2) La question de la médiatisation des
débats
La question de l'opportunité d'une ouverture ou non de
certains travaux parlementaires s'est récemment fortement posée,
en ce qui concerne les commissions d'enquête, avec la polémique
autour de la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire <<
dite d'Outreau ». Il faut bien mesurer dans ce débat qu'il ne
s'agissait pas de savoir si les travaux de la commission seraient publics ou
non. On l'a vu, toutes les commissions d'enquêtes font désormais
l'objet d'un rapport public, qui, pour la plupart d'entre elles, comporte en
annexes les comptes-rendus des auditions. Les personnes entendues par une
commission d'enquête sont d'ailleurs, selon le règlement de
l'Assemblée nationale, << admises à prendre connaissance du
compte- rendu de leur audition129 » mais ne peuvent y apporter
<< aucune correction130 », tout au plus la personne
auditionnée peut-elle <<faire part de ses observations par
écrit ». Ainsi, le travail à huis clos d'une commission
d'enquête ne peut en aucun cas amener in fine à ce que
les comptes rendus en soient modifiés ou tronqués. Ce qui s'y dit
(sauf vote spécial de l'Assemblée constituée en
comité secret qui peut demander de << ne pas autoriser la
publication de tout ou partie du rapport131 », sera repris in
extenso dans le compte-rendu. Il s'agissait en ce cas de savoir si la
commission devait
129 Article 142, alinéa 1.
130 Article 142, alinéa 3.
131 Article 143, alinéa 3.
travailler sous l'oeil du public en temps réel ou à
huis clos, s'agissant d'un sujet sur lequel la pression médiatique avait
été particulièrement prégnante.
La démocratie est fondée sur l'existence
même de pouvoirs et de contre-pouvoirs et l'affaire d'Outreau a
donné l'impression qu'il n'existait pas de contre-pouvoirs dans le monde
judiciaire, créant ainsi un sentiment d'insécurité. Dans
un premier temps, la commission avait estimé << que les auditions
ne seront pas ouvertes à la presse, sauf lorsque cela paraîtra
utile, au cas par cas132 >>. Deux conceptions se sont alors
opposées. La première visait à faire valoir qu'un
débat << en direct>> amènerait à ce qu'il soit
moins serein. On pouvait ainsi imaginer que les prises de parole des
auditionnés soient moins spontanées, que les conditions du
débat pourraient être faussées, que les interventions des
membres de la mission tiendraient inévitablement plus compte de la
présence d'une caméra et que, de fait, les mots et les postures
pourraient être différents, que le positionnement partisan
pourrait être mis en exergue dans un cadre qui s'y prête
généralement moins qu'une séance publique. Le seul but de
la commission étant d'arriver à savoir très exactement ce
qui s'était passé à Outreau et d'en tirer les
conséquences, la présence de micros ou de caméras
n'était alors pas facteur de plus-value pour le travail parlementaire.
Mais, parallèlement, et dans le contexte de forte médiatisation
d'une partie des innocentés d'Outreau demandant que la commission
travaille de la manière la plus publique qui soit, un
132 Compte rendu n°1 de la commission d'enquête, du
mercredi 14 décembre 2005.
certains nombre de parlementaires ont plaidé pour des
auditions en direct. Dans une société où la transparence
est devenue un enjeu démocratique, il s'est alors agi de répondre
dans un premier temps aux attentes des acquittés et plus largement de
l'opinion. Aïda Chouk, Présidente du syndicat de la magistrature,
dans une lettre ouverte à André Vallini a, elle aussi,
été amenée à relayer cette demande le 9 janvier
2006 : << La publicité des débats doit être
imposée par la commission qui ne saurait faire reposer sur chaque
personne auditionnée le choix de la publicité ou du huis clos et
se défausser ainsi de ses prérogatives ». Les
acquittés ayant fait part de leur souhait d'être filmé, il
était dès lors difficile pour les autres personnes
auditionnées de demander un huis clos sans générer de la
suspicion.
La présence de la caméra a permis de donner le
signe fort que cette commission n'avait rien à cacher, qu'il ne
s'agissait pas de laisser dans l'ombre certains éléments de
l'affaire, que la commission n'était justement pas seulement là
en réponse à une émotion populaire mais avait vocation
à travailler au fond. Dans un contexte de défiance
vis-à-vis des institutions, des représentants du peuple, ce
travail sous les regards de l'opinion, pouvait laissait supposer que cette
pression amènerait des garanties démocratiques, des garanties de
résultats. C'est d'ailleurs cette préoccupation que relaye
Roselyne Godard en évoquant le fait que << seule la pression des
médias imposera aux députés de ne pas faire machine
arrière face à la nécessité
de faire des réformes133 ». Cette
défiance affichée, et sans nul doute inquiétante,
vis-à- vis de la capacité du politique à se saisir
véritablement d'un sujet sans la présence des médias est
révélatrice d'une tension démocratique qui avait sans
doute amené Michel Hunault et Christophe Caresche à qualifier la
décision du huis clos d' « erreur politique majeure134
».
Néanmoins, il n'est pas inutile de s'interroger sur
l'utilité de céder à la pression du temps
médiatique, temps de l'immédiateté, qui ne peut
correspondre au temps parlementaire, sauf à faire d'eux des
législateurs de circonstance, avec les dérives qui peuvent en
découler. En ce qui concerne l'institution parlementaire, une juste
mesure entre volonté de travailler en toute transparence et
capacité à échapper à la pression médiatique
restera à trouver sur des sujets aussi sensibles.
133 << La croix >> le 27.12.2005.
134 << Le Monde >> 23.12.2005.
|