B- La suppression du recours de tutelle accessoire au
recours gracieux préalable
Avant les lois de 2004, il n'était pas du tout facile
pour le requérant de poursuivre une collectivité publique en
justice. Le véritable obstacle sur lequel les requérants
buttaient se trouvait au niveau du RGP et consistait dans le fait que ces
derniers avaient à former un recours gracieux préalable
doublé d'un recours de tutelle. On pourrait même estimer à
tort ou à raison qu'il s'agissait d'un double recours gracieux. Cette
situation résultait de ce qu'après échec du RGP, le
requérant devait non pas directement saisir la juridiction
administrative, mais s'adresser à l'autorité de tutelle par le
truchement d'un recours de tutelle. La décision du Maire sur le recours
gracieux était donc insuffisante pour lier le contentieux.
L'article 73 de la loi de 1974 sur l'organisation communale
précité dispose à cet effet que « les actes du
Maire...peuvent être l'objet d'un recours gracieux auprès de leur
auteur. En cas d'insuccès, ils sont soumis à
l'appréciation de l'autorité de tutelle ; les délais du
recours contentieux ne courant qu'à partir de la date de saisine de
cette autorité ».
Plus significativement, l'article 56 de la loi de 1987 sur les
Communautés urbaines précitée dispose qu' «
aucune action contre la Communauté urbaine n'est recevable si le
demandeur n'a pas préalablement adressé à
l'autorité de tutelle une requête exposant l'objet et les motifs
de sa réclamation dans les délais prévus par la
législation en matière de contentieux administratif
».
L'article 31 du décret n°77/91 du 25 mars 1977qui
déterminait les pouvoirs de tutelle sur les Communes, les syndicats de
Communes et établissements communaux était encore plus explicite
quand il énonçait que « les actes du
Délégué du Gouvernement, du Maire ou de l'administrateur
municipal peuvent faire l'objet d'un recours gracieux auprès de leur
auteur. En cas d'insuccès ou si le magistrat municipal garde le silence,
pendant un mois, ils sont soumis à l'appréciation du
Préfet qui dispose de deux mois pour y donner avis. Le silence
gardé par le Préfet vaut décision
implicite de rejet. En cas de recours contentieux les délais courent
à partir de la date de notification du rejet explicite ou à
partir de la date de rejet implicite165 ».
Ces dispositions témoignent à suffisance de la
situation dans laquelle se trouvait le justiciable, quand il avait à
exercer un recours en justice contre une collectivité publique.
Certaines décisions de justice corroborent cette tendance.
Le jugement n°58/CS-CA du 29 juin 1989,
Société RAZEL Cameroun c/ État du Cameroun et Commune
rurale de Tiko traite de cette complexité jadis décelée en
son temps par NLEP Roger Gabriel.
En effet, à la suite d'une délibération
du Conseil municipal de la Commune rurale de Tiko prise en date des 27 et 28
janvier 1984, il est institué une taxe sur le transport des pierres dans
le ressort de la Commune. La Société RAZEL qui a pour
activité principale la construction et l'entretien des routes, et donc
inévitablement utilise les pierres comme matériaux, se trouve
dans la posture d'un transporteur occasionnel de pierres, est imposée
à la taxe instituée par délibération municipale
à la suite d'un commandement du receveur municipal. Insatisfaite de
cette mesure, la Société RAZEL saisit le Ministre de
l'Administration Territoriale d'un recours gracieux préalable aux fins
d'annulation de cette taxe. Le Ministre ne fit pas droit à sa demande,
la contraignant à se porter à la Chambre Administrative de la
Cour Suprême. Cette fois, la juridiction administrative déclare
son recours irrecevable, le RGP ayant été mal dirigé. On
peut d'ailleurs lire en substance dans ce jugement ce qui suit :
« Attendu que dans le cas d'espèce la
Société requérante devait adresser son recours gracieux au
Maire de la Commune de Tiko, statutairement
165 Voir jugement n°90/2008/CS-CA du 13 août 2008,
KWANYA NGANGWA André Richard c/ État du Cameroun
(Communauté Urbaine de Douala). La cour affirme :
« Attendu en l'espèce que si le
requérant a adressé un recours gracieux au
Délégué du Gouvernement de la Communauté Urbaine de
Douala conformément à la loi, aucune requête n'a
été adressée à l'autorité de tutelle de
ladite Communauté Urbaine, en l'occurrence le préfet
».
Ce recours avait sûrement été introduit avant
l'intervention des lois de 2004 sur la décentralisation
précitée, car le juge de l'espèce faisait encore
application de l'ordonnance n°72/06 abrogée.
compétent pour recevoir le recours gracieux et
représenter sa collectivité en justice.
Que pour avoir adressé sa requête du 2
janvier 1985 au Ministre de l'Administration Territoriale, la
société requérante n'a pas satisfait au voeu de la
loi166 ».
Si tant était que le Maire de la Commune poursuivie
était le destinataire du recours gracieux préalable, il n'en
demeure pas moins vrai que contre sa décision, la société
RAZEL devait diriger sa réclamation vers l'autorité de tutelle,
encore qu'elle n'a jamais saisi le Maire. M. KAMDEM Jean Claude nous rappelle
d'ailleurs que « le Maire seul a qualité pour agir à la
place et au nom de la Commune 167». L'affaire Les
brasseries du Cameroun S.A, objet du jugement n°6 /CS-CA du 29 novembre
1979 ainsi que l'affaire Entreprise de Travaux à Hydraulique et de
Génie Civil (ETHYGEC) c/Communauté urbaine de Yaoundé
s'inscrivent dans le même registre 168. Tout se passait comme
si la collectivité territoriale était un vrai «
incapable169 », insusceptible même de se
défendre seule.
Fort heureusement, les lois de 2004 sur la
décentralisation qui ont d'ailleurs abrogé les anciens textes sur
l'organisation communale170 opèrent une réelle
évolution en la matière. À proprement parler, cette
évolution tient au fait que ces lois ne font aucunement mention d'un
recours de tutelle obligatoire et accessoire au recours gracieux
préalable. C'est dire que désormais et à l'issue du RGP,
le recourant pourra saisir directement la juridiction administrative sans
166 NLEP (R.G), Note précitée, pp.86-92.
167KAMDEM (J.C), « L'intérêt et
la qualité dans la procédure administrative contentieuse
», Article précité, p.66.
168 Jugement n°66/2008/ CS-CA du 18 juin 2008 (recours de
90), Entreprise de Travaux à Hydraulique et de Génie Civil
(ETHYGEC) c/Communauté urbaine de Yaoundé. Dans ce jugement, la
Cour déclare :
« Qu'ainsi, tout recours gracieux dirigé
contre un acte du Délégué du gouvernement et qui est
adressé à une autorité autre que ledit
Délégué en premier lieu, puis au Préfet
compétent en cas d'insuccès, est mal dirigé et entraine
l'irrecevabilité du recours contentieux dont il sert de support
».
En l'espèce le requérant avait cru à tort
que le recours gracieux préalable adressé au
Délégué du gouvernement était suffisant pour saisir
le juge. Par conséquent, le juge déclare son recours contentieux
irrecevable parce que le recours gracieux préalable était mal
dirigé.
169 MOMO (B), « Réflexion sur le
système communal camerounais : contribution à l'étude de
la décentralisation territoriale au Cameroun », Juridis Info
n°24, octobre - novembre -Décembre 1995, pp.81-92, notamment
p.87.
170 Voir notamment l'article 88 de la loi n° 2004/017
précitée.
avoir à passer par le Préfet ou le Gouverneur
selon que l'action est intentée respectivement contre la Commune ou la
Communauté urbaine et la Région.
Pour s'en convaincre, il faut se référer
à l'article 74 de la loi n°2004/017 du 22 juillet 2004
d'orientation de la décentralisation précitée selon lequel
« Toute personne physique ou morale justifiant d'un
intérêt pour agir peut contester, devant le juge administratif
compétent, un acte visé aux articles 68,69 et 70171,
suivant les modalités prévues par la législation
régissant la procédure contentieuse, à compter de la date
à laquelle l'acte incriminé est devenu exécutoire
» .
171 Article 68 (1) : « Les actes pris par les
collectivités territoriales sont transmis au représentant de
l'État auprès de la collectivité territoriale
concernée, lequel en délivre aussitôt accusé de
réception.
(2) la preuve de la réception des actes par le
représentant de l'État visé à l'alinéa (1)
peut être apportée par tout moyen.
(3)Les actes visés à l'alinéa (1)
sont exécutoires de plein droit quinze (15) jours après la
délivrance de l'accusé de réception, et après leur
publication ou leur notification aux intéressés .Ce délai
de quinze (15) jours peut être réduit par le représentant
de l'État.
(4)Nonobstant les dispositions des alinéas (1) et
(2), le représentant de l'État peut, dans le délai de
quinze (15) jours à compter de la date de réception, demander une
seconde lecture de (s) (l') acte (s) concerné(s). La demande
correspondant revêt un caractère suspensif, aussi bien pour
l'exécution de l'acte que pour la computation des délais
applicables en cas de procédure contentieuse, conformément
à la législation en vigueur ».
Article 69- : « Les décisions
réglementaires et individuelles prises par le président du
Conseil municipal ou le Maire dans le cadre de leur pouvoir de police, les
actes de gestion quotidienne sont exécutoires de plein droit dès
qu'il est procédé à leur publication ou notification aux
intéressés. Ces décisions font l'objet de transmission au
représentant de l'État ».
Article 70 - (1) : « Par dérogation aux
dispositions des articles 68 et 69, demeurent soumis à l'approbation
préalable du représentant de l'État, les actes pris dans
les domaines suivants, outre des dispositions spécifiques de la
présente loi :
-les budgets initiaux, annexes, les comptes hors budget et
les autorisations spéciales de dépenses ; -les emprunts et
garanties d'emprunts ;
-les conventions de coopération internationale
;
-les affaires domaniales ;
-les garanties et prises de participation ;
-les conventions relatives à l'exécution et au
contrôle des marchés publics, sous réserve des seuils de
compétence prévus par la réglementation en vigueur
;
-les délégations de service public
au-delà du mandat en cours du Conseil municipal ;
- les recrutements de certains personnels suivant les
modalités fixées par voie réglementaire ».
(2) : « Les plans régionaux et communaux de
développement et les plans régionaux d'aménagement du
territoire sont élaborés en tenant compte, autant que possible,
des plans de développement et d'aménagement nationaux.
Ils sont en conséquence, soumis préalablement
à leur adoption au représentant de l'État ».
(3) : « Les délibérations et
décisions prises en application des dispositions de l'alinéa (1)
sont transmises au représentant de l'État, suivant les
modalités prévues à l'article 68 (1). L'approbation dudit
représentant est réputée tacite lorsqu'elle n'a pas
été notifiée à la collectivité territoriale
concernée, dans un délai maximal de trente (30) jours à
compter de la date de l'accusé de réception, par tout moyen
laissant trace écrite ».
(4) : « Le délai prévu à
l'alinéa (3) peut être réduit par le représentant de
l'État, à la demande du Président du Conseil municipal ou
du Maire. Cette demande revêt un caractère suspensif, aussi bien
pour l'exécution de l'acte que pour la computation des délais
applicables en cas de procédure contentieuse, conformément
à la réglementation en vigueur ».
Les actes auxquels renvoient ces articles peuvent, être
selon le cas, les actes réglementaires ou les actes individuels. En fin
de compte, on constate que le relâchement de la tutelle étatique
sur les collectivités territoriales a eu une influence positive sur le
précontentieux des collectivités territoriales
décentralisées.
Un autre domaine dans lequel le précontentieux a eu du mal
à s'asseoir est le contentieux fiscal sur lequel il convient de se
pencher avec quelque attention.
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