Chapitre 2 : Un Parlement rationalisé qui
cherche à reprendre l'initiative et à revaloriser son rôle
: la montée en puissance des missions d'information
1) De nouveaux moyens d'information
Dans son ouvrage daté de 1972, Pierre Avril consacrait
de nombreuses pages au déclin du Parlement avant de proposer des
perspectives pour l'avenir. Il soulignait alors que « l'abdication
volontaire ou imposée, par laquelle le Parlement a renoncé
à sa fonction d'information et de pédagogie l'a transformé
en conservatoire de la vie politique d'autrefois. Sa mission est au contraire
de faire sortir du cercle des initiés les éléments des
grands débats qui dominent l'avenir de la société
française37 >>.
Plus de trente ans après, on ne peut que constater que
les parlementaires se donnent, petit à petit, les moyens d'assurer cette
mission en développant trois des quatre fonctions du Parlement que
Walter Bagehot énumérait dès 1867 dans La Constitution
britannique : « une fonction expressive>> dont le rôle
est d'exprimer l'état d'esprit du peuple « sur toutes les questions
qui y sont évoquées >>, une « fonction
pédagogique >> qui vise à « enseigner à la
nation ce qu'elle ne sait pas>> et une « fonction d'information
>> qui « nous amène finalement à entendre ce
qu'autrement nous n'entendrions pas38 >>. Si le Parlement ne
dispose pas d'un organe de contrôle
37 Pierre Avril, Les Français et leur
Parlement, Casterman, 1972, p.135.
38 In Pierre Avril, Les Français
et leur Parlement, Ibid, p.42-43.
indépendant, sa volonté d'assurer un rôle
particulier d'information est désormais bien établie.
Un nouvel outil permet aux parlementaires depuis 1990 de
développer tout particulièrement ces fonctions : les missions
d'information. Elles ont, dès lors, connu un réel succès.
La création d'une mission d'information bénéficie en
effet, d'une procédure plus souple que celle des commissions
d'enquête. La proposition de résolution n°288 du 18 mai 1990
qui a complété l'article 145 du règlement de
l'Assemblée nationale permet désormais ainsi aux commissions
permanentes elles- mêmes de créer des missions d'information
temporaires39. Cette procédure d'information et de
contrôle, dont les conditions de création et de fonctionnement
sont dévolues aux commissions permanentes - qui peuvent décider
de créer des missions pour leur seule commission ou communes à
plusieurs, d'effectuer si besoin des déplacements et de laisser le temps
nécessaire à la réalisation de la mission - revêt un
attrait tout particulier pour les parlementaires. Au-delà, sa
procédure de création simplifiée l'amène à
se substituer à des demandes de création de commissions
d'enquête, permettant « parfois de contourner les réticences
et les obstacles gouvernementaux à l'encontre de la volonté du
Parlement d'enquêter et de
39 Le conseil constitutionnel a estimé cette
disposition non contraire à la Constitution « dès lors que
l'intervention d'une mission d'information revêt un caractère
temporaire et se limite à un simple rôle d'information contribuant
à permettre à l'Assemblée d'exercer pendant les sessions
ordinaires et extraordinaires, son contrôle sur la politique du
Gouvernement dans les conditions prévues par la Constitution »
décision n°90- 275 DC du 6 juin 1990.
contrôler l'action du Gouvernement40
>>. Ainsi, lorsque trois propositions de résolutions sur la
question des intermittents du spectacle sont déposées en plein
conflit en 200341, le rapporteur nommé par la Commission des
affaires culturelles, familiales et sociales, après avoir rappelé
que les propositions de résolutions étaient juridiquement
recevables, a néanmoins jugé qu'il n'était pas
<<certain que la commission d'enquête soit l'organe le plus
adapté pour mener ce travail de prospection >>, considérant
que les commissions d'enquête revêtaient les formes d'un <<
dispositif lourd et contraignant, qui ne doit être utilisé
qu'à bon escient42 >> y préférant ainsi
la création d'une mission d'information sur << les métiers
et formations artistiques >>. Plusieurs exemples peuvent être
cités comme la proposition de résolution socialiste n°1103
tendant à la création d'une commission d'enquête sur
<< les politiques d'allègement de cotisations sociales et de
réduction du temps de travail et leurs effets sur la situation de
l'emploi et l'organisation du travail>> qui a finalement conduit à
la création d'une mission d'information sur << les
conséquences économiques et sociales de la législation sur
le temps de travail>> le 9 octobre 2003, ou les propositions de
résolution n°2044 de Jean-Marc Ayrault, n°2049 de Maxime
Gremetz et n°2091 de Jean Lemière tendant à la
création d'une commission d'enquête sur les conséquences
sanitaires, sociales, économiques et juridiques de l'exposition
40 Jean-Christophe Videlin, La mission
d'information parlementaire, Revue française de droit
constitutionnel, n°40, 1999, p.699.
41 par M. Jean-Marc Ayrault pour le groupe socialiste
(n°1063), M. Jean-Pierre Brard pour le groupe communiste (n°1063) et
M. Dominique Paillé pour le groupe UDF (n°1054).
42 Compte rendu de la Commission des affaires culturelles,
familiales et sociales du jeudi 6 novembre 2003.
des personnes à l'amiante, rejetées par la
commission le 6 avril 2005 qui ont abouties à la création d'une
mission d'information sur << les risques et conséquences de
l'exposition à l'amiante », le 11 mai 2005.
Parfois, les deux procédures s'enchaînent. Ainsi,
les conséquences de la canicule de l'été 2003 ont
amené les parlementaires de la commission des affaires culturelles
familiales et sociales à créer dès le 26 août 2003,
une mission d'information sur << la crise sanitaire et sociale
déclenchée par la canicule » qui a rendu son
rapport43 le 24 septembre 2003, soit quelques jours avant le
lancement, le 7 octobre 2003 des travaux de la Commission d'enquête sur
<< les conséquences sanitaires et sociales de la canicule ».
Outil d'information, ces missions deviennent parfois instrument d'investigation
lorsqu'elles traitent de la lutte contre le blanchiment par le biais d'une
mission d'information commune sur << les obstacles au contrôle et
à la répression de la délinquance financière et du
blanchiment des capitaux en Europe44 », ou de << la
sécurité du transport aérien de voyageurs
»45 créée <<pour établir un
état des lieux objectif. Expliquer ce qui va bien pour rassurer mais
souligner ce qui doit encore évoluer pour informer et rassurer encore
plus en dégageant des solutions46 ».
43 Rapport n°1091.
44 Rapport n°2311 du 11 avril 2002.
45 Rapport n°1717 du 7 juillet 2004.
46 Avant-propos au rapport, d'Odile Saugues,
Présidente de la mission d'information.
Parallèlement, le choix d'un thème de mission
d'information ne relevant pas, comme pour les commissions d'enquête, d'un
débat et d'un vote en séance publique, la mission d'information
permet également de traiter de sujets traditionnellement peu enclin
à un contrôle parlementaire vigilant. Ainsi, dans le domaine de la
défense et des affaires étrangères
généralement dévolu à
l'exécutif47 , trois rapports de mission d'information ont
été rendus sous la XIe législature sur des
évènements tels que << le Rwanda>> (le 15
décembre 1998) qui avait préalablement << suscité,
lors de sa création en avril 1998, de nombreuses interrogations et
critiques à propos de l'intérêt de ses travaux et de
l'étendue de ses attributions48 >>, << les
évènements de Srebrenica >> (le 24 novembre 1999) ou le
<< conflit au Kosovo>> (le 15 décembre 1999). Le rapport de
la mission d'information << sur le Rwanda >> faisait état
d'une << préoccupation nouvelle>> des parlementaires :
<< celle de permettre au Parlement de mieux comprendre les ressorts de
l'action diplomatique et militaire et, à l'avenir, d'y être mieux
associé49 >>. Même si aucune demande de
création d'enquête sur ces sujets n'a encore pu aboutir, si les
récentes propositions de résolutions visant à la
création d'une commission d'enquête sur les
évènements de Côte d'Ivoire ont, elles aussi, fait
récemment l'objet
47 Sur ce sujet, cf. Olivia Christmann, Le
Parlement français et le droit international, Mémoire de
DEA, Paris I, 2000.
48 Jean-Christophe Videlin, La mission
d'information parlementaire, op.cit, p.699.
Les travaux de cette mission d'information et le rejet d'une
procédure d'enquête avaient alors été fortement
contestées, notamment par Dominique Franche auteur de Rwanda.
Généalogie d'un génocide dans un article
publié par les Inrockuptibles qui stigmatisait une mission
ayant « surtout eu pour but de limiter l'information des citoyens et de
leurs élus ».
49 Rapport n°1271.
d'un rejet en commission50, la création de
deux missions d'information sur des conflits auxquels la France a
participé révèle le souhait des parlementaires de se
saisir d'un droit de regard sur ces thèmes et, plus largement, de
l'Assemblée nationale de << poursuivre sa réflexion de fond
sur les opérations militaires extérieures de la
France51 ».
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