PARAGRAPHE- 3 : L'OPPORTUNITÉ DE LA PRESCRIPTION
D'UNE OBLIGATION DE TRANSMETTRE LE RECOURS GRACIEUX EN CAS D'ERREUR DU
REQUÉRANT
Lorsque le requérant saisit à tort une
autorité d'un recours gracieux, il nous vient à l'esprit un
double questionnement : conserve - t- il les délais pour saisir
l'autorité normalement compétente ? L'autorité saisie
à tort ne peut-elle couvrir l'erreur du requérant ?
En effet, lorsqu'un requérant avait saisi à tort
une autorité d'un recours gracieux, par exemple une autorité
incompétente, la juridiction administrative lui avait toujours
refusé le bénéfice d'une prorogation des délais.
Elle considère d'ailleurs un recours gracieux mal dirigé comme
une absence de recours. Tel
était le cas dans l'affaire ONANA Jacques Didier, objet
du jugement n° 6/77-78 du 23 février 1978, ONANA
Jacques Didier c/ État du Cameroun 179. Les faits de ce
jugement étaient les suivants.
Suite à une plainte déposée auprès
de la brigade de Gendarmerie de Manfé par le nommé ONYEBUCHI
OKOROENYI pour vol d'une somme de 1 380 000 francs, une perquisition
menée par GWANE Emmanuel, alors gendarme à cette Brigade au
domicile du nommé ABU Williams sur lequel pesaient de forts
soupçons permit de retrouver la totalité de la somme
volée. Cependant, il n'était remis au Commandant d'unité
qu'une somme de 1 049 000 francs. Il fut alors ouvert une enquête
à cet effet. Le gendarme GWANE incriminé accuse son
supérieur hiérarchique ONANA Jaques Didier, de lui avoir
ordonné de dissimuler une partie de l'argent. Quelques jours plus tard,
une information diligentée par le juge d'instruction près le
tribunal militaire aux armées de Buéa aboutit à une
ordonnance de non-lieu à l'égard du Commandant ONANA Jacques.
Malgré ce non lieu, ONANA Jaques Didier est
révoqué de ses fonctions par décision
n°0103/MINFA/800 du 10 mars 1969 du Ministre des forces armées.
Bien plus, l'affaire est bouclée par un jugement rendu le 19 mars 1969
par le tribunal militaire permanant de Yaoundé qui condamne GWANE
Emmanuel à sis mois d'emprisonnement avec sursis.
Insatisfait de ce qu'il considère comme une
révocation abusive, ONANA Jaques Didier saisit d'abord le Ministre des
forces armées d'un premier recours gracieux le 12 novembre 1969, soit
huit mois plus tard, et le Chef de l'État d'un second le 20 avril 1972.
Il n'obtint pas gain de cause et saisit la juridiction administrative. Une fois
de plus, son recours est rejeté car non seulement les autorités
saisies du RGP sont toutes incompétentes, mais aussi parce que ledit
recours est forclos.
179 Voir KAMTO (M), Ouvrage précité, pp.142-144.
En application du décret n°64/DE/336 du 10
août 1964, le Ministre Délégué à la
Présidence chargé de l'Administration territoriale et de la
fonction publique fédérale était seul habilité
à recevoir le RGP du requérant. En effet dans cette
décision, le juge « déclare le recours irrecevable pour
défaut de recours gracieux et tardif ».
Il ressort de l'affaire KALLA EPANYA Jacques c / État
du Cameroun, objet du jugement n°34/ CS-CA du 31 mars 1977, qu' «
Il n'y a aucune possibilité de prorogation de ces délais
lorsque le requérant a saisi à tort une autorité
incompétente 180».
Dans une certaine mesure, le requérant de bonne foi est
tout simplement victime du manque d'information de l'Administration. Il aurait
été préférable que le législateur
camerounais à l'instar de son homologue français, institue une
obligation de transmettre à la charge de l'autorité indument
saisie. En effet, l'article 20 de la loi du 12 avril 2000 relative au droit des
citoyens dans leur relation avec l'Administration en France, met une obligation
de transmettre à la charge de l'autorité qui reçoit par
erreur un recours. Cette loi impose à l'autorité saisie à
tort d'un recours administratif de le transmettre à qui de droit lorsque
les circonstances lui permettent de l'identifier clairement. « Il ne
serait pas possible de vous reprocher d'avoir adressé votre recours
à la mauvaise personne si tant est qu'avec les précisions
contenues dans votre recours, la personne qui en a été
destinataire par erreur soit en mesure de retrouver la personne à qui
adresser ce recours181 ».
Par application de cette obligation, si le Ministre de la
fonction publique et de la réforme administrative reçoit un RGP
dirigé contre une décision du Ministre de la santé
publique, il devra le transmettre à ce dernier dans la mesure du
possible. Dans la même logique, si le Maire est saisi d'un RGP en lieu et
place du Délégué du gouvernement, il devra
également le transmettre à ce dernier
180 MOMO (B), «Problème des délais dans
le contentieux administratif camerounais », Annales de la
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques, Université de
Dschang, T.1, Vol.1, 1997, pp. 136 - 161, notamment, p.140.
181
http://admi.net.jo/20000413/FPPX980029L.html,
« Le recours administratif préalable devant l'Administration
»
si les circonstances le permettent. Le Professeur KAMTO nous
rapporte d'ailleurs que la Chambre Administrative de la Cour Suprême
admet la validité d'un recours gracieux adressé à une
autorité incompétente, dès lors que ledit recours a
été transmis à l'autorité normalement
compétente182.
L'obligation de transmettre corrige l'erreur du
recourant183et garde intact les délais pour saisir le juge
administratif. Cette obligation impose d'une manière ou d'une autre un
supplément d'informations à l'Administration dans le processus de
prise des décisions. Une décision administrative bien
formulée permettrait aux administrés de reconnaître
facilement l'auteur de cette décision qui pourrait être le
destinataire du recours gracieux en cas de litige.
Une telle exigence en droit administratif camerounais
contribuerait à la bonne administration de la justice, et
améliorerait qualitativement le recours gracieux préalable au
Cameroun. Bien plus, constate-t- on, le risque d'erreur serait contourné
autant que faire ce peut, si le législateur camerounais avait comme son
homologue béninois prévu en plus du recours gracieux le recours
hiérarchique, le requérant gardant la faculté de faire un
choix selon les cas.
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