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Le recours gracieux préalable au Cameroun, trente ans après

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par Grégoire Yves DOUNGUE KAMO
Université de Dschang Cameroun - Master en droit public 2011
  

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PARAGRAPHE-2 : LE RECOURS GRACIEUX EN MATIÈRE

D'URGENCE

Les procédures d'urgence permettent de prendre des mesures conservatoires ou de retarder la prise des effets d'un acte administratif, afin d'éviter qu'un préjudice irréversible ne se produise. Les requêtes soumises au juge administratif mettent en général beaucoup de temps pour aboutir. Ce temps peut même aller au delà d'une décennie. Pour ne pas laisser les personnes victimes des actes administratifs aux abois durant le procès, le législateur camerounais a aménagé à leur bénéfice des procédures d'urgence. Ces procédures correspondent selon la gravité du préjudice éventuel au référé administratif et au sursis à exécution.

Le référé est une procédure d'urgence qui « a pour objet de permettre au Président de la juridiction de prendre, sans toucher au fond du litige, des mesures d'urgence de nature à sauvegarder les intérêts du requérant 60». Par contre, le sursis à exécution est une procédure d'urgence qui vise « la suspension de l'applicabilité d'un acte dans l'attente du jugement à rendre sur sa légalité ; c'est sa

59 "Problèmes de procédure administrative non contentieuse". Table ronde organisée par La Chaire "Mutations de l'Action Publique et du Droit Public", Sciences Po .Contribution de BRISSON (J-F) « les recours administratifs préalables obligatoires en droit public français, alternative au juge ou voie sans issue ? » Contribution_Jean_Francois BRISSON.pdf.

60 JACQUOT (H), Article précité, p.120.

neutralisation pendant le procès dont il fait l'objet, en quelque sorte la « détention provisoire » de l'acte non encore condamné mais déjà inculpé61 ». Nous examinerons successivement le RGP dans le référé administratif (A) et le sursis à exécution (B).

A - L'exigence nouvelle d'un recours gracieux dans le référé
administratif

Une analyse approfondie du référé administratif au Cameroun permet de constater qu'il a connu des mutations significatives en ce qui concerne le recours gracieux préalable. Pour l'essentiel, nous retenons que le législateur de 2006 a remis en cause une opportunité issue de la loi n°75/17 précitée en exigeant formellement un recours gracieux préalable en matière d'urgence.

1 - La remise en cause de l'acquis de 1975

L'article 27 alinéa 1 de la loi n°2006 / 022 fixant l'organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs dispose :

« Dans les cas d'urgence,62 le Président du tribunal ou le magistrat qu'il délègue peut sur requête et si le demandeur justifie de l'introduction d'un recours gracieux, les parties convoquées et après conclusion du ministère public, ordonner, en référé, toutes les mesures utiles, sans faire préjudice au principal ».

C'est tout le contraire de la loi n°75/17 du 8 décembre 1975 précitée qui, reprenant plus ou moins l'article 14 du décret du 19 juin 196463 disposait en son article 122 :

61 PACTEAU (B), Contentieux administratif, Paris, P.U.F, 1989, p.235 .Cité par KEUTCHA TCHAPNGA (C), « Le régime juridique du sursis à exécution dans la jurisprudence administrative camerounaise », Juridis Périodique n°38, avril-mai-juin 1999, p.83.

62 Tel était le cas dans l'affaire NKWENKAM MOLHIE Luc c/CPE de Yaoundé objet de la décision rendue par la Cour Fédérale de Justice en date du 6 janvier 1970.Cité par JACQUOT (H), Article précité, p.121.

63 Dans tout les cas d'urgence et sauf pour les litiges intéressant le maintien de l'ordre, la sécurité et la
tranquillité publiques le Président du tribunal peut sans préjudicier au principal ordonner sur requête toute
mesure utile, notamment les expertises et les descentes sur les lieux (article 14 du décret du 19 juin 1964).

« Dans tous les cas et sauf pour les litiges intéressant le maintien de l'ordre public, la sécurité et la tranquillité publiques, le Président de la Chambre Administrative ou l'Assemblée Plénière, ou le magistrat qu'il délègue peut, après avis conforme du ministère public, ordonner toute mesure nécessaire sans faire préjudice au principal ».

Aucune condition relative à l'exigence d'un recours gracieux préalable n'était donc prévue dans les textes de 1964 et de 1975.

L'interprétation de ce silence amenait logiquement à penser que le recours gracieux préalable n'était pas formellement exigé en matière de référé. La juridiction administrative camerounaise a eu à rendre plusieurs décisions en matière de référé. Souvent elle a exigé le RGP64, ce que d'aucuns ont qualifié d'interprétation négative65. Aussi souvent, elle a fait fi de cette exigence66. Il s'agissait là d'une interprétation positive67.

Il ressort clairement de ces deux dispositions que le législateur de 2006 est resté fidèle à la logique selon laquelle il ne faut pas surprendre l'Administration en justice. Si tel n'était pas le cas, comment comprendre que dans un cas d'urgence et donc nécessitant célérité, la nouvelle loi demande au requérant de justifier d'un recours gracieux, alors que cette justification ne sera pas la moindre

64 Voir ordonnance de référé n°06/du 08 décembre 1998, SOSSO Emmanuel c/Crédit foncier du Cameroun où le juge a conclut à l'irrecevabilité de la requête en référé pour défaut de recours gracieux préalable. (Lire à ce sujet KEUTCHA TCHAPNGA (C), Note sous ordonnance de référé n°06/du 08 décembre 1998, SOSSO Emmanuel c/Crédit foncier du Cameroun, Juridis Périodique n°45, janvierfévrier-mars 2001, pp. 41-45.

65 KEMFOUET KENGNY (E,D), Le référé devant le juge administratif camerounais, Mémoire de maitrise, Université de Dschang, 1997-1998 ,86 p., notamment pp.13-14. Pour l'auteur, l'interprétation négative protège plutôt l'Administration en exigeant des requérant un recours gracieux préalable.

66 Voir GUIMDO DONGMO (B-R), Note sous ordonnance de référé n°13/OR/PCA/90-91 du 25 avril 1991, Journal « Le Messager » c/ État du Cameroun , Juridis Info n° 17, janvier- février-mars 1994,pp.54- 56 .Voir dans le même sens Ordonnance de référé n°41/OR/CAB/PCA/CS/2003-2004 du 07 juillet 2004,Social Democratic Front c/ État du Cameroun(MINATD et MINEFIB) : « Attendu qu'il ne résulte pas de ce texte l'exigence d'un recours gracieux préalable, la juridiction saisie qui est celle du Président statuant en matière d'urgence, laquelle ne saurait s'encombrer des délais relatifs au recours gracieux sans courir le risque de voir la situation de l'une des parties en procès irrémédiablement compromise par l'exécution de l'acte administratif ».

67 KEMFOUET KENGNY (E,D), Mémoire précité, en particulier pp.13-14. Pour l'auteur l'interprétation positive du silence est celle qui privilégie les intérêts des administrés en leur dispensant de l'obligation d'exercer un recours gracieux préalable alors que l'interprétation négative protège plutôt l'Administration en exigeant du requérant un recours gracieux préalable.

des tâches ? On ne peut justifier d'un recours gracieux que si l'on l'a régulièrement formé.

Cette exigence a suscité l'inquiétude de la doctrine,68 étant donné que l'urgence est « l'âme du référé69 ». Le référé est adressé à la Cour par le moyen d'une requête. C'est une procédure qui se veut simple et rapide. Par contre tel n'était pas le cas dans l'affaire SOSSO Emmanuel c/Crédit foncier du Cameroun précitée, objet de l'ordonnance n°6 du 8 décembre 1998. Dans cette espèce, le juge a exigé formellement que la requête en référé soit accompagnée d'un recours gracieux.

Malgré l'indignation de la doctrine,70 le législateur de 2006 ne s'empêchera pas de reprendre ce raisonnement juridique dans l'article 27 précité. Il ne faut pas perdre de vue qu'un même recours gracieux peut valoir tant pour la demande de référé que pour la demande au fond. En d'autres termes un seul acte de procédure peut fédérer le RGP du référé et celui de la demande au fond. Tout compte fait la prescription du recours gracieux en référé remet sérieusement en cause l'urgence.

2 - La dénaturation de l'urgence par l'exigence d'un recours gracieux
préalable en référé

L'exigence d'un recours gracieux préalable dans la loi n°2006 / 022 est de nature à vider la procédure du référé administratif de sa substance. On se demande si le temps que prendra le justiciable pour élaborer un recours gracieux n'est pas largement suffisant pour mettre en péril une situation juridique vulnérable. Le péril est d'autant plus probable que beaucoup de camerounais ne connaissent pas grand-chose du contentieux administratif. Une situation juridique peut se détériorer irrémédiablement pendant que le juge impose au

68KEUTCHA TCHAPNGA (C), «La réforme attendue du contentieux administratif au Cameroun » Article précité, p.29.

69 AUBY (J.M) et DRAGO (R), Traité de contentieux administratif .Cité par JACQUOT (H), « Le contentieux administratif au Cameroun », Article précité p. 121.

70 Voir KEUTCHA TCHAPNGA (C), « Une délicate révolution dans la procédure administrative contentieuse au Cameroun/ À propos du traitement récent de l'urgence par le juge des référés /Note sous Cour Suprême du Cameroun, ordonnance de référé n°6 du 08 décembre 1998 SOSSO Emmanuel contre Crédit Foncier », Juridis Périodique n°45, janvier-février- mars 2001, pp.41-45, notamment pp.43-44.

requérant de justifier le recours gracieux préalable. C'est donc indubitable que cette exigence dénature l'urgence.

Toutefois il convient de nuancer cette position en relevant que le législateur de 2006 n'exige que l'introduction du RGP. En d'autres termes, il n'impose pas au requérant d'attendre que l'Administration arrête sa position définitive avant de saisir le juge du référé. Il nous semble que le requérant devra simplement présenter au juge le moment opportun une copie dument enregistrée du recours gracieux qu'il a conservé. Le juge s'assure seulement que le requérant a formé un RGP.

Le sursis à exécution quant à lui n'a pas connu ce changement.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus