1-La protection précontentieuse de l'Administration
On ne surprend pas l'Administration en justice ! Le recours
gracieux préalable est d ordre public et permet à
l'autorité habilitée à le recevoir d'arrêter
définitivement la position de l'Administration sur la question
litigieuse43. Il s'agit donc de la protection non juridictionnelle
de l'Administration. C'est ce qu'a explicitement affirmé la Chambre
Administrative de la Cour Suprême dans le jugement n° 65 du 22 avril
1976 EDIMO Jean Charles c/ État du Cameroun. Depuis1988 dans l'affaire
BABOULE Pierre c/ État du Cameroun, objet du jugement
n°44/CS-CA/87-88 du 28 janvier 1988, la Chambre Administrative de la Cour
Suprême déclare que le recours gracieux d'une demande en
réparation du préjudice subi par un fonctionnaire
illégalement révoqué doit être distinct du recours
gracieux attaché au recours en annulation de l'acte
révoqué44.
La règle du recours gracieux préalable est
d'ordre public. Son absence entraine l'irrecevabilité de la demande en
justice. Le juge administratif l'a affirmé à plusieurs occasions
notamment dans le jugement ITEM Dieudonné c/ État du Cameroun
rendu le 27 avril 1978 ; jugement n°40 ZENGUE NGOULOU Dagobert rendu le 25
mai 1989. Il est donc évident que le recours gracieux préalable
concourt à la protection de l'Administration. Toutefois, il faut nuancer
pour reconnaitre qu'il ne s'agit pas d'une protection entendue dans un sens
strict. Ainsi, selon le Professeur ONDOA Magloire, « la requête
administrative préalable ne protègerait l'Administration que
d'autant que dans le cadre du contentieux de l'indemnisation par exemple, elle
lui éviterait de réparer les préjudices
causés45 ». Or tel n'est pas le cas. Nous
reconnaissons avec le Professeur François Xavier MBOME que la citation
directe contre l'Administration n'est pas possible, -sauf exception- quand il
déclare qu' « En droit administratif, il n y a pas
d'équivalent de la citation
43KEUTCHA TCHAPNGA (C),
Contentieux administratif, Cours de Licence, Université de
Dschang, 2006-2007.
44 Voir KAMTO (M), Ouvrage précité,
p.41.
45 ONDOA (M), Le droit de la responsabilité
publique dans les États en développement, Thèse
précitée, p.87.
directe civile »46. L'Administration
doit alors être en mesure de se prononcer au préalable sur les
griefs formulés contre elle. Le juge et le justiciable tirent aussi du
RGP quelques avantages.
2-Le bien fondé du recours gracieux
préalable pour le justiciable et le juge
Le requérant bénéficie des garanties non
négligeables grâce au recours gracieux préalable. D'abord
et surtout, l'issue heureuse du recours gracieux lui permet de faire une
économie de temps et de moyens. L'obstacle d'une justice administrative
couteuse, tracassière et lente est contourné. Bien plus aucune
condition liée à la capacité ni à la
qualité, encore moins à l'intérêt n'est
exigée devant l'Administration, dans le cadre du recours gracieux par ce
qu'elle n'est pas une juridiction, encore que le RGP n'est pas un recours
contentieux.
Le recours gracieux permet aussi au recourant de faire une
projection sur sa situation juridique future ou éventuelle. La
décision administrative peut ainsi permettre au justiciable de faire une
prévision sur le dénouement du procès. C'est ici une autre
façon de relever qu'une décision motivée de
l'Administration sur un RGP peut amener le recourant à comprendre qu'il
n'a aucune chance de réussite dans un recours contentieux, du fait
notamment de l'inattaquabilité de l'acte litigieux à l'instar
d'un acte de gouvernement. Le recours gracieux préalable est d'autant
plus important qu'il facilite ou allège le travail des juges.
Pour indispensable que soit le recours gracieux à
l'égard de l'Administration, il n'en demeure pas moins vrai que le juge
administratif en tire le plus souvent un grand profit. Tant est que le recours
gracieux préalable contribue énormément s'il aboutit au
décongestionnement du prétoire administratif. Le recours gracieux
préalable est susceptible de mettre le juge à l'abri des recours
intempestifs et fantaisistes qui pouvaient trouver solution devant
l'Administration. Il lui confère ipso facto une
disponibilité raisonnable pour administrer la justice administrative. On
ne peut saisir la juridiction
46 Voir MBOME (F-X), Note sous jugement
n°03/90-91/CS-CA du 21 novembre 1990, AYINA ABE Benoît c/
État du Cameroun, Juridis Périodique n°36, octobre-novembre
- décembre-1990, p.37.
administrative que si le contentieux est lié et le recours
gracieux participe de cette liaison du contentieux.
B - La liaison du contentieux administratif par le
recours gracieux préalable
Il nous convient d'envisager le bien fondé de
l'exigence d'une liaison du contentieux par le RGP avant de dégager les
conséquences qui découlent de cette exigence.
1 - La nécessité d'une liaison du
contentieux par le recours gracieux
L'exigence d'une liaison du contentieux administratif
répond non seulement à une logique d'opportunité, mais
aussi de nécessité. Relevons à toutes fins utiles que le
contentieux est lié lorsque la seule possibilité de le trancher
est le recours au juge. Autrement dit, le contentieux est lié lorsque
les parties ne peuvent plus le régler entre elles47, ou bien
lorsque toutes les conditions sont réunies pour que la partie diligente
saisisse le juge. La liaison du contentieux est une expression plus
usitée en contentieux administratif48. Elle se traduit par le
fait qu'il existe une décision administrative attaquable.
En France, la décision de rejet d'un recours
administratif préalable obligatoire (RAPO) assure la liaison du
contentieux. Il en est de même au Cameroun en matière de RGP.
Ainsi, le rejet du recours gracieux préalable lie le contentieux. Il n'y
a donc pas liaison du contentieux quand l'Administration peut encore
régler le différend. À la vérité, quand
l'exigence de liaison fait défaut, notamment lorsque l'Administration
était encore dans les délais pour se prononcer sur le RGP,- ou
tout simplement n'a jamais eu connaissance préalable du litige - le
recours contentieux fait à l'appui de ce recours gracieux n'a aucune
chance d'aboutissement. La nécessité d'une liaison du contentieux
par le RGP est
47 Voir ABA'A OYONO (J.C), Pratique des contentieux de
Droit public, Cours de Master II recherche, Université de Dschang,
2008-2009.
48 Voir CHAPUS (R), Ouvrage précité,
p.445. Voir aussi http : //fr.
WIKINEWS.org/WIKI/Droit_
public_ en _France : la_ liaison_ du_ contentiteux_ en_ cours d'instance#colum
one.
Voir aussi « Les recours administratifs
préalables, Principes générauxs », disponible
sur
http://bgrondin.perso.infonie.fr/contadm/recours_adm.html.
porteuse des conséquences fondamentales dans la
procédure contentieuse. Il est d'ailleurs important que nous analysions
de long en large ces conséquences.
2 - Les conséquences de l'exigence d'une
liaison du contentieux par le recours gracieux préalable
La nécessité d'une liaison du contentieux par le
RGP entraine le rejet des recours contentieux prématurés, ainsi
que celui des recours gracieux mal dirigés. La même exigence est
à l'origine de l'irrecevabilité des demandes non soumises au
préalable à l'Administration.
a - Le rejet des recours contentieux
prématurés
La juridiction administrative camerounaise a toujours de bon
droit rejeté les recours contentieux intentés avant l'expiration
des délais requis. Il s'agit du temps à l'issue duquel le
requérant peut considérer son recours gracieux comme
rejeté par l'Administration. Le rejet du RGP peut être selon le
cas implicite ou explicite. Le rejet explicite est celui qui émane
expressément de l'autorité ayant reçu le recours gracieux.
Le caractère explicite tient le plus souvent au fait que le
requérant a été informé par une décision
administrative du fait qu'il n'a pas été fait droit à sa
demande. L'évidence du rejet est telle que seul le juge compétent
peut régler le différend.
L'hypothèse du rejet implicite découle de
l'article 17 alinéa 2 de la loi n°2006 /022 du 29 décembre
2006. Cet article dispose que constitue le rejet d'un recours gracieux le
silence gardé par l'autorité adressataire du recours gracieux
pendant un délai de trois mois, consécutif à la demande ou
à la réclamation qui lui a été faite49.
En cas de demande d'indemnisation, l'Administration dispose après avoir
accepté l'indemnisation d'un délai supplémentaire de trois
(3) mois pour en proposer le montant. L'inobservation de cette formalité
entraine l'irrecevabilité de la demande contentieuse.
49 Voir jugement n°65/04-05/ CS-CA du 23 mars
2005, MINDANG Michel c/ État du Cameroun (MFPCE) où le juge
affirme : « Attendu qu'aux termes de l'article 12 de l'ordonnance
n°72/6 du 26 août 1972, le silence gardé par l'Administration
pendant un délai de trois mois sur une demande ou une réclamation
qui lui est adressée constitue un rejet du recours gracieux
».
La juridiction administrative utilise souvent les
qualificatifs de « recours prématurés » ou de
« recours avortés » pour qualifier ces recours
contentieux exercés en violation des délais impartis à
l'Administration pour se prononcer sur le recours gracieux préalable. La
juridiction administrative camerounaise a affirmé cette exigence dans
plusieurs décisions.50 Les recours contentieux
prématurés sont sanctionnés au même titre que les
recours gracieux mal dirigés.
b- Le rejet des recours gracieux
mal dirigés
Plus de trente ans après la consécration du
recours gracieux préalable dans l'ordonnancement juridique camerounais,
les recours contentieux consécutifs aux recours gracieux
préalables mal dirigés connaissent la même sanction que
ceux dans lesquels le recourant n'a même pas formé ce recours
lorsqu'il était exigé. Cette sanction commune est
l'irrecevabilité du recours juridictionnel. Un recours gracieux mal
dirigé est celui qui est adressé à une autorité qui
n'était pas compétente pour le recevoir.
Les recours gracieux mal dirigés étaient
courants avec la désormais abrogée ordonnance du 26 août
1972. Cette situation était en priorité accentuée par
l'expression « Ministre compétent » que recelait
l'article 12 de ladite ordonnance. Nous reviendrons plus tard sur cet aspect de
l'ordonnance de 1972.
Il est de principe qu'un recours mal dirigé
équivaut à une absence de recours. Tel a toujours
été la position de la juridiction administrative au Cameroun.
Dans une décision rendue en 2008 le juge a rejeté un recours
contentieux parce que le recours gracieux préalable a été
adressé au Ministre de l'Administration territoriale en lieu et place de
celui des affaires foncières.51Il en
50 Jugement n°127/04-05/ CS-CA du 22 juillet
2005, DANG Joseph c/ État du Cameroun(DGSN). Dans cette décision,
le juge déclare : « Attendu qu'en saisissant la Chambre
Administrative sans attendre le rejet de l'autorité saisie de son
recours gracieux, le requérant a agit prématurément (...)
Qu'il s'en suit que le recours est irrecevable ».
Jugement n°70/2008/ CS-CA du 18 juin 2008, TONYE Jean
Alphonse c/ État du Cameroun (MINDEF). Le juge déclare «
Qu'en l'espèce, le recourant a déposé son recours
gracieux aux services du Ministre délégué à la
Présidence chargé de la défense le 09 avril 2002 et devait
attendre trois mois, soit jusqu'au 09 septembre pour introduire son recours
contentieux ». En le faisant le 23 août son recours
était prématuré.
51 Voir jugement n°71/2008/ CS-CA du 18 juin
2008, Dame veuve PENTE née DJABOU Marie c/ État du
Cameroun(MINATD).
existe plein d'autres52. Que dire à
présent des demandes non soumises à l'Administration, sinon
qu'obligation est faite au recourant de ne pas soumettre au juge les chefs de
demande qui ne figuraient pas dans le recours gracieux.
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