Chapitre 2 : Un Parlement au coeur des
préoccupations de l'opinion
1) Le choix des thèmes de travail
Parallèlement à cet engouement parlementaire et
sans doute de manière aussi déterminante, la capacité de
l'Exécutif à s'opposer à une demande de création de
commission d'enquête, notamment lorsqu'elle touche à des sujets
d'actualité forte dont l'opinion publique se saisit, se réduit.
Les évènements marquants et fortement médiatisés
sont ainsi fréquemment à l'origine de propositions de
résolution et leur rejet pourrait être source
d'incompréhension pour l'opinion publique. On remarque ainsi que les
parlementaires, au-delà de l'utilisation qu'ils font des séances
de questions au gouvernement qui leur donnent une tribune pour alerter sur un
sujet d'actualité, déposent de nombreuses propositions de
résolution demandant la création d'une commission d'enquête
sur des sujets sur lesquels les médias et/ou l'opinion publique se sont
mobilisés. L'une des revendications fortes de l'opinion reste la demande
de transparence et, bien souvent, comme récemment sur des sujets comme
les victimes de la canicule ou l'affaire dite d'Outreau, de mise en
lumière des responsabilités. Le Parlement tente de
répondre à cette « demande sociale89 » de
contrôle.
89 Qui comprend « une demande de justice
», « une demande de responsabilité » et « une
demande concernant les risques quotidiens » selon la classification
établie par Nicolas Grandguillaume, La demande de contrôle,
Revue administrative, n°318, 2000, p.643.
L'étude des 124 propositions de résolution
déposées sous la XIe législature en permet une
illustration. Certaines sont en réaction directe à un
évènement récent comme, par exemple, la proposition de
résolution n° 3553 de M. Noël Mamère visant à la
création d'une commission d'enquête sur << les conditions de
la libération des otages français du Liban », la proposition
de résolution n° 1883 de M. Georges Sarre tendant à la
création d'une commission d'enquête chargée de
<<déterminer les circonstances qui ont permis à Maurice
Papon de ne pas être mis sous contrôle judiciaire et de se
soustraire à l'obligation de se constituer prisonnier » ou encore
la proposition de résolution n° 3328 tendant à la
création d'une commission d'enquête << sur l'origine des
incidents survenus le 6 octobre 2001 lors du match de football
France-Algérie au Stade de France et sur les conditions d'organisation
de cette rencontre ». Elles sont restées sans suite.
La lecture de la liste des propositions de résolution
fait ainsi apparaître une grande diversité des thèmes
proposés. Certaines proposition de résolutions visent, en effet,
de la part de l'opposition à contester les annonces du gouvernement,
touchant ainsi à plusieurs domaines de l'activité de la
majorité comme la politique de l'emploi90 , la
délinquance91 ou à mettre directement en cause sa
politique en pointant des
90 Proposition n°3687 de M. Hervé Morin
tendant à la création d'une commission d'enquête sur les
chiffres de l'emploi et de l'insécurité.
91 Proposition n°3570 de M. Claude Goasguen
tendant à la création d'une commission d'enquête sur les
chiffres de la délinquance.
dysfonctionnements92 ou en en
dénonçant les conséquences93 . Ces propositions
relevant plus du domaine d'un affrontement majorité-opposition sont
également restées sans suite. Les propositions de
résolutions sont ainsi amenées à couvrir un large champ
thématique. C'est également le cas en ce qui concerne la liste
des commissions d'enquête effectivement constituées sous la XIe
législature, dont l'étude permet néanmoins de
dégager trois grandes catégories de sujets abordés.
Ainsi, à la suite de l'explosion de l'usine AZF, tous
les groupes parlementaires ont été amenés à
déposer une proposition de résolution visant à la
poursuite d'une enquête en lien avec la catastrophe. Si les formulations
initiales diffèrent94, les objectifs sont les mêmes :
répondre à une attente des citoyens à la suite d'un
évènement qui a fait naître une émotion
particulière. Ainsi a finalement été créée
la commission d'enquête parlementaire « sur la sûreté
des installations industrielles et des centres de recherche et sur la
protection des personnes et de l'environnement en cas d'accident industriel
majeur ». Dans le même ordre d'idées et afin de ne pas
laisser une opinion publique après un évènement marquant
sans réponse ou sans perspective pour éviter qu'il ne se
reproduise ont été créées, sur proposition de
92 Proposition n°1581 de M. François
d'Aubert visant à créer une commission d'enquête sur les
dysfonctionnements des services du Premier ministre en ce qui concerne le
traitement du dossier corse.
93 Proposition n°1037 de M. Jacques Kossowski
et plusieurs de ses collègues tendant à créer une
commission d'enquête visant à évaluer le coût, pour
les comptes sociaux et les financement publiques, de la régularisation
des étrangers lié à la circulaire du ministère de
l'intérieur du 24 juin 1997.
94 << Les causes et les conditions exactes de
l'explosion ainsi que sur la responsabilité de l'Etat sur les questions
d'ordre public et de sécurité nationale face aux menaces
terroristes » pour Philippe de Villiers, << la protection des
personnes comme de l'environnement contre le risque biologique, technologique
et industriel » pour Jean-Marc Ayrault, << la prévention des
risques majeurs technologiques » pour Philippe Douste-Blazy, propositions
de résolutions n°3304, 3289, et 3284.
plusieurs groupes95, la Commission d'enquête
« sur les causes des inondations répétitives ou
exceptionnelles et sur les conséquences des intempéries afin
d'établir les responsabilités, d'évaluer les coûts
ainsi que la pertinence des outils de prévention, d'alerte et
d'indemnisation »96 et la Commission d'enquête « sur
la sécurité du transport maritime des produits dangereux ou
polluants97 ». Le Parlement se fait alors le relais des
préoccupations de l'opinion et tente d'y répondre à la
fois pour marquer son intérêt et pour apporter des perspectives
d'avenir. Si ce type d'initiatives permet une évaluation des risques et
des propositions de réforme du fonctionnement des services de l'Etat,
des dispositifs de prévention ou d'alerte, elles sont néanmoins
parfois récurrentes en matière de catastrophe naturelle comme en
témoigne la création d'une commission d'enquête sur les
inondations sous la XIe législature, faisant suite à celle «
sur les causes des inondations et les moyens d'y remédier » mise en
place sous la précédente98. Néanmoins, en ce
qui concerne la question du transport maritime des produits dangereux et
polluants, la commission d'enquête parlementaire a permis la mise en
place de nouvelles mesures. Il est d'ailleurs à noter le suivi
parlementaire de ce sujet, qui a amené à la création, en
2003, d'une commission d'enquête « sur les mesures
préconisées en matière de sécurité du
95 Proposition de résolution n°3031 de
M. Jacques Fleury tendant à la création d'une commission
d'enquête sur les causes des inondations répétitives et sur
les moyens propres à faire face aux aléas climatiques et
proposition de résolution n° 2982 de MM. Jean-Louis Debré,
Jean-François Mattei et Philippe Douste-Blazy tendant à la
création d'une commission d'enquête sur les causes, notamment
climatiques, environnementales et urbanistiques des inondations exceptionnelles
afin d'établir les responsabilités, d'évaluer les
coûts et de prévenir les crues à
répétition.
96 Créée le 17 mai 2001 et
terminée le 14 novembre 2001.
97 Créée le 20 janvier 2000 et
terminée le 5 juillet 2000 après le dépôt de 5
propositions de résolution sur le sujet.
98 Créée le 5 mai 1994 et
terminée le 4 novembre 1994.
transport maritime des produits dangereux ou polluants et
l'évaluation de leur efficacité99 ». Toujours
avec cette volonté d'évaluation des risques et de mise à
plat, à un moment donné, des connaissances sur des sujets faisant
l'objet d'une interpellation forte de l'opinion publique, les parlementaires
ont été amenés à créer une commission
d'enquête liée à la question dite de la << Vache
folle » : la Commission d'enquête << sur le recours aux
farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage, la lutte
contre l'encéphalopathie spongiforme bovine et les enseignements de la
crise en terme de pratiques agricoles et de santé publique100
» et plus généralement la Commission d'enquête
<< sur la transparence et la sécurité sanitaire de la
filière alimentaire en France101 ». Ainsi, sur les
quinze commissions d'enquête créées sous la XIe
législature, un tiers sont sur des sujets relevant du domaine du risque
encouru par la population, qu'il soit sanitaire, écologique ou
naturel.
Avec cette même volonté d'embrasser des sujets de
préoccupation sociétale, sans qu'ils ne soient forcément
choisis après un évènement catastrophique, plusieurs
groupes parlementaires ont été amenés à proposer
des thèmes de commission d'enquête identiques : en 2000, par
exemple, pour la commission d'enquête sur << la
99 Créée le 5 février 2003 et
terminée le 10 juillet 2003.
100 Créée le 7 octobre 1999 et terminée le
29 mars 2000.
101 Créée le 13 décembre 2000 et
terminée le 13 juin 2001.
situation dans les prisons françaises102
» ou encore en 1998 pour la commission d'enquête sur la question des
sectes. Ces deux sujets sont d'ailleurs des thèmes récurrents
d'enquête ou de réflexion parlementaire sans doute pour des
raisons différentes. En ce qui concerne le problème des sectes,
l'évolution du nombre et des méthodes des mouvements à
caractère sectaire peut justifier une nécessaire actualisation
des travaux parlementaires. Ainsi, une première Commission
d'enquête << sur les sectes103 » a rendu un rapport
en 1995 mais la représentation parlementaire a jugé utile de
reprendre ce thème d'enquête dès 1998 en axant plus
particulièrement ses travaux sur << la situation
financière, patrimoniale et fiscale des sectes, ainsi que sur leurs
activités économiques et leurs relations avec les milieux
économiques et financiers104 ». Plus récemment
encore, vient d'être créée le 28 juin 2006, une Commission
d'enquête << relative à l'influence des mouvements à
caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la
santé physique et mentale des mineurs » avec le souci de renforcer
les organes de contrôle et de prévention
préexistants105. En ce qui concerne les prisons, il s'agit
moins, pour les parlementaires d'actualiser leurs
102 Proposition n°2118 de M. Laurent Fabius, proposition
n°2078 de M. Claude Goasguen, proposition n°2079 de Mme Christine
Boutin, proposition n°2106 de M. Guy Hascoët. Commission
créée le 3 février 2000 et terminée le 28 juin
2000.
103 Créée le 29 juin 1995 et terminée le 22
décembre 1995
104 Proposition n°908 de M. Jacques Guyard et proposition
n°811 de M. Jean-Pierre Brard. Commission créée le 15
décembre 1998 et terminée le 10 juin 1999.
105 « Certes, il existe au sein du ministère de
l'éducation nationale une cellule de prévention du
phénomène sectaire qui exerce de nombreux contrôles, y
compris dans les établissements hors contrat et auprès des
enfants qui reçoivent un enseignement à domicile. Cependant, ces
contrôles ne semblent pas suffisants puisque la Miviludes cite des sectes
ayant mis en place des établissements d'enseignement aux pratiques
critiquables, telles que l'absence de titres du personnel d'encadrement ou le
non-enseignement de certaines matières », intervention de Georges
Fenech, rapporteur de la commission des lois à l'occasion de la
discussion en séance de la proposition de résolution de M.
Philippe Vuilque, première séance du 28 juin 2006.
connaissances sur un thème dont l'appréhension
s'avère complexe et changeante comme la question des sectes mais
plutôt de continuer à s'attacher à un thème sur
lequel ils sont contraints de ne pas constater de réelles
avancées. Ainsi a été créée, le 27 mars
2001, une mission d'information sur << le suivi de la commission
d'enquête sur les prisons ». Le rapport en commission sur les
conclusions de cette mission d'information a amené Bernard Roman,
Président de la commission des Lois, à souhaiter <<
qu'au-delà de ce travail de réflexion, la commission des Lois
rappelle au Gouvernement l'urgence du plan de rénovation des prisons. Il
a observé, à cet égard, que dix-huit mois après
l'annonce de l'affectation de 10 milliards de francs à ces
rénovations, aucune dépense n'avait encore été
engagée 106». Deux autres commissions d'enquête
relèvent de thèmes sur lesquels l'opinion publique peut
être amenée à manifester une attente : la Commission
d'enquête << sur l'état des droits de l'enfant en France,
notamment au regard des conditions de vie des mineurs et de leur place dans la
cité107 » et celle sur << certaines pratiques des
groupes nationaux et multinationaux industriels, de service et financiers et
leur conséquences sur l'emploi108 » visant à
étudier les phénomènes de délocalisation.
Près d'un tiers des commissions d'enquête créées
sous la XIe législature visent ainsi à traiter de sujets dits
sociétaux.
106 Compte rendu de la Commission des Lois constitutionnelles, de
la législation et de l'administration générale de la
République du 27 juin 2001.
107 Créée le 8 janvier 1998 et terminée le 5
mai 1998.
108 Créée le 9 décembre 1998 et
terminée le 2 juin 1999.
Le tiers restant aborde des thèmes dont la
portée quotidienne est sans doute moins forte pour l'opinion publique,
mais dont la médiatisation ou la dénonciation ont fait
naître doutes, interrogations et, de fait, besoin ou obligation, pour la
représentation parlementaire voire le gouvernement, de laisser
travailler une commission d'enquête pour, si ce n'est clore, au moins
dépassionner le sujet. Ainsi ont été créées
deux commissions d'enquête sur la situation corse109 dont une
directement liée à l'incendie de la paillote, une commission
d'enquête sur << le régime étudiant de
sécurité sociale110 » consécutive aux
révélations sur la MNEF, une commission d'enquête sur
<< les agissements, le fonctionnement, les objectifs du groupement de
fait dit << Département protection sécurité »
et les soutiens dont il bénéficierait111 » suite
à la multiplication d'actes délictueux commis par des membres de
ce service d'ordre du Front national, et enfin, la commission d'enquête
<< sur l'activité et le fonctionnement des tribunaux de
commerce112 ».
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