2) Un Parlement à l'écoute
Ainsi, l'enquête parlementaire se révèle en
grande majorité comme un moyen pour les parlementaires d'effectuer un
contrôle objectif sur une situation donnée mais
109 La commission d'enquête « sur l'utilisation des
fonds publics et la gestion des services publics en corse »
créée le 3 mars 1998 et terminée le 3 septembre 1998 et la
commission d'enquête « sur le fonctionnement des forces de
sécurité en Corse » créée le 19 mai 1999 et
terminée le 10 novembre 1999.
110 Créée le 4 mars 1999 et terminée le 6
juillet 1999.
111 Créée le 9 décembre 1998 et
terminée le 26 mai 1999.
112 Créée le 13 janvier 1998 et terminée le
2 juillet 1998.
aussi comme un outil permettant de donner des signes à
l'opinion publique. L'enjeu est important pour les députés qui
peuvent avoir le souci, par ce biais, de revaloriser leur fonction
parlementaire de représentation. Car, si, selon l'étude «
Démocratie 2000113 >>, les citoyens trouvent à
72%114 que la démocratie fonctionne bien en France, s'ils
sont une courte majorité à avoir « confiance dans
l'Assemblée nationale >>115, ceux qui
considèrent que « les hommes politiques se préoccupent de ce
que pensent les gens comme eux >> ne sont plus que 24%. On peut
néanmoins considérer que la confiance dans l'institution qu'est
l'Assemblée nationale n'est pas totalement distincte de celle des
individus qui la composent et que le terme d' « homme politique >>
est trop large pour connaître le rapport spécifique aux
parlementaires, il n'en reste pas moins un réel sentiment des personnes
interrogées, de ne pas être entendues et, par conséquent,
mal représentées. Les parlementaires, conscients de la
difficulté de la tâche, se saisissent des instruments à
leur disposition pour tenter de réhabiliter leur rôle. Comme le
résume Elisabeth Vallet, « les commissions d'enquête
parlementaires maintiennent un difficile équilibre entre l'institution
qu'elles représentent, l'esprit qu'elles incarnent, le rôle que la
société civile en attend >>116.
113 La démocratie à l'épreuve. Une
nouvelle approche de l'opinion des Français, sous la direction de
Gérard Grunberg, Nonna Mayer, Paul M. Sniderman, Presses de Sciences Po,
2002, p.119.
114 7% ont répondu « Très bien » et 65%
« Plutôt bien »
115 7% ont répondu « Très confiance » et
47% « Plutôt confiance »
116 Elisabeth Vallet, Les commissions d'enquête
parlementaire sous la Ve République, Revue française de
droit constitutionnel, 54, 2003, p.251.
Une constante peut être relevée dans le mode de
travail des commissions d'enquête et des missions d'information : le
nombre substantiel d'auditions organisées quel que soit le sujet. A
titre d'exemple, le rapport de la mission d'information sur la fin de
vie117 comprend 299 pages de conclusions dans son tome 1 et 922
pages de compte- rendu des 74 auditions qu'elle a organisées dans son
tome 2. Les missions d'information sur les OGM et celle sur les signes
religieux à l'école ont chacune organisé plus d'une
centaine d'auditions. Les commissions d'enquête ont également
recours à de nombreuses auditions, 51 pour la commission d'enquête
sur la gestion des entreprises publiques en 2003, 72 pour celle sur la
sûreté des installations industrielles en 2001 ou encore 68 pour
la commission d'enquête sur les prisons en 2000. Sans aller aussi loin
que la procédure d'enquête britannique qui ouvre ses
procédures d'enquête « par une étape
préliminaire qui n'existe pas en France: un appel formel à
témoignage118 », le Parlement se veut ainsi à
l'écoute de ceux qui, d'une façon ou d'une autre sont
concernés par un sujet, ministres, fonctionnaires, universitaire,
experts, mais aussi représentants syndicaux et associatifs.
Le développement de mouvements associatifs visant
à poursuivre un but spécifique ou à défendre une
cause particulière amène à ce que se soient
développés de
117 Rapport n°1708, << Respecter la vie, Accepter la
mort >>.
118 Hélène Bilger Street, Le contrôle
parlementaire en France et en Grande Bretagne, étude comparée des
procédures de contrôle de la chambre des communes et de
l'Assemblée nationale, Thèse, Paris I, décembre 2000,
p.323.
Il est néanmoins à noter qu'en dehors des
commissions d'enquête, la mission d'information sur la question du port
des signes religieux à l'école a, par exemple, organisé un
forum d'expression sur le site internet de l'Assemblée nationale qui
<< a recueilli en 6 semaines plus de 2200 messages >> et qu'elle a
par ailleurs reçu << de nombreux courriers et contributions
écrites >>, introduction de Jean-Louis Debré,
Président de la mission, rapport n°1275.
nouveaux organes désormais quasi-incontournables dans
les procédures de concertation. Le fonctionnement du DAL, de la
Confédération paysanne, de Greenpeace ou encore d'ATTAC, pour
prendre les plus connus, vise à focaliser leurs actions sur des
objectifs bien précis afin d'établir une pression sur le pouvoir.
Que ce soit en lançant une alerte sur un sujet déterminé
ou en organisant une constante vigilance, un suivi attentif des
évolutions d'un sujet déterminé, ces groupes
structurés ont un réel pouvoir d'interpellation. Dans de nombreux
domaines, ces nouvelles formes d'engagement se développent : <<
SOS papa» pour les pères qui revendiquent le droit à
élever leur enfant, << Ni putes ni soumises » amenées
à défendre les jeunes filles de banlieue, association <<
Recours » pour la défense des rapatriés... Ces associations
se veulent représentatives d'une certaine catégorie d'individus
et se présentent comme ayant une réelle expertise sur les
thèmes dont elles se saisissent. Elles sont la manifestation
concrète d'une réalité plus globale : un engagement
citoyen qui se développe vers des formes plus protestataires. Comme le
souligne Pierre Bréchon, << on va moins voter parce qu'on n'en
saisit pas toujours l'intérêt, mais on se fait volontiers
davantage entendre sur des problèmes ponctuels, qu'il s'agisse de
grandes causes (par exemple les valeurs de la démocratie à
sauvegarder contre l'extrême droite raciste) ou de corporatismes
catégoriels119 ». Ayant, de fait, une certaine
capacité de mobilisation (signature de pétitions, organisation de
manifestation atypiques en direction des médias) ces organisations
font désormais partie du paysage démocratique
même si leur réelle représentativité reste
très inégale. Les députés l'ont bien compris. S'il
ne s'agit pas, pour eux, d'en faire des interlocuteurs référents,
l'écoute de leur point de vue et la prise en compte, au moins formelle,
de leurs revendications est désormais incontournable. Ainsi, par
exemple, les membres de la commission d'enquête sur << la situation
dans les prisons françaises >> ont-ils été
amenés à auditionner le 23 mars 2000 un représentant du
<< comité européen pour la prévention de la torture
>>, le 4 mai 2000 la présidente d'Act-Up Paris, et le 11 mai 2000
les responsables de l'Association des familles en lutte contre
l'insécurité et les décès en détention
(FLIDD)120. La mission sur les << enjeux des essais et de
l'utilisation des organismes génétiquement
modifiés>> a été amenée à auditionner
le 24 novembre 2004, outre le secrétaire national de la <<
Confédération paysanne >>, Monsieur Olivier Keller, son
cofondateur, José Bové, ainsi que le président du <<
Réseau Semences Paysannes 121>>. Si les auditions des
associations représentent, in fine, qu'une petite partie des
auditions par rapport à celles des experts ou syndicalistes, elles
reflètent la préoccupation des parlementaires visant à
circonscrire un sujet et << mettre autour d'une table>> toutes les
parties concernées. Si les auditions sont la plupart du temps
individuelles, certaines missions
120 La liste complète des auditions de cette commission
d'enquête figure dans le tome II du rapport n°2521,
déposé le 28 juin 2000.
121 Rapport n°2254, tome 2, déposé le 13 avril
2005.
optent pour l'organisation de tables rondes
thématiques122, qui, parfois sont contradictoire afin de
permettre au débat d'avoir lieu123.
Le renouveau du contrôle parlementaire par le biais des
commissions d'enquête et des missions d'information permet ainsi une
intervention plus large des citoyens dans la sphère publique et se situe
ainsi dans le cadre d'une nouvelle forme de gouvernement représentatif
émergent, caractérisé selon Bernard Manin par «
l'apparition d'un nouveau protagoniste de la délibération
publique, l'électeur flottant et informé, et d'un nouveau forum
de cette délibération, les médias124 ».
122 La mission d'information sur « la
sécurité du transport aérien de voyageurs » a ainsi
organisé 9 séances d'auditions individuelles ou conjointe et 9
tables rondes thématiques regroupant chacune une dizaine de personnes.
Rapport, n°1717, Tome II, déposé le 7 juillet 2004.
123 La mission d'information sur les OGM a ainsi organisé
à la suite de nombreuses auditions, cinq tables rondes contradictoires
les 2, 8, 9, 15 et 17 février 2005.
124 Bernard Manin, Principes du gouvernement
représentatif, Champs-Flammarion, 1996, p.299.
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