4.1.3.4.2 Genèse
La notion de communauté de pratique est très
récente. Elle est apparue au début des années 90 avec
l'avènement de l'Internet et de nouveaux logiciels et
outils technologiques qui ont remis en question notre rapport
au savoir et à la connaissance. Ce concept a été
formalisé en 1990 par Jane Lave et Etienne Wenger (1991) qui, dans leurs
recherches « Theory of Commnunities of practice »
définissaient une nouvelle approche de partage de connaissances.
Lave est anthropologue et Wenger est informaticien. Leur
concept de LPP (Legitimate Peripheral Participation) introduit la notion de
communauté de pratique permettant des relations entre des «
nouveaux » et des « anciens » dans le cadre d'un apprentissage
relevant toujours d'un processus d'échanges hautement socialisé
entre les acteurs ; une nouvelle approche de partage de connaissances tirant
parti des technologies de l'information et de communication. Ils ont
publié également une étude phare sur l'importance de
l'accompagnement et de l'encadrement dans l'apprentissage d'une pratique
professionnelle.
Il s'agissait dès le départ de démontrer
que tout débutant ou "bleu" devait transiter par des zones d'incubation
lui permettant d'expérimenter diverses facettes d'une pratique, avant
d'être considéré comme un professionnel. Selon Suchman
(1987), ce type d'approche insiste fortement sur le contexte dans lequel se
situe l'apprentissage et permet de lui donner du sens. En d'autres termes,
c'est dans un environnement se rapprochant le plus d'une véritable
situation professionnelle que le débutant acquiert les connaissances,
les habilités et les attitudes requises dans la pratique.
Tous ces phénomènes, qui relèvent au fond
du sens commun, sont bien connus des artisans et leurs apprentis, non pas en
théorie mais justement en pratique, et cela au moins depuis le Moyen
Age.
Lave et Wenger (1991) montrent que c'est dans l'interaction,
la relation inter individuelle et la coopération qu'on observe la
production des fameuses et précieuses connaissances tacites, difficiles
à formaliser, donc à stocker dans un coin pour
récupération ultérieure. Mais, résultat plus
bénéfique encore, les connaissances produites par les individus
et les groupes eux-mêmes, en situation professionnelle, seront plus
facilement mobilisables lorsqu'il s'agira d'effectuer d'autres travaux.
A la même époque, la publication de la fameuse
recherche de John Seely Brown et P. Duguid (1991) sur les réparateurs
des photocopieurs de Xerox a donné un coup accélérateur
à ce mouvement international venu des Etats-Unis et porté par les
entreprises, les consultants et les universitaires. L'un des grands
résultats de ces travaux consistait à montrer que pour
réparer des photocopieurs Xerox (qui tombaient très souvent en
panne, plus que les machines concurrentes, selon la légende), les
connaissances essentielles se communiquaient de façon totalement
informelle entre les techniciens de maintenance. Ce savoir informel, qui porte
plus de 70% de l'information utile dans une organisation, était issu de
l'expérience et de l'échange. Autrement dit, une part majeure des
connaissances se construisait près des photocopieuses en
réparation ou encore pendant la pause, près de la machine
à café, c'est-àdire en dehors des temps et des salles de
formation traditionnelle. Ces réseaux interpersonnels ont fini par
donner naissance en 1996 à une communauté de pratique
dénommée « Eureka » qui regroupe aujourd'hui 23.000
techniciens et 1100 experts répartis dans plus de 130 pays. Grâce
à Eureka, les intuitions de chacun ont commencé à se
transformer en savoirs explicites utilisables par tous. Les techniciens
réalisent à quel point ils peuvent être utiles en ayant
accès au savoir-faire des autres.
Cela étant, c'est toujours la figure de proue Wenger
(1998) qui a fait connaître les qualités des communautés de
pratique dans leur version technologique actuelle, c'est-à-dire quand
l'apprentissage passe par des échanges en réseaux et du travail
en ligne.
Dans ses recherches, Wenger remet en cause la domination
technologique sur les efforts de gestion de savoirs qui a conduit à des
accumulations malheureuses de bases de données et de connaissances
inutilisées et dépassées. Il fait de la connaissance
quelque chose de vivant au lieu de la réduire à la mémoire
d'un ordinateur, quelque chose appartenant à des communautés
aptes à maintenir, à développer et à partager ces
connaissances.
C'est à peu près à la même
époque que d'autres chercheurs, parmi lesquels Thomas Davenport et Larry
Prusak (1998), montraient qu'une organisation devenait collectivement plus
« intelligente » lorsqu'elle était capable de mettre
quotidiennement en réseau tous les acteurs d'une pratique bien
identifiée. Il s'agissait d'organiser des réseaux collaboratifs
pour gérer, partager et construire en suivant un
échéancier prescrit, des informations et des connaissances
favorisant des résolutions des problèmes. La ligne de
démarcation semble ainsi de plus en plus ténue entre la formation
académique, dispensée par des universités qui en font
métier et l'apprentissage, développé au sein même
des organisations où des gens produisent.
Dans tous les cas, il faut acquérir et élaborer
des savoirs, en face à face ou en ligne. Il faut aussi collaborer pour
construire des connaissances. Avec les technologies de l'information et de la
communication, la mise en réseau via des ordinateurs
interconnectés et les outils de communication électronique, tout
cela devient un facteur décisif pour ces « nouvelles formes
d'organisation » fondées sur l'accessibilité, la
communication et le partage des ressources.
Comme nous venons de le voir, les communautés de
pratique sont donc une tentative de fusionner apprentissage et partage des
connaissances. Ce concept de communauté de pratique a pris forme autour
d'une problématique d'apprentissage, ce dernier étant
considéré comme un processus construit dans un contexte
donné, par interactions sociales entre des personnes. Ce sont ces fameux
liens sociaux et ces situations professionnelles communes qui sont
partagées dans les communautés de pratique. Ceux-ci font
largement défaut dans les démarches complètement
centrées sur les technologies et stocks d'informations qui ont
caractérisé les premiers projets de Knowledge Management.
Comme le souligne Richard Mc Dermott (2003), la
création de communautés de pratique permet d'identifier et de
diffuser les pratiques développées par les employés d'une
entreprise ou d'un domaine pour favoriser la résolution collective de
problèmes difficiles ou pour susciter des idées nouvelles.
Elles sont constituées des pairs possédant de
l'expertise sur une question donnée ou montrant un fort
intérêt pour celle-ci. Les membres d'une communauté de
pratique ne travaillent pas forcément ensemble au quotidien mais ils
approfondissent leurs connaissances d'un sujet en échangeant les uns les
autres sur une base continue, que ce soit lors de réunions formelles,
d'activités sociales ou par l'entremise de l'internet.
Au fil des ans, les communautés de pratique ont
évolué pour devenir de véritables instruments au service
de la gestion des connaissances. Elles permettent de capturer, de partager et
d'appliquer les actifs de savoir des organisations. Elles sont, selon plusieurs
consultants, l'assise de toutes stratégies en gestion de
connaissances.
A l'heure actuelle, les vrais retours d'expérience
commencent à peine à être publiés, souvent venus du
côté anglo-saxon. On commence aussi à les appliquer d'une
part au monde de l'éducation (on parle de communautés
d'apprentissage) et d'autre part à les exporter dans le monde de
l'entreprise ( on parle ainsi de communautés de pratique).
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