PARAGRAPHE-2 : LE RECOURS GRACIEUX EN MATIÈRE
D'URGENCE
Les procédures d'urgence permettent de prendre des
mesures conservatoires ou de retarder la prise des effets d'un acte
administratif, afin d'éviter qu'un préjudice irréversible
ne se produise. Les requêtes soumises au juge administratif mettent en
général beaucoup de temps pour aboutir. Ce temps peut même
aller au delà d'une décennie. Pour ne pas laisser les personnes
victimes des actes administratifs aux abois durant le procès, le
législateur camerounais a aménagé à leur
bénéfice des procédures d'urgence. Ces procédures
correspondent selon la gravité du préjudice éventuel au
référé administratif et au sursis à
exécution.
Le référé est une procédure
d'urgence qui « a pour objet de permettre au Président de la
juridiction de prendre, sans toucher au fond du litige, des mesures d'urgence
de nature à sauvegarder les intérêts du requérant
60». Par contre, le sursis à exécution est
une procédure d'urgence qui vise « la suspension de
l'applicabilité d'un acte dans l'attente du jugement à rendre sur
sa légalité ; c'est sa
59 "Problèmes de procédure
administrative non contentieuse". Table ronde organisée par La
Chaire "Mutations de l'Action Publique et du Droit Public", Sciences
Po .Contribution de BRISSON (J-F) « les recours administratifs
préalables obligatoires en droit public français, alternative au
juge ou voie sans issue ? » Contribution_Jean_Francois
BRISSON.pdf.
60 JACQUOT (H), Article précité,
p.120.
neutralisation pendant le procès dont il fait
l'objet, en quelque sorte la « détention provisoire » de
l'acte non encore condamné mais déjà
inculpé61 ». Nous examinerons successivement le RGP
dans le référé administratif (A) et le sursis à
exécution (B).
A - L'exigence nouvelle d'un recours gracieux dans le
référé administratif
Une analyse approfondie du référé
administratif au Cameroun permet de constater qu'il a connu des mutations
significatives en ce qui concerne le recours gracieux préalable. Pour
l'essentiel, nous retenons que le législateur de 2006 a remis en cause
une opportunité issue de la loi n°75/17 précitée en
exigeant formellement un recours gracieux préalable en matière
d'urgence.
1 - La remise en cause de l'acquis de 1975
L'article 27 alinéa 1 de la loi n°2006 / 022
fixant l'organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs dispose
:
« Dans les cas d'urgence,62 le
Président du tribunal ou le magistrat qu'il délègue peut
sur requête et si le demandeur justifie de l'introduction d'un recours
gracieux, les parties convoquées et après conclusion du
ministère public, ordonner, en référé, toutes les
mesures utiles, sans faire préjudice au principal ».
C'est tout le contraire de la loi n°75/17 du 8
décembre 1975 précitée qui, reprenant plus ou moins
l'article 14 du décret du 19 juin 196463 disposait en son
article 122 :
61 PACTEAU (B), Contentieux administratif, Paris,
P.U.F, 1989, p.235 .Cité par KEUTCHA TCHAPNGA (C), « Le
régime juridique du sursis à exécution dans la
jurisprudence administrative camerounaise », Juridis
Périodique n°38, avril-mai-juin 1999, p.83.
62 Tel était le cas dans l'affaire NKWENKAM
MOLHIE Luc c/CPE de Yaoundé objet de la décision rendue par la
Cour Fédérale de Justice en date du 6 janvier 1970.Cité
par JACQUOT (H), Article précité, p.121.
63 Dans tout les cas d'urgence et sauf pour les
litiges intéressant le maintien de l'ordre, la sécurité et
la tranquillité publiques le Président du tribunal peut sans
préjudicier au principal ordonner sur requête toute mesure
utile, notamment les expertises et les descentes sur les lieux (article 14 du
décret du 19 juin 1964).
« Dans tous les cas et sauf pour les litiges
intéressant le maintien de l'ordre public, la sécurité et
la tranquillité publiques, le Président de la Chambre
Administrative ou l'Assemblée Plénière, ou le magistrat
qu'il délègue peut, après avis conforme du
ministère public, ordonner toute mesure nécessaire sans faire
préjudice au principal ».
Aucune condition relative à l'exigence d'un recours
gracieux préalable n'était donc prévue dans les textes de
1964 et de 1975.
L'interprétation de ce silence amenait logiquement
à penser que le recours gracieux préalable n'était pas
formellement exigé en matière de référé. La
juridiction administrative camerounaise a eu à rendre plusieurs
décisions en matière de référé. Souvent elle
a exigé le RGP64, ce que d'aucuns ont qualifié
d'interprétation négative65. Aussi souvent, elle a
fait fi de cette exigence66. Il s'agissait là d'une
interprétation positive67.
Il ressort clairement de ces deux dispositions que le
législateur de 2006 est resté fidèle à la logique
selon laquelle il ne faut pas surprendre l'Administration en justice. Si tel
n'était pas le cas, comment comprendre que dans un cas d'urgence et donc
nécessitant célérité, la nouvelle loi demande au
requérant de justifier d'un recours gracieux, alors que cette
justification ne sera pas la moindre
64 Voir ordonnance de référé
n°06/du 08 décembre 1998, SOSSO Emmanuel c/Crédit foncier du
Cameroun où le juge a conclut à l'irrecevabilité de la
requête en référé pour défaut de recours
gracieux préalable. (Lire à ce sujet KEUTCHA TCHAPNGA (C), Note
sous ordonnance de référé n°06/du 08 décembre
1998, SOSSO Emmanuel c/Crédit foncier du Cameroun, Juridis
Périodique n°45, janvierfévrier-mars 2001, pp. 41-45.
65 KEMFOUET KENGNY (E,D), Le
référé devant le juge administratif camerounais,
Mémoire de maitrise, Université de Dschang, 1997-1998 ,86 p.,
notamment pp.13-14. Pour l'auteur, l'interprétation négative
protège plutôt l'Administration en exigeant des requérant
un recours gracieux préalable.
66 Voir GUIMDO DONGMO (B-R), Note sous ordonnance
de référé n°13/OR/PCA/90-91 du 25 avril 1991, Journal
« Le Messager » c/ État du Cameroun , Juridis Info
n° 17, janvier- février-mars 1994,pp.54- 56 .Voir dans le
même sens Ordonnance de référé
n°41/OR/CAB/PCA/CS/2003-2004 du 07 juillet 2004,Social Democratic Front c/
État du Cameroun(MINATD et MINEFIB) : « Attendu qu'il ne
résulte pas de ce texte l'exigence d'un recours gracieux
préalable, la juridiction saisie qui est celle du Président
statuant en matière d'urgence, laquelle ne saurait s'encombrer des
délais relatifs au recours gracieux sans courir le risque de voir la
situation de l'une des parties en procès irrémédiablement
compromise par l'exécution de l'acte administratif ».
67 KEMFOUET KENGNY (E,D), Mémoire
précité, en particulier pp.13-14. Pour l'auteur
l'interprétation positive du silence est celle qui privilégie les
intérêts des administrés en leur dispensant de l'obligation
d'exercer un recours gracieux préalable alors que
l'interprétation négative protège plutôt
l'Administration en exigeant du requérant un recours gracieux
préalable.
des tâches ? On ne peut justifier d'un recours gracieux
que si l'on l'a régulièrement formé.
Cette exigence a suscité l'inquiétude de la
doctrine,68 étant donné que l'urgence est «
l'âme du référé69 ». Le
référé est adressé à la Cour par le moyen
d'une requête. C'est une procédure qui se veut simple et rapide.
Par contre tel n'était pas le cas dans l'affaire SOSSO Emmanuel
c/Crédit foncier du Cameroun précitée, objet de
l'ordonnance n°6 du 8 décembre 1998. Dans cette espèce, le
juge a exigé formellement que la requête en
référé soit accompagnée d'un recours gracieux.
Malgré l'indignation de la doctrine,70 le
législateur de 2006 ne s'empêchera pas de reprendre ce
raisonnement juridique dans l'article 27 précité. Il ne faut pas
perdre de vue qu'un même recours gracieux peut valoir tant pour la
demande de référé que pour la demande au fond. En d'autres
termes un seul acte de procédure peut fédérer le RGP du
référé et celui de la demande au fond. Tout compte fait la
prescription du recours gracieux en référé remet
sérieusement en cause l'urgence.
2 - La dénaturation de l'urgence par
l'exigence d'un recours gracieux préalable en
référé
L'exigence d'un recours gracieux préalable dans la loi
n°2006 / 022 est de nature à vider la procédure du
référé administratif de sa substance. On se demande si le
temps que prendra le justiciable pour élaborer un recours gracieux n'est
pas largement suffisant pour mettre en péril une situation juridique
vulnérable. Le péril est d'autant plus probable que beaucoup de
camerounais ne connaissent pas grand-chose du contentieux administratif. Une
situation juridique peut se détériorer
irrémédiablement pendant que le juge impose au
68KEUTCHA TCHAPNGA (C), «La réforme
attendue du contentieux administratif au Cameroun » Article
précité, p.29.
69 AUBY (J.M) et DRAGO (R), Traité de
contentieux administratif .Cité par JACQUOT (H), « Le
contentieux administratif au Cameroun », Article
précité p. 121.
70 Voir KEUTCHA TCHAPNGA (C), « Une
délicate révolution dans la procédure administrative
contentieuse au Cameroun/ À propos du traitement récent de
l'urgence par le juge des référés /Note sous Cour
Suprême du Cameroun, ordonnance de référé n°6
du 08 décembre 1998 SOSSO Emmanuel contre Crédit Foncier
», Juridis Périodique n°45, janvier-février- mars 2001,
pp.41-45, notamment pp.43-44.
requérant de justifier le recours gracieux
préalable. C'est donc indubitable que cette exigence dénature
l'urgence.
Toutefois il convient de nuancer cette position en relevant
que le législateur de 2006 n'exige que l'introduction du RGP. En
d'autres termes, il n'impose pas au requérant d'attendre que
l'Administration arrête sa position définitive avant de saisir le
juge du référé. Il nous semble que le requérant
devra simplement présenter au juge le moment opportun une copie dument
enregistrée du recours gracieux qu'il a conservé. Le juge
s'assure seulement que le requérant a formé un RGP.
Le sursis à exécution quant à lui n'a pas
connu ce changement.
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