C- Analyse critique du rejet des recours gracieux
collectifs
Le rejet des recours gracieux collectifs mérite
nécessairement une analyse critique de notre part. Il est important de
relever qu'il n'est pas question pour nous de remettre en cause, encore moins
d'émettre des jugements de valeur sur des dispositions juridiques. Il
est davantage et surtout question pour nous de peser le pour et le contre pour
rechercher le juste milieu par le biais d'une analyse essentiellement
juridique.
D'un côté, le rejet des recours gracieux
collectifs est tout à fait raisonnable d'un point de vue juridique. Elle
se déduit sûrement de la condition selon laquelle pour mener une
action en justice, on doit se prévaloir d'un intérêt
personnel. Autrement dit, selon le juge de la Chambre Administrative, un
justiciable ne saurait faire valoir ses droits à la faveur d'un recours
gracieux formé avec les autres, ou bien en collectivement. Il va sans
dire que le RGP est la préfiguration du recours contentieux.
« Nul ne plaide par procureur ». Ainsi, un
justiciable ne peut, dans le seul objectif de faire prévaloir le respect
du droit, contester un acte qui ne le concerne pas d'une manière
spécifique , alors même que cet acte est clairement
illégal. C'est le principe de l'interdiction de l'actio
popularis. En France, dans le
102 Voir notamment jugement n°46 /2008/CS-CA du 02 avril
2008, OKONO Jean Gilles c/ État du Cameroun (PM) ; jugement n°45
/CS-CA du 02 avril 2008, NJOCK née ONOMESSENE Brigitte J-F c/
État du Cameroun (PM).
contentieux de la fonction publique, les décisions qui
infligent une sanction disciplinaire comme celles qui procèdent à
des retenues sur traitement d'agents publics ou refusent le versement à
des agents publics de sommes qui leur seraient dues ne peuvent pas être
attaquées par un groupement, c'est-à-dire de façon
collective. Dans ces hypothèses, il appartient à chacun des
intéressés d'introduire lui-même un recours tendant
à l'annulation ou à l'indemnisation, à moins que chaque
intéressé confie à un tiers un mandat de
représentation103.
La juridiction administrative camerounaise ne connaît
pas de l'action collective, entendue comme la voie de droit par laquelle un
seul justiciable peut, au nom d'une catégorie de personnes dont il se
reconnait habilité à porter les intérêts, demander
que soit établie par un jugement ayant autorité de chose
jugée, la réparation du préjudice ou les droits
individuels de tous les membres de cet ensemble alors tiers au procès.
L'action collective est une « procédure contentieuse
conduisant, à la demande d'un « requérant-pilote »
(test claimant dans la terminologie anglo-saxonne) agissant pour le compte
d'une catégorie prétendument lésée, au
prononcé d'un jugement dont la solution s'applique à tous les
justiciables relevant de cette catégorie ».104
D'un autre côté, l'introduction d'actions
collectives offre des garanties de protection juridique qui procurent aux
citoyens un accès facile et peu couteux à la justice. Autrement
dit, les recours collectifs offrent d'ores et déjà des
possibilités d'accès à la justice, dans des conditions
satisfaisantes, à de nombreux justiciables. Il en résulte une
économie de temps et de moyens. Les recours collectifs améliorent
l'accès au juge surtout en ce qui concerne les petits litiges,
c'est-à-dire ceux impliquant de faible sommes pour les victimes, mais
qui risquent d'être au total très coûteux pour le
défendeur. L'un des mérites de la class
action105 en effet est, en regroupant plusieurs recours dans un
seul procès,
103 Voir CASSIA (P), « Vers une action collective en
droit administratif ? », RFDA, 2009 p. 657et ss. (Source
électronique).
104 Sur toute la question, voir CASSIA (P), Article
précité. Voir aussi Voir aussi Mémoire du barreau du
Québec à propos du recours collectif en Cour
fédérale du Canada (Fichier PDF).
105 C'est le pendant des recours collectifs dans le droit
anglo-saxon. Il se traduit littéralement par « action de
classe » .Voir CASSIA (P), Article précité.
d'éviter l'encombrement des prétoires et de
réaliser des économies d'échelle sur les coûts de
procédure.
L'admission des recours gracieux collectifs pourrait aussi
éviter l'Administration de se prononcer sur une multitude de dossiers
ayant les mêmes causes et les mêmes objets.
Cependant, une systématisation des recours collectif
n'est pas sans heurts sur le bon fonctionnement d'une justice administrative
qui souffre déjà de plusieurs maux tels que les lenteurs, son
caractère inefficace et mystérieux106. Le plus grand
risque est celui de l'encombrement du prétoire de la juridiction
administrative par un foisonnement des contentieux. En effet, les tribunaux,
déjà engorgés, auront à faire face à une
surcharge de dossiers compliqués, ce qui entraînera aussi des
difficultés matérielles de les traiter. On pourra alors craindre
dans cette situation qu'un examen sérieux des demandes fasse
défaut.
Est-ce qu'un recours gracieux collectif entraîne
automatiquement un recours contentieux collectif ? À cette question, le
juge de la Chambre Administrative de la Cour Suprême répond par
l'affirmative. Cependant, cela parait critiquable, car il est évident
qu'à la suite d'un recours gracieux préalable collectif, on peut
normalement former un recours contentieux personnel. Bien plus, la loi
n'interdit que les recours contentieux collectifs -Quand ils sont formés
contre des actes divisibles - et non les recours gracieux collectifs. C'est
ainsi qu'il est logique de penser que la juridiction administrative quand elle
rejette les recours contentieux consécutifs aux recours gracieux
collectifs procède par déduction. Peut être veut-elle faire
preuve d'innovation et d'originalité. Aucune disposition légale
n'interdit le recours gracieux collectif. Peut être aussi veut-elle
asseoir un droit administratif jurisprudentiel.
Dans l'affaire SANGALE MAGBEKA Jules Alain c/ État du
Cameroun (PM), objet du jugement n°79/ CS-CA /2009 du 25 mars 2009, il est
certes vrai que le recours gracieux préalable versé dans le
dossier du requérant est collectif
106 Voir THIRIEZ (F), « La justice administrative
», Petites Affiches, n°76 du 22 juin 1998, p.42.
- et dirigé contre le reclassement qui est un acte
divisible -, car ayant été fait par 74 diplômés de
l'IRIC. Cependant, il n'en demeure pas moins vrai que le recours contentieux du
recourant est personnel. Dans cette perspective, le rejet systématique
des recours gracieux collectifs peut être une entrave sérieuse
à l'accès au prétoire administratif au Cameroun.
Nous attendrons de connaitre la position de la juridiction
administrative d'appel sur cette notion de recours gracieux collectif, au cas
où l'une de ces décisions rejetant le RGP collectif lui sera
déférée. Aussi reconnaissons-nous avec M.SIETCHOUA
DJUITCHOKO Célestin que le juge d'appel n'est pas du tout lié par
la solution du juge du premier degré et peut par conséquent, soit
l'infirmer, soit la confirmer simplement107.
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