2) L'expression de la minorité parlementaire
En ce qui concerne les thèmes traités, la
pratique parlementaire récente a amené, par la création de
missions d'information en substitution à celles de commissions
d'enquête80, à ce que les demandes des groupes
minoritaires ne soient pas systématiquement balayées.
Si le partage des postes de Président et rapporteur des
commissions d'enquête permet un travail commun des groupes de la
majorité et de l'opposition, il n'efface naturellement pas les
divergences d'opinion sur les thèmes traités. De manière
quasi-
79 Résolution n°106 adoptée le 26
mars 2003. Cette règle s'applique « sauf si ce groupe fait
connaître au Président de l'Assemblée sa décision de
ne revendiquer aucune de ces fonctions ».
80 Voir I Chapitre 2.
systématique, le poste de rapporteur
-c'est-à-dire de celui qui est en charge de la rédaction du
rapport- est conservé par un membre de la majorité. Car, si les
travaux sont menés en commun, au moment de la rédaction et du
vote du rapport, le fait majoritaire s'impose. Ainsi, le rapport de la
Commission d'enquête « sur l'évolution de la fiscalité
locale>> présidée en 2005 par M. Augustin Bonrepaux,
socialiste, mais rédigé par M. Hervé Mariton,
député UMP membre de la majorité parlementaire, fait-il
apparaître un réel désaccord sur les conclusions de
l'enquête, amenant le groupe socialiste à « marquer son
désaccord total avec les positions exprimées dans le rapport
à charge rédigé par Hervé Mariton81
>>, à considérer que « ce rapport s'éloigne de
l'objectivité indispensable au travail d'une commission d'enquête
>> et que son rapporteur « n'a pas su ou pas voulu s'extraire de la
polémique stérile et des raccourcis idéologiques >>
et à commenter en plus de trente pages sa position. D'une manière
générale, au sein même du rapport une place est quasiment
systématiquement réservée aux contributions des
groupes82 y compris lorsque les conclusions du rapport se
révèlent consensuelles. Les commentaires peuvent alors prendre la
forme d'explications du vote émis sur le rapport ou de contribution
complémentaire au fond. Ainsi, le rapport de la commission
d'enquête « sur la situation dans les prisons
françaises83 >>, dont le Président et le
Rapporteur étaient
81 Explications de vote du groupe socialiste, rapport n°2436
du 5 juillet 2005.
82 Certains rapports publient même des
contributions individuelles comme celui sur l'affaire dite d'Outreau qui
comprend une contribution de Mme Elisabeth Guigou, de M. Léonce Deprez,
M. Jean-Paul Garraud, M. Michel Hunault et M.Alain Marsaud, rapport n°3125
du 6 juin 2006.
83 Rapport n°2521 du 28 juin 2000.
tous deux issus du groupe socialiste, adopté le 27 juin
2000 à l'unanimité des membres de la commission comprend par
exemple les explications de vote et commentaires des groupes PS, RPR, UDF, DL
et PC. Ces textes permettent aux groupes minoritaires notamment d'expliquer
leur vote en faveur d'un rapport que la majorité parlementaire a
rédigé et auquel ils s'associent avec plus ou moins de
nuances84, ou plus généralement, d'exprimer les
raisons pour lesquelles ils s'abstiennent ou ne participent pas au vote du
rapport85 mais aussi parfois d'affirmer les raisons de leur total
désaccord avec les conclusions du rapport et de leur vote
contre86.
La pratique parlementaire vise ainsi à assurer en son
sein une meilleure représentation des groupes composant la
représentation nationale notamment en ce qui concerne des travaux dont
la vocation réflexive et prospective se prête plus facilement
à des débats moins partisans. Pour Jean-Louis Debré,
« l'Assemblée nationale a vocation à être une enceinte
de dialogue, de confrontation des idées,
84 C'est le cas sous la XIe législature pour
7 commissions d'enquête votées à l'unanimité sur 15
plus celle sur << la transparence et la sécurité sanitaire
de la filière alimentaire en France >> en ce qui concerne les
groupes RPR et UDF (seul le groupe DL s'étant abstenu).
85 Ce cas de figure concerne 5 commissions
d'enquête sur 15 sous la XIe législature et notamment celle
<< sur le fonctionnement des forces de sécurité en Corse
>> pour laquelle << les parlementaires RPR, UDF et DL ont
demandé, avant l'examen des propositions du rapport, l'audition de
M.Lionel Jospin, Premier ministre >>. Celleci ayant été
refusée, ils ont dès lors << décidé de ne
plus participer aux travaux de la commission >>, explication de vote des
commissaires RPR, UDF, DL, rapport n°1918 du 10 novembre 1999.
86 Ce cas de figure concerne 2 commissions
d'enquête sur 15 sous la XIe législature : la Commission
d'enquête << sur l'activité et le fonctionnement des
tribunaux de commerce >> et celle sur << certaines pratiques des
groupes nationaux et multinationaux industriels, de services et financiers et
leurs conséquences sur l'emploi >> pour laquelle les groupes
parlementaires de l'opposition considèrent que cette commission,
<< mise en place à l'initiative des députés
communistes (...) procède sans conteste d'une démarche
idéologique qui tend à diaboliser l'entreprise en
général et les grands groupes en particulier >>, rapport
n°1667 du 2 juin 1999.
d'affrontement des idées. Ce dialogue, cette
confrontation, cette réflexion ne doivent pas avoir de frontières
politiques. La vérité des uns ne peut systématiquement
écarter la vérité des autres. Les certitudes d'un groupe,
fut-il majoritaire, ne l'emportent pas automatiquement sur celles des groupes
minoritaires87 ». Sans régler le débat ouvert et
moins consensuel sur les modalités de création d'un
éventuel statut de l'opposition, les modifications successives du
règlement établissent, par petites touches, des droits nouveaux
aux groupes minoritaires.
En ce qui concerne les organes de contrôle, et
au-delà de cette volonté d'assurer une meilleure
représentation au sein de l'Assemblée nationale, ces
modifications de fonctionnement peuvent également s'expliquer par le
contexte politique que connaît la France depuis 1981. En effet, les
alternances qui se succèdent amènent à ce que la
minorité parlementaire d'un jour s'envisage en permanence comme
majorité parlementaire et gouvernementale potentielle du lendemain.
Parallèlement, les travaux d'enquête ou d'évaluation sur
certains sujets visent de plus en plus régulièrement à
travailler sur des responsabilités bien souvent partagées. Ainsi,
la Commission d'enquête sur l'affaire « dite d'Outreau » a
été amenée à réfléchir sur
l'abondante législation consacrée à la justice qui a connu
une succession de
87 Voeux à la presse de Jean-Louis
Debré, 17 janvier 2006. Il est néanmoins ici utile de noter que
si cette pratique s'applique aux modes de contrôle particuliers que sont
les commissions d'enquête et mission d'information, la séance de
questions au Gouvernement, par exemple, continue d'assurer une place
prépondérante à la majorité (le nombre de questions
étant réparties à la proportionnelle des groupes
parlementaires) ou les présidences des commissions permanentes restent
encore entièrement dévolues à des parlementaires issus de
la majorité.
modifications par des gouvernements de gauche comme de droite qui
se sont surajoutées au fil des dernières années.
La majorité parlementaire a ainsi été
amenée à reconnaître et à donner au fil du temps une
place à une «opposition structurée88 » qui,
de son côté, profite de ces travaux pour engager une
réflexion dont elle pense pouvoir tirer profit lorsqu'elle reviendra aux
responsabilités.
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