3) .... dont l'utilisation s'est banalisée puis
développée.
Les moyens d'enquête dont disposent les parlementaires
n'ont été véritablement définis par la loi qu'en
1977. Ils sont, dès lors, substantiels. Ainsi, il est
spécifié que les rapporteurs peuvent exercer leur mission
<< sur pièces et sur place23 », qu'ils sont
habilités à << se faire communiquer tous documents de
service, à l'exception de ceux revêtant un caractère secret
et concernant la défense nationale, les affaires
étrangères, la sécurité intérieure ou
extérieure de l'Etat ». Parallèlement, et sous peine
d'amende, toute personne dont la commission a jugé l'audition utile
<< est tenue de déférer » à la convocation qui
lui est adressée et elles sont amenées à déposer
sous serment. Les commissions d'enquête parlementaire
bénéficient, de fait, de pouvoirs de contrainte non
négligeables.
Au fil du temps, la possibilité pour la majorité
d'encadrer à tous les stades la procédure d'enquête a
amené l'exécutif à ne pas la considérer comme un
réel danger. Ainsi, la Ve législature24 a vu la
création de neuf commissions d'enquêtes et de contrôle, soit
trois fois plus que sous les quatre législatures
précédentes réunies. La VIe quand à elle
dénombre sept commissions d'enquêtes, sans doute dues aux
dissensions internes à la majorité et à l'émergence
d'une opposition interne amenant l'exécutif a être plus
difficilement en capacité de rejeter les demandes qui en émanent.
Les VIIe et VIIIe législatures ont par la suite peu utilisé cette
pratique parlementaire : trois commissions d'enquête sous la VIIe et une
seulement sous la VIIIe (qui n'a, ceci dit, duré que deux
ans)25.
C'est, de fait, la décision prise à titre
expérimental en 1988 par la conférence des Présidents
donnant un droit de tirage à chaque groupe parlementaire, une fois par
an, permettant que soit inscrite à l'ordre du jour une proposition de
résolution visant à créer une commission d'enquête,
qui a multiplié le nombre de demandes effectivement débattues en
séance26. Combinée par la suite par la mise en place
d'une journée d'initiative parlementaire mensuelle27 aussi
appelée « fenêtre
24 Cf. annexe 1 : chronologie des législatures
sous la Ye République.
25 Cf. annexe 6 : liste des commissions
d'enquête créées sous la Ye République.
26 Ainsi ont été débattues
pour la première fois selon cette décision, le 23 mai 1990, deux
propositions de résolution pour la constitution d'une commission
d'enquête sur << la pollution de l'eau et la politique nationale
d'aménagement des ressources hydrauliques » et sur << la
gestion du Fonds d'action sociale ».
27 Article 48, alinéa 3 : << Une
séance par mois est réservée par priorité à
l'ordre du jour fixé par chaque assemblée », loi
constitutionnelle du 4 août 1995. La première séance
d'initiative parlementaire dans ce cadre a été consacrée
le 11 octobre 1995 à un débat sur l'application des accords de
Schengen.
parlementaire28 » ou plus fréquemment
«niche parlementaire » dont l'ordre du jour est fixé par la
Conférence des présidents et à disposition de groupes
parlementaires (partagées à la proportionnelle sur
l'année), les possibilités offertes de débattre de
propositions de loi ou de propositions de résolutions ont
été dès lors largement accrues. Si le fait majoritaire
l'emporte néanmoins sur la décision finale de création ou
non d'une commission d'enquête, la niche parlementaire permet, dans un
premier temps, au débat public d'avoir lieu29.
C'est donc véritablement, et dans la durée,
seulement depuis le début de la IXe législature qu'un changement
significatif s'est opéré, et qu'une nouvelle pratique
parlementaire a vu le jour. Sans doute le Parlement est-il soumis aux
mêmes évolutions que la société. Le
développement des radios libres au début des années 80,
l'émergence de nouvelles formes de contrôle par les médias
et du journalisme d'investigation, ouvrent la voie à de nouveaux modes
de contrôle et la notion d'enquête se banalise. Le
nécessaire renforcement des pouvoirs de contrôle du Parlement
devient une revendication des plus consensuelles. François Mitterrand
28 Sur les conditions de sa création et ses premiers
mois d'application cf. Patrick Fraisseix, La « fenêtre
parlementaire », de l'article 48, alinéa 3, de la Constitution :
une nouvelle illustration de la revalorisation parlementaire, Revue
française de Droit constitutionnel, n°33, 1998, p.3-34.
29 A titre d'exemple, le groupe socialiste a
été amené à utiliser trois de ses niches en 2004
pour présenter des propositions de résolution : le jeudi 13 mai
2004 pour sa proposition de résolution n°1581 tendant à la
création d'une commission d'enquête sur la dégradation des
comptes publics depuis juin 2002 ; le mardi 23 novembre 2004 pour sa
proposition de résolution n°1881 tendant à la
création d'une commission d'enquête sur l'utilisation des fonds
publics en Polynésie française et la gestion des services publics
relevant de la Polynésie française et le jeudi 25 novembre 2004
pour sa proposition de résolution n°1871 tendant à la
création d'une commission d'enquête visant à analyser le
niveau et le mode de formation des marges et des prix dans le secteur de la
grande distribution, et les conséquences de l'évolution des prix
sur le pouvoir d'achat des ménages.
mêlant pouvoir de contrôle et de sanction en 1995
considère que le Parlement n'use << pas assez de cette
compétence-là. Il peut tout contrôler, et si on
l'empêche de contrôler, il doit l'exiger, il doit se faire
entendre, il doit refuser sa confiance au gouvernement » et y conditionne
<< la survie de notre République30 » ; quand, la
même année, Jacques Chirac nouvellement élu
Président de la République considère que << le
concours du Parlement, et plus particulièrement son contrôle de
l'action gouvernementale, doivent être considérés par
l'exécutif non comme une contrainte mais comme une chance de mieux
répondre aux aspirations des citoyens31 ». Les
présidents de l'Assemblée nationale qui se sont
succédés au perchoir incarnant la défense de l'institution
qu'ils représentent ont tous marqué cette volonté de mieux
contrôler. Philippe Séguin donnait, en 1993, comme objectif
à l'Assemblée nationale << d'exercer sur l'action
gouvernementale un contrôle qui soit beaucoup plus efficace
»32, Laurent Fabius annonçait, en 1997, que <<
l'Assemblée nationale de l'an 2000 devra améliorer ses moyens de
contrôle» et reconnaissait qu'il serait << légitime,
aussi, que des commissions d'enquête puissent être
instituées plus aisément, y compris à la demande de
l'opposition33 » et, plus récemment, Jean-Louis
Debré souhaitait que << dans les mois à venir, le
rôle de contrôle et d'évaluation de l'Assemblée
nationale soit mieux compris et plus accepté. Si nous voulons
améliorer
30 Allocution du 19 avril 1995 prononcée
à l'occasion de l'inauguration de l'exposition permanente
consacrée à l'institution parlementaire, in Documents
d'études n°1.04 édition 2005, La documentation
française, p.40.
31 Message au Parlement, 19 mai 1995, ibid, p.41-42.
32 Allocution, JO, débats, 2 avril 1993.
33 Allocution, JO, débats, 12 juin 1997.
l'efficacité des politiques publiques, pointer les
lacunes et les dysfonctionnements de l'Etat, trouver les moyens d'y
remédier, il n'est d'autre voie que de donner aux députés
la possibilité d'interroger, d'enquêter et d'informer34
». Chacun d'entre eux a, dans sa pratique de la présidence ou par
une modification du règlement de l'Assemblée, tenté
d'accorder plus de place au contrôle parlementaire.
C'est dans ce contexte de volonté de revalorisation du
rôle du Parlement, que tous considèrent comme devant
inévitablement passer par un renforcement des pouvoirs de
contrôle, que la multiplication des commissions d'enquête
parlementaire et l'amélioration de leurs conditions de travail se sont
opérées. Si, en moyenne, une dizaine de commissions
d'enquête parlementaire rendent leurs travaux durant chaque
législature depuis 1988, il existe naturellement un grand écart
entre le nombre de résolutions proposées par les parlementaires
et le nombre de commissions effectivement créées. A titre
d'exemple, sous la XIe législature, 124 dépôts de
résolutions ont abouti à 14 créations et sous la XIIe
législature en cours, 155 propositions de résolutions ont d'ores
et déjà été déposées35
pour seulement 8 effectivement créées. Ces statistiques du nombre
de demandes ne font que révéler un peu plus l'attrait que peuvent
porter les parlementaires à cette forme de contrôle.
34 Voeux au Président de la République,
le 5 janvier 2004.
35 Au 31 juillet 2006.
Comme le souligne Guy Carcassonne, désormais, « le
Parlement tend à se glisser dans tous les interstices pour
résister à l'abaissement de son rôle
»36.
Il reste que le nombre peu élevé de commissions
effectivement créées a amené les parlementaires à
combiner l'utilisation des commissions d'enquête avec d'autres formes de
contrôle.
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