CONCLUSION DU CHAPITRE 1
Ce qui précède conduit à dire que le
recours gracieux préalable demeure un moyen d'ordre public dans le
contentieux administratif camerounais. Cela est perceptible notamment dans la
jurisprudence administrative.
Le législateur et le juge administratif continuent
à assortir ce recours des exceptions, qui, ces trente dernières
années ont accru en quantité et en qualité
107 Voir SIETCHOUA DJUITCHOKO (C), Thèse
précitée, pp.293 et ss.
CHAPITRE-2 : L'ATTÉNUATION DE LA
RÈGLE
DU RECOURS GRACIEUX PRÉALABLE
L'atténuation de la règle du recours gracieux
préalable est bien une évidence dans le contentieux administratif
camerounais. Un tour d'ensemble de la jurisprudence administrative et des
textes sur le recours gracieux corrobore cette affirmation. Les exceptions
qu'on relève de part et d'autre représentent des
atténuations à la règle du RGP. Pour tout dire, on observe
de nos jours une multiplication des exceptions à la règle du
recours gracieux préalable (Section 1). Les exceptions ainsi
consacrées sont diversement justifiées (Section 2).
SECTION-1 : LA MULTIPLICATION DES
EXCEPTIONS À LA RÈGLE DU RECOURS GRACIEUX PRÉALABLE
Les exceptions à la règle du recours gracieux
préalable sont à analyser dans une double perspective. En bref,
il existe deux catégories d'exceptions à la règle du
recours gracieux préalable : les unes découlent des dispositions
légales alors que les autres sont de nature prétorienne. Nous
analyserons donc successivement les exceptions légales (Paragraphe 1) et
les exceptions jurisprudentielles (Paragraphe 2).
PARAGRAPHE-1 : LES EXCEPTIONS LÉGALES
Les exceptions légales à la règle du
recours gracieux préalable relèvent essentiellement de deux
sources. D'une part, elles découlent de certaines lois en matière
électorales et en matière de droits et libertés publiques
(A). D'autre part, elles sont relatives à la création du Conseil
de Discipline Budgétaire et Financier(B).
A- Les exceptions inhérentes aux lois sur les
droits et libertés publiques et aux lois électorales
Nous analyserons successivement les exceptions
inhérentes aux lois électorales (1) et les exceptions propres aux
lois relatives aux droits et libertés publiques(2).
1 - Les exceptions inhérentes aux lois sur
les droits et libertés publiques
Les revendications des années de braise au Cameroun ont
favorisé l'adoption d'une série de lois sur les droits
fondamentaux et les libertés publiques. Ces lois recèlent pour
certaines des dispositions qui dérogent à l'article 12 de
l'ordonnance n°72/6 du 26 août 1972 précitée qui
était alors applicable. En clair, ces matières108
peuvent donner lieu à des contentieux qui, bien que ressortissant de la
juridiction administrative, ne reçoivent pas application de la
règle d'ordre public du recours gracieux préalable. En
conséquence les recours qui pourraient être formés sur ces
matières sont dispensés de recours gracieux préalable.
Parmi ces lois, on peut mentionner en premier lieu la loi
n° 90/056 du 19 décembre 1990 sur les partis politiques. Cette loi
énonce en son article 8 alinéa 3 que « Par
dérogation aux dispositions de l'article 12 de l'ordonnance n°72 /6
du 26 août 1972 fixant l'organisation et le fonctionnement de la Cour
Suprême, le refus de l'autorisation prévue à
l'alinéa 2 ci-dessus est susceptible de recours, sur simple
requête devant le Président de la juridiction administrative
».
Le refus d'autorisation d'un parti politique dont fait
état l'alinéa 2 de ladite loi doit être motivé et
notifié au déposant par tout moyen laissant trace écrite.
Il doit être explicite, contrairement à l'autorisation d'un parti
politique qui peut être tacite après un silence de trois mois
à compter de la date de dépôt du dossier auprès des
services du Gouverneur territorialement compétent. Après
l'accomplissement de la formalité de publicité de la part du
Ministre chargé de
108 Il s'agit des droits fondamentaux de l'homme et les
libertés publiques.
l'Administration territoriale109, le refus de
l'autorisation de création d'un parti politique peut donner lieu
à un recours devant le Président de la Chambre Administrative de
la Cour Suprême avec dispense du RGP.
Il en est de même des mesures de suspension d'office
pour une durée de trois mois de l'activité d'un parti politique
responsable de troubles graves à l' ordre public ou qui ne remplit pas
les conditions exigées aux articles 5,6,9,10 et 11 de la loi sur les
partis politiques110.
Dans le même ordre d'idées, la décision
par laquelle le Ministre en charge de l'Administration territoriale dissout un
parti politique peut être attaquée devant la Chambre
Administrative sans que le plaignant ait formé au préalable un
recours gracieux111 .
On mentionnera en second lieu la loi n°90 /053 du 19
décembre 1990 sur les associations. D'après l'article 13
alinéa 3 de cette loi, « Par dérogation à
l'article 12 de l'ordonnance n°72/6 du 26 août 1972 fixant
l'organisation de la Cour Suprême, les actes prévus aux
alinéas 1 et 2 ci-dessus sont susceptibles de recours sur simple
requête, devant le Président de la juridiction administrative. Ce
recours doit intervenir dans un délai de dix (10) jours à compter
de la date de notification à personne ou à domicile. Le
Président statue par ordonnance dans un délai de dix (10)
jours ».
Les actes mentionnés aux alinéas 1et 2 sont les
décisions du Ministre de l'Administration territoriale portant
suspension ou dissolution d'une association. Ils peuvent ainsi être
portés directement devant le Président de la juridiction
administrative112 dans un délai de 10 jours.
109 Le Ministre de l'Administration territoriale est
exclusivement compétent selon l'article 7 de la loi n°90/056
précitée pour autoriser l'existence légale d'un parti
politique.
110 Article 17 alinéa 1 de la loi n°90/056
précitée.
111 Article 18 alinéa 2 de la loi
précitée.
112 Voir jugement n°97/2005-2006/CS-CA du 14 juin 2006,
Association Commune Internationale des Femmes Messagers du Christ (CIFMC) c/
État du Cameroun (MINAT et Madame LEMOTIO née ELELONGUE NDINE
Solange Alvine. Dans ce jugement, le juge déclare : « Attendu
qu'il ressort de l'article 13 alinéa 3 de la loi n°90/53 du 19
décembre 1990 portant sur la liberté d'association que
par
En troisième lieu, le contentieux de la saisine des
journaux est dépourvu de l'exigence d'un recours gracieux
préalable. Ceci ressort de l'article 14 de la loi n°90 /052 sur la
liberté de Communication sociale dans son ancienne rédaction qui
considérait la saisie des journaux comme un cas d'urgence. Cependant,
l'article 17 nouveau alinéa 2 de ladite loi issue de la loi n°96/04
du 04 février 1996 portant modification de la loi sur la liberté
de communication sociale expose que :
« La décision de saisie ou d'interdiction est
susceptible de recours. Dans ce cas, le Directeur de publication saisit le juge
compétent en référé d'heure à heure ou
suivant les dispositions légales analogues en vigueur dans les provinces
du Nord-ouest et du Sud-ouest ».
Il résulte de cette disposition que désormais
c'est le juge judiciaire qui est compétent en cas de saisie ou
d'interdiction des journaux.
Certaines opérations électorales au Cameroun
peuvent aussi donner lieu aux litiges où les requérants n'ont pas
besoin de satisfaire l'exigence du recours gracieux préalable.
2- Les exceptions en matière
électorale
Il ressort de l'article 33 la loi n°92/002 du 14
août 1992 fixant les conditions d'élection des conseillers
municipaux113 que tout électeur ou candidat peut demander la
nullité les opérations électorales de la Commune devant le
juge administratif. Ces contestations sont dispensées de recours
gracieux préalable et
dérogation à l'article 12 de l'ordonnance
n°72/6 du 26 août 1972,fixant l'organisation de la Cour
Suprême, le recours contre une suspension des activités d'une
association se fait par simple requête devant le Président de la
juridiction administrative ».
113 Ces articles disposent respectivement :
Article 33 : « Tout électeur et tout candidat
a le droit d'arguer de nullité les opérations électorales
de la Commune devant le juge administratif »
Article 34-1 : « Par dérogation aux
dispositions de l'article 12 de l'ordonnance n°72/6 du 26 août 1972
fixant l'organisation de la Cour Suprême, les contestations font l'objet
d'une simple requête devant la juridiction administrative ».
ne font l'objet que d'une simple requête devant la Chambre
Administrative de la Cour Suprême114.
Cette disposition a été respectée lors
des contestations nées des élections municipales du 21 janvier
1996 au Cameroun115.
Dans le même ordre d'idées , l'article 26 nouveau
alinéa 1 de la loi n° 2006/010 du 29 décembre 2006 modifiant
et complétant certaines dispositions de la loi n° 92 /002 du 14
août 1992 fixant les conditions d'élection des conseillers
municipaux expose que la décision d'acceptation ou de rejet d'une liste
de candidats peut être portée devant la juridiction administrative
compétente par un candidat , un mandataire de la liste , et tout
électeur inscrit sur la liste électorale de la Commune
concernée. L'article 33 nouveaux quant à lui habilite tout
électeur, tout candidat, tout mandataire ou toute personne ayant
qualité d'agent du gouvernement pour l'élection, à
demander l'annulation des opérations électorales de la Commune
concernée devant la juridiction administrative compétente. Plus
intéressant est l'article 34 alinéa 1 nouveau qui dispose
clairement : « Les contestations font l'objet d'une simple
requête et doivent intervenir dans un délai maximum de cinq (05)
jours suivant sa saisine ».
Il faut relever d'emblée qu'une infime partie du
contentieux électoral ressortit à la compétence de la
juridiction administrative à savoir le contentieux né à
l'occasion de l'élection des conseillers municipaux116.
114 Voir OLINGA, (A.D) « Contentieux électoral
et état de droit au Cameroun », Juridis Périodique
n°41, janvier- février- mars 2000, p. 35.Voir aussi KEUTCHA
TCHAPNGA (C), Contentieux administratif, Cours
précité. Voir aussi ABA'A OYONO (J.C), La compétence de la
juridiction administrative en droit camerounais, Thèse Droit,
Université de Nantes, 1994, p.105.
115 Voir MBARGA NYATTE (D), « Sociologie du
contentieux relatif aux élections municipales du 21 janvier 1996 au
Cameroun », Article précité, p.83.
116 Certains litiges relatifs aux élections ont
été attribués au Conseil Constitutionnel crée par
le titre 7 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996. L'article 48
alinéa 1 de cette loi expose que « Le Conseil Constitutionnel
veille à la régularité de l'élection
présidentielle, des élections parlementaires, des consultations
référendaires. Il en proclame les résultats ».
L'alinéa 2 du même article poursuit en ces termes : « En
cas de contestation sur la régularité de l'une des
élections prévues à l'alinéa (1) ci - dessus, le
Conseil Constitutionnel peut être saisi par tout candidat, tout parti
politique ayant pris part à l'élection dans la circonscription
concernée ou toute personne ayant qualité d'agent du gouvernement
pour cette élection ».
On peut aussi relever pour le souligner le fait que la loi
fixant les conditions d'élection des députés à
l'Assemblée nationale permettait déjà à toute
personne intéressée par les résultats du scrutin de saisir
directement le juge compétent117.
La création du Conseil de Discipline Budgétaire
et Financier participe aussi de la mise en évidence des exceptions
légales à la règle du RGP.
|