Introduction
La Constitution de 1958 a largement limité les
prérogatives du Parlement. Un renversement institutionnel s'est
opéré, en réaction aux IIIe et IVe Républiques,
symbolisé notamment par les articles 16, 34 et 37 de la Constitution.
Les compétences du Parlement sont dès lors celles que la
Constitution, sous le contrôle du juge constitutionnel, lui attribue. De
la rationalisation de l'activité parlementaire combinée avec la
discipline majoritaire, particulièrement significative à partir
de 1962, découle une large autonomie d'action gouvernementale. La double
fonction du Parlement inhérente au régime représentatif
est le vote de la loi et le contrôle du Gouvernement. Dans le cadre de la
Ve République où le pouvoir exécutif domine, il s'agira de
nous attacher à la fonction de contrôle que peuvent exercer les
parlementaires.
Historiquement, tous les pouvoirs de contrôle reposaient
sur le Parlement lui-même et l'exercice de ce pouvoir constituait une
grande partie de l'activité parlementaire relayant parfois directement
les préoccupations de l'opinion. C'est ainsi que sous la Restauration ou
la monarchie de Juillet, alors que la responsabilité
ministérielle devient collective et politique, le contrôle du
gouvernement par la Chambre prend une nouvelle dimension. Symbolisés par
l'adresse ou les pétitions, les moyens de contrôle parlementaire
permettent alors un contrôle quasi quotidien1. La
Constitution
1 Lors des sessions, qui étaient alors
très circonscrites dans le temps.
de 1875 laisse aux assemblées la fixation dans leur
règlement des procédures législatives et de contrôle
de l'activité gouvernementale. C'est ainsi que sous la IIIe
République les enquêtes parlementaires sont amenées
à pouvoir se saisir de tous sujets, sans contrainte, au nom de
l'existence de la responsabilité ministérielle2. La
IVe République donne un cadre constitutionnel mais ne crée pas
d'organe de contrôle extérieur aux chambres sur leur
règlement intérieur.
La Constitution de la Ve République marque un tournant.
A la différence et sans doute en réaction aux systèmes
parlementaires de 1875 et de 1946 - les constituants ayant pour objectif
d'assurer la stabilité ministérielle- elle organise
minutieusement le règlement des Assemblées. Le cadre
constitutionnel renforcé par la pratique parlementaire tend à
aboutir à un contrôle plus informatif qu'un contrôle ayant
pour objectif la mise en jeu de la responsabilité gouvernementale : le
contrôle sanction.
La fonction de contrôle parlementaire s'exerce en effet
désormais de manière distincte entre les moyens de contrôle
associés à des procédés de mise en jeu de la
responsabilité du gouvernement qui relèvent du «
contrôle sanction », et ceux que l'ont peut qualifier, comme Pierre
Avril et Jean Gicquel, de moyens de « contrôle
2 La définition d'une commission
d'enquête donnée par Eugène Pierre en est la meilleure
illustration : << On appelle << enquête parlementaire »
les investigations auxquelles une Assemblée procède
elle-même par l'intermédiaire des membres qu'elle a
désignés avec un mandat déterminé. Ces
enquêtes peuvent être ordonnées sur toutes les questions qui
intéressent le pays. Le droit pour chaque Chambre d'y procéder
librement n'a jamais été inscrit dans nos lois ni dans nos
constitutions, mais il découle des pouvoirs généraux
attribués aux représentants de la nation. Lorsqu'il s'agit des
actes du pouvoir exécutif, le droit d'enquête trouve sa
justification dans les textes qui établissent la responsabilité
ministérielle ». Eugène Pierre, Traité de droit
politique, électoral et parlementaire, Motteroz, 1893, p.584.
information3 ». Le règlement actuel de
l'Assemblée nationale est, à cet égard,
révélateur. Il effectue, dans son titre III relatif au
contrôle parlementaire une distinction formelle entre « les
procédures d'information et de contrôle de l'Assemblée
» et « la mise en jeu de la responsabilité gouvernementale
».
Ainsi, deux études du contrôle parlementaire
peuvent, en pratique, distinctement ou parallèlement être
effectuées. L'analyse des procédures de sanction, de mise en jeu
de la responsabilité gouvernementale - motion de censure, question de
confiance - permet d'appréhender les rapports entre majorité et
opposition au sein de l'Assemblée nationale et d'étudier comment
leur portée est largement diminuée par le fait majoritaire. Mais
elle tend, de fait, à alimenter la vision d'un parlement
rationalisé au regard d'un pouvoir de contrôle auparavant
marqué par un résultat immédiatement quantifiable: le
nombre de gouvernements déchus. La véritable fonction de
contrôle parlementaire actuelle passe en grande majorité par
d'autres canaux : le contrôle information, ainsi, revêt diverses
formes dont la définition et les contours peuvent se
révéler complexes. Nous pouvons déterminer qu'il comprend
assez spontanément les questions, qu'elles soient orales, écrites
ou au gouvernement, les commissions ad hoc, les délégations et
offices parlementaires, les missions d'information et les commissions
d'enquête. Olivier Duhamel, qui propose une segmentation à
l'intérieur du contrôle information, entre l'information qui
permet
3 Pierre Avril - Jean Gicquel, Droit
parlementaire, Montchrestien, Paris, 2004.
<< d'interroger » et celle qui permet de <<
chercher », y ajoute même l'examen des propositions d'actes
communautaires. Dominique Chagnollaud et Jean-Louis Quermonne offrent au
contrôle parlementaire une définition générique de
<<compétence politique du Parlement4 », en
divisant ce contrôle politique sous trois aspects: le droit à
l'information, l'utilisation du travail d'investigation et la
possibilité de mise en jeu de la responsabilité du gouvernement.
On le voit, si la spécificité du contrôle sanction dans un
cadre procédural très contraint est d'une grande
lisibilité, les autres formes du contrôle parlementaire
méritent une analyse plus précise. En partant du postulat que le
Parlement doit être informé pour pouvoir contrôler, en
observant le développement depuis quelques années de cette forme
d'activité parlementaire, et en souhaitant étudier une forme de
contrôle moins soumise au fait majoritaire que le contrôle
sanction, forme qui, de fait, et en prenant en compte un cadre politique
contemporain bipolarisé, a plus de chances d'aboutir à des
résultats, nous nous attacherons au contrôle parlementaire
à travers l'étude des commissions d'enquête et des missions
d'information.
Sans ajouter à la confusion d'une difficile
classification de ce type d'outils de contrôle mais en essayant d'en
analyser toutes leurs dimensions, il s'agira d'étudier leur
fonctionnement, leur évolution mais aussi leur utilisation effective par
les parlementaires, qui peut révéler que la frontière est
subtile et parfois franchie dans
les faits entre instruments initiaux de contrôle et outils
de développement d'une nouvelle forme d'initiative
législative.
Au début des années 90, le thème de la
rénovation du Parlement est devenu fréquent dans le discours
politique et, que ce soit dans la bouche des parlementaires eux- mêmes,
des présidents successifs de l'Assemblée nationale, des experts
chargés de réfléchir au renouveau institutionnel
français, tous s'accordent pour souhaiter une revalorisation du
rôle du Parlement en matière de contrôle. Dans les
années 90, l'instauration d'une session unique avait pour objectif de
permettre un contrôle quasi ininterrompu de l'action gouvernementale. En
matière de contrôle parlementaire, les avancées
significatives sont donc récentes mais le développement de ce
contrôle ne cesse de s'accroître dans un cadre où
désormais enquête, information et évaluation tendent
à se mêler.
Le Parlement est sans nul doute à la recherche de
nouvelles voies et de nouveaux instruments non seulement pour contrôler
le pouvoir exécutif mais surtout pour arriver à consolider un
pouvoir en tant que tel. L'enquête, moyen de contrôle, n'est certes
plus moyen de censure, mais elle est amenée à doter le Parlement
d'un outil de revalorisation de son rôle par le développement de
son information propre dont découle aussi sa capacité à
multiplier sa force propositionnelle. Nous verrons ainsi qu'enquêtes
parlementaires et missions d'information permettent aux parlementaires de
reprendre une place nouvelle dans sa fonction législative amputée
par la
prééminence de l'exécutif sous la Ve
République. Ainsi, ce travail de description de la pratique
parlementaire effective, qui mêle étude des pouvoirs juridiques
dont le Parlement est doté, regard sur le règlement
intérieur qui organise son activité, mais surtout, analyse de la
réalité de l'activité législative quotidienne
à l'Assemblée nationale permet d'appréhender au plus
près une face méconnue du parlementarisme en plein
développement (I). La réalité du Parlement n'est pas
forcément celle qui est le plus souvent relayée et
l'éventuel besoin de réhabilitation d'une institution passe aussi
la connaissance de son fonctionnement. L'ouvrage de Marc Abélès
sur l'Assemblée nationale5 avait permis d'ouvrir les portes
d'un univers méconnu et d'en restituer la vie quotidienne avec un
réel souci d'exhaustivité et une capacité à donner
l'impression au lecteur d' << y être ». Les limites de
l'exercice ont été maintes fois détaillées. Les
études de cette partie fonctionnelle et ascendante du travail
parlementaire se développent6. Elles nous permettent
d'aborder les moyens dont une institution, l'Assemblée nationale en
l'occurrence, est en capacité de se saisir des instruments à sa
disposition et d'en élargir la pratique pour revaloriser son rôle,
faire vivre le pluralisme en son sein, ou encore organiser son ouverture sur la
société. Il s'agit dès lors pour nous de nous attacher
à l'enquête, l'investigation ou l'information parlementaire comme
<<instrument démocratique », utilisé par des
parlementaires en recherche de nouvelles formes de représentation
(II).
5 Marc Abélès, Un ethnologue
à l'Assemblée, Poches Odile Jacob, Paris, 2001.
6 La récente thèse Pauline Türk,
les commissions parlementaires permanentes et le renouveau du Parlement
sous la Ve République, Thèse, Paris, Dalloz, 2005, en est un
exemple.
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