Conclusion
La Constitution de la Ve République a conduit à
ce que la responsabilité ministérielle soit attachée
à un certain type de procédures de contrôle très
encadrées et dont le fait majoritaire a limité la portée.
Ainsi a été établie une distinction entre le
contrôle sans sanction immédiate (questions écrites ou
orales, commissions d'enquête, mission d'information) que l'on a
qualifié de << contrôle information>> et les
procédures d'engagement de la responsabilité du gouvernement
(motion de censure, question de confiance). Alors que << la montée
en puissance des exigences de contrôle et de responsabilité est
sans doute l'une des évolutions les plus marquantes du discours - tant
politique que scientifique- sur la démocratie au cours des
dernières années159 >>, les modalités
d'un contrôle permanent sur les politiques publiques sont amenées
à changer. Alors que l'Etat tend à se dessaisir de ses
prérogatives en ayant notamment recours à des organes
extérieurs, et plus particulièrement à des
autorités administratives indépendantes, le Parlement affiche,
lui, sa volonté de se saisir de nouveaux moyens de contrôle.
N'ayant pas valeur constitutionnelle, les commissions
d'enquête parlementaires ne peuvent bénéficier ni de
pouvoirs de décisions sanctionnés par un vote
de l'Assemblée de leur rapport, ni engager la responsabilité
du gouvernement ou du
159 Olivier Costa, Nicolas Jabko, Christian Lequesne, Paul
Magnette, La diffusion des mécanismes de contrôle dans l'Union
européenne : vers une nouvelle forme de démocratie ? Revue
française de science politique, Vol.51, 2001, p.859.
chef de l'Etat160. Elles reflètent ainsi
l'incertitude institutionnelle du régime actuel. Leur étude
permet de poser plus largement la question du rôle du Parlement dans un
régime ni parlementaire, ni présidentiel. L'accent mis par les
Présidents de l'Assemblée nationale successifs, par les
Présidents de la République en campagne ou en exercice, par les
programmes électoraux des partis présentant des candidats aux
élections législatives, sur les questions institutionnelles en
général et sur la nécessaire revalorisation du Parlement
en particulier, témoigne d'une sensibilité actuelle accrue aux
questions relatives à un meilleur fonctionnement démocratique.
Que le débat soit posé avec l'objectif de créer une
république nouvelle ou d'améliorer les textes actuels mais
surtout de bouleverser l'usage institutionnel vers un nouvel équilibre
entre le Parlement et le pouvoir exécutif, il révèle une
attente, qui, dans un premier temps est largement suscitée par les
parlementaires eux-mêmes.
La limitation par la Constitution du nombre de commissions
permanentes à six participant à l'engorgement pour certaines de
leurs travaux en réunions plénière, la large
prépondérance de l'exécutif sur l'ordre du jour des
séances de l'Assemblée nationale laissant -malgré la
création d'une journée mensuelle à cet effet- une place
limitée à l'initiative parlementaire, le sentiment que les enjeux
se déplacent à l'extérieur de l'hémicycle,
amènent les parlementaires à chercher des lieux et des temps
nouveaux de travail et d'expression. De nombreuses publications
universitaires sont consacrées à l'étude
segmentée d'une multiplicité d'organes parlementaires.
L'Assemblée nationale foisonne en effet de différentes structures
plus ou moins temporaires. Ainsi se côtoient désormais commissions
d'enquête, missions d'information, missions d'information
créées par la conférence des présidents, groupes
d'étude, délégations parlementaire (pour l'Union
européenne, aux droits des femmes...), offices parlementaires (des
politiques de santé, des choix scientifiques et technologiques...) ou
encore la mission d'évaluation et de contrôle (MEC). Les
commissions permanentes, dont l'activité principale reste l'examen de
projets et propositions de loi, dans un calendrier législatif
chargé, sont amenées à avoir de plus en plus recours
à ce type de travaux plus distancés, plus réflexifs dans
un cadre mieux adapté.
En matière de contrôle, la pratique parlementaire
s'est peu à peu, modifiée au fil des ans. On l'a vu, le recours
à des commissions d'enquête, même si il est encore
aujourd'hui largement soumis au fait majoritaire tend à se
développer significativement et ces procédures permettent
désormais débats et investigations au sein desquels la
minorité parlementaire a su trouver sa place. Si la constitution des
commissions d'enquête est encore largement disciplinée pour
éviter de mettre en difficulté le gouvernement en exercice, les
parlementaires, qu'ils appartiennent à la majorité ou à
l'opposition, ont trouvé des moyens détournés pour
parvenir à se donner les moyens de leurs prérogatives. Ainsi, la
multiplication de création de missions d'information sur des sujets qui
auraient pu faire l'objet d'une commission
d'enquête est facilement quantifiable au sein de
l'Assemblée nationale. Certes, les pouvoirs donnés à ces
deux procédures parlementaires sont inégaux même si on peut
considérer qu'aux pouvoirs de contrainte des commissions d'enquête
peuvent rivaliser ceux de la durée des travaux et des investigations
menées par les missions d'information. Une harmonisation des instruments
de contrôle et de leurs prérogatives voire leur
constitutionnalisation, conjuguée avec un mode de création moins
soumis au fait majoritaire et à l'appréciation en
opportunité et plus accessible à la minorité
parlementaire, est peut-être nécessaire.
Parallèlement, les parlementaires ont su, en dehors des
rapports habituels des commissions permanentes, par le biais des missions
d'information, se doter d'un outil performant d'information. Moins soumise
à la volonté de l'exécutif que peut être la
procédure des « parlementaires en mission », nommés par
le Gouvernement pour rendre un rapport thématique sur un sujet
donné, la mission d'information permet un travail sur des thèmes
déterminés par les commissions permanentes, dans un cadre
pluraliste et autonome. Ainsi l'élaboration, dans le cadre de certaines
missions d'informations, de simples recommandations ou de propositions de
législations nouvelles leur permet de mener parallèlement un
travail d'expertise dans un domaine et une procédure d'arbitrage en
amont de la discussion délibérative renforçant bien
souvent la capacité d'initiative législative des
parlementaires.
Mais pour mener à bien les objectifs que les
parlementaires souhaitent atteindre, de mieux contrôler, mieux être
informés pour informer à leur tour, mieux légiférer
et être plus à l'initiative des lois, le temps manque. Car, si la
multiplicité des structures, des rapports, des travaux parlementaires
montre, s'il fallait s'en convaincre, que le Parlement travaille, elle pose la
question des conditions de ce travail et, de fait, ouvre (au-delà de la
nécessité d'une meilleure répartition du temps
parlementaire entre fonction législative et fonction de contrôle)
une réflexion sur la question de l'instauration du mandat unique pour
les députés.
Volonté d'ouverture d'une institution sur la
société, manière de faire vivre le pluralisme au sein des
assemblées, nouvelles formes de représentation, revalorisation du
travail parlementaire, l'étude des commissions d'enquête et
missions d'information parlementaire permet d'aborder plus
généralement la manière dont le Parlement aborde sa propre
pratique démocratique. Car la multiplication, depuis leur
création en 1990, des travaux des missions d'information parlementaire
révèle toutes les facettes de l'essor d'une procédure dont
les parlementaires se saisissent aussi comme un nouvel instrument
démocratique face à des électeurs devenus, comme le
souligne Pierre Rosanvallon, <<plus << stratèges », se
comportant en consommateurs politiques ou en juges circonstanciels des
personnes, et se reconnaissant de moins en moins dans des idéologies ou
des forces politiques
organisées161 ». Le
développement des nouveaux mouvements sociaux comme vecteurs principaux
de la défiance et la multiplication du nombre d'activités
sociales et civiques auxquelles les citoyens participent, en dehors de
l'élection, et, de fait, la multiplication des formes d'expression de la
société civile en général ont amené les
parlementaires à chercher des voies nouvelles à leur fonction de
représentation. L'organisation de la démocratisation de ces
formes de travail parlementaire par la publicité nouvelle qui leur est
donnée combinée avec la multiplication des lieux d'écoute,
de débat et de dialogues deviennent gage de l'attention portée
par les parlementaires aux préoccupations de leurs électeurs et
symbole de leur souhait d'être un maillon démocratique essentiel
dans un cadre général où les compétences
institutionnelles s'avèrent de plus en plus éclatées.
La prise en compte, par les parlementaires, de la demande de
transparence des citoyens, leur capacité à se saisir de choix de
thèmes de travail sur lesquels l'opinion attend des réponses,
leur souhait de créer des cadres de réflexion commune, leur
volonté par la formulation de propositions nouvelles de multiplier leur
capacité d'initiative législative, l'ouverture de leurs travaux
en évitant l'écueil, à ce jour, de faire de
l'enquête ou de la recherche d'information un spectacle, ont sans
conteste permis aux commissions d'enquête et missions d'information de
devenir des outils
161 Pierre Rosanvallon, Le peuple introuvable,
Gallimard, 1998, p.418.
de revalorisation du travail parlementaire et à la
démocratie représentative de trouver un nouveau souffle.
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