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Le recours gracieux préalable au Cameroun, trente ans après

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par Grégoire Yves DOUNGUE KAMO
Université de Dschang Cameroun - Master en droit public 2011
  

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B- La suppression du recours de tutelle accessoire au recours gracieux
préalable

Avant les lois de 2004, il n'était pas du tout facile pour le requérant de poursuivre une collectivité publique en justice. Le véritable obstacle sur lequel les requérants buttaient se trouvait au niveau du RGP et consistait dans le fait que ces derniers avaient à former un recours gracieux préalable doublé d'un recours de tutelle. On pourrait même estimer à tort ou à raison qu'il s'agissait d'un double recours gracieux. Cette situation résultait de ce qu'après échec du RGP, le requérant devait non pas directement saisir la juridiction administrative, mais s'adresser à l'autorité de tutelle par le truchement d'un recours de tutelle. La décision du Maire sur le recours gracieux était donc insuffisante pour lier le contentieux.

L'article 73 de la loi de 1974 sur l'organisation communale précité dispose à cet effet que « les actes du Maire...peuvent être l'objet d'un recours gracieux auprès de leur auteur. En cas d'insuccès, ils sont soumis à l'appréciation de l'autorité de tutelle ; les délais du recours contentieux ne courant qu'à partir de la date de saisine de cette autorité ».

Plus significativement, l'article 56 de la loi de 1987 sur les Communautés urbaines précitée dispose qu' « aucune action contre la Communauté urbaine n'est recevable si le demandeur n'a pas préalablement adressé à l'autorité de tutelle une requête exposant l'objet et les motifs de sa réclamation dans les délais prévus par la législation en matière de contentieux administratif ».

L'article 31 du décret n°77/91 du 25 mars 1977qui déterminait les pouvoirs de tutelle sur les Communes, les syndicats de Communes et établissements communaux était encore plus explicite quand il énonçait que « les actes du Délégué du Gouvernement, du Maire ou de l'administrateur municipal peuvent faire l'objet d'un recours gracieux auprès de leur auteur. En cas d'insuccès ou si le magistrat municipal garde le silence, pendant un mois, ils sont soumis à l'appréciation du Préfet qui dispose de deux mois pour y donner avis. Le silence

gardé par le Préfet vaut décision implicite de rejet. En cas de recours contentieux les délais courent à partir de la date de notification du rejet explicite ou à partir de la date de rejet implicite165 ».

Ces dispositions témoignent à suffisance de la situation dans laquelle se trouvait le justiciable, quand il avait à exercer un recours en justice contre une collectivité publique. Certaines décisions de justice corroborent cette tendance.

Le jugement n°58/CS-CA du 29 juin 1989, Société RAZEL Cameroun c/ État du Cameroun et Commune rurale de Tiko traite de cette complexité jadis décelée en son temps par NLEP Roger Gabriel.

En effet, à la suite d'une délibération du Conseil municipal de la Commune rurale de Tiko prise en date des 27 et 28 janvier 1984, il est institué une taxe sur le transport des pierres dans le ressort de la Commune. La Société RAZEL qui a pour activité principale la construction et l'entretien des routes, et donc inévitablement utilise les pierres comme matériaux, se trouve dans la posture d'un transporteur occasionnel de pierres, est imposée à la taxe instituée par délibération municipale à la suite d'un commandement du receveur municipal. Insatisfaite de cette mesure, la Société RAZEL saisit le Ministre de l'Administration Territoriale d'un recours gracieux préalable aux fins d'annulation de cette taxe. Le Ministre ne fit pas droit à sa demande, la contraignant à se porter à la Chambre Administrative de la Cour Suprême. Cette fois, la juridiction administrative déclare son recours irrecevable, le RGP ayant été mal dirigé. On peut d'ailleurs lire en substance dans ce jugement ce qui suit :

« Attendu que dans le cas d'espèce la Société requérante devait adresser son recours gracieux au Maire de la Commune de Tiko, statutairement

165 Voir jugement n°90/2008/CS-CA du 13 août 2008, KWANYA NGANGWA André Richard c/ État du Cameroun (Communauté Urbaine de Douala). La cour affirme :

« Attendu en l'espèce que si le requérant a adressé un recours gracieux au Délégué du Gouvernement de la Communauté Urbaine de Douala conformément à la loi, aucune requête n'a été adressée à l'autorité de tutelle de ladite Communauté Urbaine, en l'occurrence le préfet ».

Ce recours avait sûrement été introduit avant l'intervention des lois de 2004 sur la décentralisation précitée, car le juge de l'espèce faisait encore application de l'ordonnance n°72/06 abrogée.

compétent pour recevoir le recours gracieux et représenter sa collectivité en justice.

Que pour avoir adressé sa requête du 2 janvier 1985 au Ministre de l'Administration Territoriale, la société requérante n'a pas satisfait au voeu de la loi166 ».

Si tant était que le Maire de la Commune poursuivie était le destinataire du recours gracieux préalable, il n'en demeure pas moins vrai que contre sa décision, la société RAZEL devait diriger sa réclamation vers l'autorité de tutelle, encore qu'elle n'a jamais saisi le Maire. M. KAMDEM Jean Claude nous rappelle d'ailleurs que « le Maire seul a qualité pour agir à la place et au nom de la Commune 167». L'affaire Les brasseries du Cameroun S.A, objet du jugement n°6 /CS-CA du 29 novembre 1979 ainsi que l'affaire Entreprise de Travaux à Hydraulique et de Génie Civil (ETHYGEC) c/Communauté urbaine de Yaoundé s'inscrivent dans le même registre 168. Tout se passait comme si la collectivité territoriale était un vrai « incapable169 », insusceptible même de se défendre seule.

Fort heureusement, les lois de 2004 sur la décentralisation qui ont d'ailleurs abrogé les anciens textes sur l'organisation communale170 opèrent une réelle évolution en la matière. À proprement parler, cette évolution tient au fait que ces lois ne font aucunement mention d'un recours de tutelle obligatoire et accessoire au recours gracieux préalable. C'est dire que désormais et à l'issue du RGP, le recourant pourra saisir directement la juridiction administrative sans

166 NLEP (R.G), Note précitée, pp.86-92.

167KAMDEM (J.C), « L'intérêt et la qualité dans la procédure administrative contentieuse », Article précité, p.66.

168 Jugement n°66/2008/ CS-CA du 18 juin 2008 (recours de 90), Entreprise de Travaux à Hydraulique et de Génie Civil (ETHYGEC) c/Communauté urbaine de Yaoundé. Dans ce jugement, la Cour déclare :

« Qu'ainsi, tout recours gracieux dirigé contre un acte du Délégué du gouvernement et qui est adressé à une autorité autre que ledit Délégué en premier lieu, puis au Préfet compétent en cas d'insuccès, est mal dirigé et entraine l'irrecevabilité du recours contentieux dont il sert de support ».

En l'espèce le requérant avait cru à tort que le recours gracieux préalable adressé au Délégué du gouvernement était suffisant pour saisir le juge. Par conséquent, le juge déclare son recours contentieux irrecevable parce que le recours gracieux préalable était mal dirigé.

169 MOMO (B), « Réflexion sur le système communal camerounais : contribution à l'étude de la décentralisation territoriale au Cameroun », Juridis Info n°24, octobre - novembre -Décembre 1995, pp.81-92, notamment p.87.

170 Voir notamment l'article 88 de la loi n° 2004/017 précitée.

avoir à passer par le Préfet ou le Gouverneur selon que l'action est intentée respectivement contre la Commune ou la Communauté urbaine et la Région.

Pour s'en convaincre, il faut se référer à l'article 74 de la loi n°2004/017 du 22 juillet 2004 d'orientation de la décentralisation précitée selon lequel « Toute personne physique ou morale justifiant d'un intérêt pour agir peut contester, devant le juge administratif compétent, un acte visé aux articles 68,69 et 70171, suivant les modalités prévues par la législation régissant la procédure contentieuse, à compter de la date à laquelle l'acte incriminé est devenu exécutoire » .

171 Article 68 (1) : « Les actes pris par les collectivités territoriales sont transmis au représentant de l'État auprès de la collectivité territoriale concernée, lequel en délivre aussitôt accusé de réception.

(2) la preuve de la réception des actes par le représentant de l'État visé à l'alinéa (1) peut être apportée par tout moyen.

(3)Les actes visés à l'alinéa (1) sont exécutoires de plein droit quinze (15) jours après la délivrance de l'accusé de réception, et après leur publication ou leur notification aux intéressés .Ce délai de quinze (15) jours peut être réduit par le représentant de l'État.

(4)Nonobstant les dispositions des alinéas (1) et (2), le représentant de l'État peut, dans le délai de quinze (15) jours à compter de la date de réception, demander une seconde lecture de (s) (l') acte (s) concerné(s). La demande correspondant revêt un caractère suspensif, aussi bien pour l'exécution de l'acte que pour la computation des délais applicables en cas de procédure contentieuse, conformément à la législation en vigueur ».

Article 69- : « Les décisions réglementaires et individuelles prises par le président du Conseil municipal ou le Maire dans le cadre de leur pouvoir de police, les actes de gestion quotidienne sont exécutoires de plein droit dès qu'il est procédé à leur publication ou notification aux intéressés. Ces décisions font l'objet de transmission au représentant de l'État ».

Article 70 - (1) : « Par dérogation aux dispositions des articles 68 et 69, demeurent soumis à l'approbation préalable du représentant de l'État, les actes pris dans les domaines suivants, outre des dispositions spécifiques de la présente loi :

-les budgets initiaux, annexes, les comptes hors budget et les autorisations spéciales de dépenses ; -les emprunts et garanties d'emprunts ;

-les conventions de coopération internationale ;

-les affaires domaniales ;

-les garanties et prises de participation ;

-les conventions relatives à l'exécution et au contrôle des marchés publics, sous réserve des seuils de compétence prévus par la réglementation en vigueur ;

-les délégations de service public au-delà du mandat en cours du Conseil municipal ;

- les recrutements de certains personnels suivant les modalités fixées par voie réglementaire ».

(2) : « Les plans régionaux et communaux de développement et les plans régionaux d'aménagement du territoire sont élaborés en tenant compte, autant que possible, des plans de développement et d'aménagement nationaux.

Ils sont en conséquence, soumis préalablement à leur adoption au représentant de l'État ».

(3) : « Les délibérations et décisions prises en application des dispositions de l'alinéa (1) sont transmises au représentant de l'État, suivant les modalités prévues à l'article 68 (1). L'approbation dudit représentant est réputée tacite lorsqu'elle n'a pas été notifiée à la collectivité territoriale concernée, dans un délai maximal de trente (30) jours à compter de la date de l'accusé de réception, par tout moyen laissant trace écrite ».

(4) : « Le délai prévu à l'alinéa (3) peut être réduit par le représentant de l'État, à la demande du Président du Conseil municipal ou du Maire. Cette demande revêt un caractère suspensif, aussi bien pour l'exécution de l'acte que pour la computation des délais applicables en cas de procédure contentieuse, conformément à la réglementation en vigueur ».

Les actes auxquels renvoient ces articles peuvent, être selon le cas, les actes réglementaires ou les actes individuels. En fin de compte, on constate que le relâchement de la tutelle étatique sur les collectivités territoriales a eu une influence positive sur le précontentieux des collectivités territoriales décentralisées.

Un autre domaine dans lequel le précontentieux a eu du mal à s'asseoir est le contentieux fiscal sur lequel il convient de se pencher avec quelque attention.

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