunité des décisions de justice, la Cour a averti, par décision DCC 03-166 du 11 novembre 2003, que cette immunité ne couvrait pas les décisions de justice qui, violant les droits de l'homme, devaient être regardés comme des « actes » contestables devant elle par tout citoyen, au sens de l'article 3 alinéa 3 de la Constitution de 1990. Pour sortir des impasses de l'indépendance mutuelle des cours suprêmes, découlant des articles 124 alinéa 2 - autorité de chose jugée des décisions de la Cour Constitutionnelle - et 131 alinéa 3 - autorité de chose jugée des décisions de la Cour Suprême -, le juge constitutionnel a ainsi convoqué la disposition emblématique du Renouveau démocratique au Bénin qui institue une actio popularis, à l'origine de nombre de ses « grandes » décisions. Après s'être autoproclamée la plus suprême des cours suprêmes en matière de droits de l'homme, la Cour constitutionnelle a conforté son audace interprétative, en sanctionnant la méconnaissance du principe jurisprudentiel de sa suprématie relative. D'abord, à l'occasion de sa décision DCC 04-051 du 18 mai 2004, pour censurer une formation de la Cour d'Appel de Cotonou siégeant en matière civile traditionnelle, auteur d' « une fraude au droit de la défense ». Ensuite, à l'occasion de sa décision DCC 09-087 du 13 août 2009, pour censurer la Cour Suprême. Cette dernière décision est une nouvelle manifestation de la modernisation du droit par le juge constitutionnel, car la Cour constitutionnelle y condamne, avec fermeté, l'obstination du juge judiciaire à se référer au Coutumier du Dahomey, déclaré sans force exécutoire par décision DCC 96-063 du 26 septembre 1996 , en l'occurrence la « rébellion » de l'une des parties et de la Cour suprême à l'égard de sa décision DCC 06-076 du 27 juillet 2006. Désormais, tout Béninois en litige devant une juridiction non seulement a la faculté de se plaindre devant la Cour constitutionnelle de tout acte juridictionnel qui méconnaîtrait les droits de l'homme, mais encore peut escompter la sanction par elle de tout abus caractérisé du pouvoir judiciaire. Un progrès de taille ! Vertement critiquée pour son interprétation, voire sa réécriture, de la Constitution politique, la Cour Dossou, héritière des mandatures antérieures, fait incontestablement oeuvre utile sur le terrain de la Constitution sociale : après la mise hors la Constitution de la répression pénale de l'adultère, la décision DCC 09-087 du 13 août 2009 s'inscrit, sur le plan des principes, dans la lignée de l'historique décision sur le code des personnes et de la famille. Et ce, pour le plus grand profit des femmes béninoises !544(*) Toute cette expérience institutionnelle d'autres pays d'Afrique et du monde nous amène au moins à imaginer un type institutionnel pour la République démocratique du Congo. Dans un pays qui est longtemps resté en marge d'une constitutionnalité vétilleuse tant les violations de la Constitution étaient légion et les droits de l'être humain du domaine de la programmation politique, est-il scientifiquement fondé de faire du copier-coller ? Il nous semble en effet nécessaire de fonder un nouveau type de justice constitutionnelle qui soit apte à régler le contentieux politique et constitutionnel d'un pays qui est sorti à peine des limbes du monopartisme avec sa cohorte de mépris de droits humains et des affres des guerres subséquentes à cet état de choses. Ne dit-on pas qu'on n'invente pas la roue ? Cela est-il vrai en matière de machinerie institutionnelle ?545(*) Le choix est ainsi à opérer entre le mimétisme facile et l'innovation à tout vent susceptible à sont tour d'évacuer l'essence universelle de la notion même de justice constitutionnelle. La thèse est ici que la nécessité fait loi en ce que au-delà de ce qui est aujourd'hui admis, le pays ressent le besoin d'acquérir une justice qui soit fondée tant sur son histoire que sur sa possibilité à la dépasser pour satisfaire ses spécificités. * 533 Elle vient d'être remplacée au courant du mois de mai 2008 par le bâtonnier Robert DOSSOU. * 534 L'usage doctrinal de deux expressions procède, peut-être, vu les conditions matérielles de la production constitutionnelle béninoise, d'une option conceptuelle qui inclut à la fois les considérations du droit naturel auxquelles ressortit la notion des droits de la personne et celles du droit positif tant national qu'international auxquelles se rattache la terminologie de libertés publiques. Là ne gît pas une innovation du constituant béninois. * 535Les explications ci-avant pourraient fonder l'emploi de deux termes dans la mesure où ils sont englobants et donc protègent mieux les droits humains quelle que soit leur origine. * 536 En analysant les décisions de la Cour constitutionnelle béninoise, Evariste BOSHAB nous prévient qu'il ne faudrait pas perdre de vue que ce pays se passa de constitution de 1968 à 1977 et de ce fait, le rigorisme des juges peut bien s'expliquer. Lire BOSHAB (E.), Note d'observation, Revue de droit africain, n°12, octobre 1999, Bruxelles, p.583. * 537 Lire l'article 55 de la Loi organique. * 538 Ibidem. * 539 Il s'agit d'une affirmation que nous avons trouvée sur le site Wikipedia. Elle a l'autorité toute relative de la chose écrite par une personne qui n'a pas révélé son identité. * 540 En effet, cet auteur tout en encourageant les efforts de nouvelles cours constitutionnelles africaines, souligne le danger de passer d'un extrême à l'autre. Lire BOSHAB (E.), Note d'observation, Revue de droit africain, Bruxelles, n°12, octobre 1999, p.584. * 541 Idem, p.584. * 542 BOSHAB (E.), Note d'observation, Décision n°98-009 du 16 janvier 1998, Revue de droit africain, Bruxelles, n°12, octobre 1999, pp. 581-584. * 543 Analysé avec brio, en 2004, par Conceptia OUINSOU, la Présidente de la Cour Constitutionnelle. * 544 Lire BOLLE (S.), « Constitution, dis-moi qui est la plus suprême des cours suprêmes », in La Constitution en Afrique, sur le site web www.la-constitution-en-afrique.org consulté le 24 novembre 2009. * 545 Lire DJOLI ESENG'EKELI (J.), op.cit, pp.367-392. |
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