B- Recours gracieux préalable et recours de
tutelle
Le recours de tutelle comme son nom l'indique est
adressé à l'autorité assurant la tutelle de
l'Administration auteur de l'acte incriminé. Il est l'émanation
du pouvoir de tutelle dans l'Administration moderne.
Le pouvoir de tutelle est exercé le plus souvent par le
pouvoir central et dans tous les cas au nom du pouvoir central sur une personne
morale autre que l' État, qui peut être soit une
collectivité locale, un établissement public ou un organisme
privé exerçant une mission de droit public12. Il
s'agit du pouvoir reconnu à l'autorité de tutelle de provoquer
l'annulation, d'approuver, et d'orienter les actes des autorités sous
tutelle. Le pouvoir de tutelle entraine dans certains cas la substitution des
autorités de tutelle aux autorités locales. Le recours de tutelle
joue un grand rôle dans le contrôle administratif et dans les
rapports pouvoir central pouvoir infra étatique. Au Cameroun il permet
au Gouverneur et au Préfet par exemple d'exercer le contrôle
étatique sur les Communes et les Régions, c'est aussi un
mécanisme de contrôle des établissements publics. Si par
exemple un acte pris par le Recteur de l'Université de Dschang est remis
en cause par un étudiant, le recours de tutelle sera adressé au
Ministre en charge de l'enseignement supérieur. Enfin, il permet une
résolution non juridictionnelle du litige administratif.
Le recours de tutelle a été consacré par
le législateur camerounais dans certains contentieux. C'est le cas du
décret n°90 / 1464 du 09 novembre 1990 qui prévoyait en son
article 31 que « Les actes du Délégué du
gouvernement, du Maire ou de l'administrateur municipal peuvent faire l'objet
d'un recours gracieux auprès de leur auteur. En cas d'insuccès ou
si le magistrat municipal garde le silence pendant un mois, ils sont soumis
à l'appréciation du Préfet qui dispose de deux mois pour y
donner avis ... ». Ce recours était autant obligatoire
12MOREAU (J), Droit administratif, PUF, Collection
droit fondamental, Paris 1989, p.124.
que le recours gracieux préalable et le juge
n'hésitait pas à sanctionner sa violation13.
C - Recours gracieux préalable et règle de la
décision préalable
La règle du recours gracieux préalable
applicable en droit camerounais du contentieux administratif ne traduit pas la
même réalité que celle de la décision
préalable applicable en droit français. Il est toutefois
important de relever que la règle du recours gracieux préalable
est issue de la de la règle de la décision préalable. Ces
deux règles partagent également les mêmes finalités
à savoir protéger l'Administration, le justiciable et enfin
faciliter la tâche du juge en l'informant du contenu de la demande du
requérant14.
La règle du RGP est d'application
générale. Par application de cette règle, obligation est
faite systématiquement à tout requérant, sauf exception,
de s'adresser à l'Administration avant de saisir le juge quelle que soit
la forme du contentieux en cause. Il n'en va pas ainsi de la règle de la
décision préalable française car elle oblige juste le
requérant à diriger son recours contre une décision de
l'Administration. Il en découle que dans le contentieux de l'annulation
pour excès de pouvoir, « cette règle se trouve
nécessairement remplie puisque le recours pour excès de pouvoir
est un procès fait à un acte15 ». Le
requérant n'a plus besoin d'une décision préalable car
celle-ci existe déjà et il peut tout simplement l'attaquer. La
règle de la décision préalable n'a donc de sens que dans
le contentieux de pleine juridiction parce que dans cette hypothèse,
l'Administration n'a pu prendre position sur le problème, et il revient
au requérant de la provoquer afin de saisir le juge administratif sur
les suites à donner à l'affaire16.
13 Jugement n°66/2008/CS-CA du 18 juin 2008,
Entreprise des Travaux à Hydraulique et de Génie Civil (ETHYGEC)
c/ Communauté urbaine de Yaoundé.
14 DEGUERGUE (M), Procédure administrative
contentieuse, Paris Montchrestien, 2003, p.79.
15 DEGUERGUE (M), Ouvrage précité,
p.78.
16 Voir JACQUOT (H), Article précité,
p.113.
Autrement dit, dans le contentieux de l'excès de
pouvoir, la décision préalable est constituée par la
décision attaquée elle-même17. Pour le
Professeur René CHAPUS, la règle de la décision
préalable a deux avantages particuliers. D'une part, elle impose aux
requérants de donner la possibilité de leur accorder ce qu'ils
réclament, ce qui évitera le procès ; c'est-à-dire
qu'elle joue le rôle de « préliminaire de
conciliation ». D'autre part, si l'affaire est portée devant
le juge administratif, « le litige se trouve concrétisé
et délimité par ce qui a été demandé et cela
est de nature à faciliter le travail du juge18
».
Les modes alternatifs de règlement des conflits au rang
desquels l'arbitrage19, la transaction administrative20,
la conciliation et la médiation poursuivent aussi le même but que
le recours gracieux préalable. Il en va de même du « fiat
justicia » de l'ancien Cameroun anglophone21. Le RGP se
pose en s'opposant aux recours contentieux22.
17DE LAUBADERE (A) ,VENEZIA (J.C) ,GAUDEMET
(Y),Traité de droit administratif ,T.1 ,14ième Ed,
Paris, LGDJ,1996,1027 p. , p.476.
18 CHAPUS (R), Droit du contentieux administratif,
Paris, Montchrestien ,7ième Ed, 1998.pp.444 et ss.
19 PATRIKIOS (A), L'arbitrage en matière
administrative, Préface de GAUDEMET (Y), T. 189, LGDJ, Paris 1997, 339
p. L'auteur déclare qu'a priori, « l'arbitrage en
matière administrative peut apparaitre d'abord au voyageur du droit
comme une terre de désespérance». Cependant, il est
d'un grand atout pour les administrés et l'Administration. Voir aussi
TCHAKOUA (J-M), Les modes alternatifs de règlement des
différends, Cours polycopié de Maitrise, Université de
Dschang, 2007-2008, p.16.
20 En France le recours à la transaction est
prôné par les pouvoirs publics dans certains domaines. Une
circulaire du Premier Ministre français du 6 février 1995
relative au développement du recours à la transaction pour
régler amiablement les conflits (JO 15 fév. 1995, p.
2518) a encouragé la conclusion des transactions pour une meilleure
satisfaction des intérêts publics. Malgré
l'intérêt qui s'attache à la transaction et les
encouragements de la circulaire du 6 février 1995, le
développement projeté du recours à la transaction se
traduit aujourd'hui par un relatif échec. Dans son rapport public 2008,
le Conseil d' État relève que les Administrations demeurent
réticentes face à la solution transactionnelle. Voir aussi
Journal officiel de la République française, 18 septembre 2009,
Texte 27 sur 106 ; Circulaire du 7 septembre 2009 relative au recours à
la transaction pour la prévention et le règlement des litiges
portant sur l'exécution des contrats de la commande publique, fichier
PDF, 8 p.
Voir aussi BOUSQUET (J-B), « Une circulaire pour
favoriser le recours aux transactions administratives ». À
propos de la circulaire du 7 septembre 2009, élément
précité. Disponible sur le site
http://www.lextenso.fr/weblextenso/article/print?id=PA200923605,
Petites Affiches, Droit administratif, 26 novembre 2009 n° 236, p.6. Tous
droits réservés.
21 NKONGHO (E), « The francophone « recours
gracieux » and the Common law « fiat justicia » of the former
Federal Republic of Cameroon » , Juridis info n°22,
avril-mai-juin1995, pp.87-90.
22 L'article 2, alinéa 3 de la loi de 2006
précitée dispose :
« (3) Le contentieux administratif comprend :
a) les recours en annulation pour excès de pouvoir et,
en matière non répressive, les recours incidents en
appréciation de la légalité. Est constitutif
d'excès de pouvoir au sens du présent article :
-le vice de forme ;
-l'incompétence ;
-la violation d'une disposition légale ou
réglementaire ;
-le détournement de pouvoir
Pour une bonne compréhension de notre sujet, l'approche
méthodologique doit être précisée.
|