c -L'irrecevabilité des demandes non soumises au
préalable à l'Administration
Les demandes nouvelles présentées à
l'audience sont irrecevables. Toutefois, lorsqu'elles ont fait l'objet d'un
recours gracieux, le tribunal les reçoit et renvoie la cause à
une prochaine audience pour conclusion des parties. L'article 52 alinéa
3 de la loi de 2006 précitée qui reprend dans son
intégralité l'article 22 alinéa 3 et 4 de la loi
abrogée n°75/17 du 08 décembre 197553 fixant la
procédure et le fonctionnement de la Cour Suprême en
matière administrative, consacre le rejet des demandes non soumises au
préalable à l'Administration.
Toute demande en justice doit comporter des conclusions qui
comprennent l'objet de la demande. Cet objet est « ce que le
justiciable désire obtenir, ce à quoi il sera fait droit dans le
dispositif de la décision juridictionnelle54 ».
L'objet du RGP ne peut être modifié dans la demande contentieuse.
Il doit donc être le même que celui du recours gracieux. La cause
du recours gracieux préalable doit aussi être la même que
celle du recours contentieux.
52 Jugement n°36/2001-2002/ CS-CA du 27 juin
2002, EMBOLO MVOLA Anne épouse ABESSOLO et Maître Etienne ABESSOLO
c/ État du Cameroun (P R).
Voir aussi jugement n°112/02-03/ CS-CA du 03 septembre
2003 ; FOE Théodore c/ État du Cameroun(DGSN) : le
requérant a saisi le Secrétaire général de la
Présidence au lieu du Délégué général
à la sûreté nationale ou le Président de la
République.
Voir de même, jugement n°02/2002-2003/ CS-CA du 31
octobre 2002, MENTOKE Fridolin c/ État du Cameroun (DGSN) où le
juge déclare que le recours est adressé au Secrétaire
général de la Présidence plutôt qu'au Ministre
responsable de l'Administration avec laquelle le requérant est en litige
(Il n'identifie pas toutefois le Ministre en question).
Voir également jugement n°83/2008/ CS-CA du 18
juin 2008, Syndicat national des professionnels de la comptabilité c/
État du Cameroun MINEFI : Saisine du Premier Ministre au lieu du
Ministre de l'économie et des finances.
Jugement n°73/05-06/ CS-CA du 05 avril 2006, Dame veuve
ANABA née MEUGUE Juliette c/ État du Cameroun (MINUH) et MBALLA
MBOUNOUNG.
53 Article 22 alinéa 3 : « Les
demandes nouvelles présentées à l'audience sont
irrecevables »
Alinéa 4 : « Toutefois, lorsqu'elles ont fait
l'objet d'un recours gracieux, la Chambre les reçoit et renvoie la cause
à une prochaine audience pour conclusion des parties ».
54 MOREAU (J) « La cause de la demande en
justice dans le contentieux de la responsabilité extra contractuelle
», Mélanges STASSINOPOULOS, Paris, LGDJ, 1974 p.77.
Cité par GUIMDO DONGMO (B-R), « Le droit d'accès
à la juridiction administrative au Cameroun .Contribution à
l'étude d'un droit fondamental », Article
précité, p.473.
Le caractère d'ordre public du recours gracieux
préalable a généralement conduit la juridiction
administrative camerounaise à rejeter les demandes formulées pour
la première fois devant elle. Il s'agit en clair ici des questions
contentieuses sur lesquelles l'Administration ne s'est pas prononcée.
Roger Gabriel NLEP évoque en son temps l'exigence d'une identité
d'objet entre le recours gracieux et le recours contentieux55. Cette
exigence traduit le fait qu'on ne peut pas demander à l'Administration
une chose et devant le juge une autre. « De jure, le recours
contentieux doit être le prolongement du recours gracieux dans ses
termes. Tout comme l'appel doit être la continuation du recours
formé en première instance56 ». Dans le
jugement NOUMEN NTCHAO Justin c/ État du Cameroun (MINEFI), objet du
jugement n°125/04-05 rendu par la Chambre Administrative de la Cour
Suprême le 27 juillet 2005, le juge déclare :
« Attendu en l'espèce que s'il ressort du
recours gracieux préalable qu'il a été introduit dans les
formes et délais prescrits ci-dessus, ledit préalable ne comporte
que la demande d'annulation de l'ordre de recette incriminé à
l'exclusivité de sa demande de dommages intérêts (...)
Qu'il ya lieu en conséquence de déclarer la seconde demande
irrecevable et la première recevable »
Dans une autre espèce rendue le 1er
février 2006, le juge relève :
« Attendu qu'en réservant le droit de demander
les dommages intérêts sans expressément formuler une
demande à cet égard dans ledit recours gracieux,
l'intéressé n'a pas satisfait le voeu du texte
susvisé57 ».
55 NLEP (R.G), L'Administration publique camerounaise,
Ouvrage précité, p.272.
56 NGUEKAM (T. D), Le principe de
l'immutabilité de la demande en justice, étude comparée
droit public droit privé, Mémoire de maîtrise en Droit
public, Université de Yaoundé,1985,pp.26-48.Cité par
GUIMDO DONGMO (B-R), Article précité ,p.472.
57 Jugement n°45/2005-2006/ CS-CA du
1er février 2006, FOGANG Moïse c/ État du
Cameroun (MINUH) ;
Jugement n°124/2006-2007/ CS-CA du 28 novembre 2007, NGAWOUO
c/ État du Cameroun (MINMEE). Dans cette décision, l'objet de la
demande dans le recours gracieux préalable est le
Le texte auquel le juge fait allusion n'est rien d'autre que
l'article 12 de l'ordonnance de 1972 précitée. On retrouve
d'ailleurs cette exigence d'identité d'objet entre le RGP et le recours
contentieux dans plusieurs autres décisions58. Dans le
jugement n°29/2008/CS-CA du 02 avril 2008, ZONG OKOMO c/ État du
Cameroun (SESI), le juge relève : « les demandes de
reconstitution de carrière et de paiement en
dommages-intérêts sont irrecevables comme n'ayant pas
figuré sur le recours gracieux préalable ».
Le rejet des demandes non soumises à l'Administration
par le juge est aussi la conséquence logique de la relation
d'immutabilité qui existe entre le recours gracieux et le recours
contentieux. La règle de l'immutabilité permet au juge de rester
dans le cadre de ce qui a été demandé dans le recours
gracieux préalable. La juridiction Administrative l'a toujours
rappelé aux requérants qui ont semblé l'ignorer. Tel
était notamment le cas dans l'affaire BABA YOUSSOUFA c / État du
Cameroun, CFJ-AP, arrêt n°9 du 16 octobre 1968. Dans cette affaire
le requérant, révoqué du cadre des secrétaires
généraux de l'Administration, demandait dans le recours gracieux
à être réintégré dans ce cadre alors que
devant le juge il exigeait plutôt une intégration dans le corps
des administrateurs civils, ce qui n'a pas été admis par le juge.
Le même problème s'est posé dans le jugement n°22 du
27 avril 1978, NDJANA Pascal Bether. Dans le recours gracieux, le recourant
demandait au Ministre des finances de rectifier l'arrêté
autorisant le remboursement des frais médicaux. Par contre, dans sa
requête contentieuse, il demande le paiement à lui de la somme de
1578650 FCFA au titre de remboursement des frais médicaux.
reclassement et le rappel. Malheureusement pour le
requérant, dans sa requête contentieuse, il demande les dommages
intérêts, ce qui entraine l'irrecevabilité de sa
demande.
58Jugement n°45/2004-2005/ CS-CA du 05
février 2005, Société NKUITE et Compagnie c/ État
du
Cameroun, (MINEFI). Le juge y affirme : « Or attendu non
seulement que les requérants n'ont pas établila cessation de
leurs activités en 1988 pour prétendre à
l'exonération d'impôts correspondant à la
période de ladite cessation, mais le défaut
d'identité d'objet du recours gracieux et du recours contentieux et
l'absence des paiements affirmés par les intéressés ne
permettent pas à cette juridiction de déterminer les impôts
dus ou non ».Voir aussi dans le même sens jugement
n°49/04-05 / CS-CA du 02 février 2005,BIDJEBELE Joseph c/
État du Cameroun (MFPRA) où le juge reconnait dans un attendu
qu'étant donné que le recours gracieux ne contient que la demande
de paiement de ses droits, le recours contentieux de BIDJEBELE Joseph doit
être déclaré recevable seulement en cette branche ;par
conséquent l'annulation de l'arrêté litigieux et la demande
de la réintégration subséquente du requérant dans
la fonction publique n'ayant pas fait l'objet dudit recours gracieux sont
irrecevables .
En France devant le juge administratif, le recourant peut
invoquer des moyens nouveaux mais non pas des droits nouveaux. L'arrêt
GARNIER du 21 mars 2007 précise que le requérant peut se
prévaloir de « tout moyen de droit nouveau, alors même
qu'il n'aurait pas été invoqué à l'appui du recours
administratif contre la décision initiale, dès lors que ces
moyens sont relatifs au même litige que celui dont avait
été saisie l'autorité
administrative59».
Le recours gracieux préalable en matière
ordinaire après une trentaine d'années conserve son
caractère obligatoire. Par contre, dans le cadre de l'urgence, la
consécration du recours gracieux a connu une évolution relative
qu'on ne saurait taire.
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