PARAGRAPHE-2 : LE REJET DES RECOURS GRACIEUX
COLLECTIFS
Le rejet permanent des recours gracieux collectifs par la
juridiction administrative camerounaise est une pratique récente.
À preuve, on ne trouve trace de cette notion dans les écrits des
Professeurs KAMTO, NLEP, MESCHERIAKOFF et JACQUOT. À cet égard,
l'irrecevabilité des RGP collectifs nous semble être une
innovation de la juridiction administrative. Cette consécration est
d'autant plus intéressante qu'elle mérite pour sa bonne
89 NLEP (R.G), Ouvrage précité,
p.274.
90 Voir notamment jugement n°14/77-78/CS-CA du
27 avril 1978, ATANGANA ESSOMBA Protais c/ État du Cameroun ; jugement
n°30/77-78/CS-CA du 13 juillet 1978, AKA'A Jules c/ État du
Cameroun.
Dans l'affaire AKA'A Jules notamment, le juge déclare :
« Qu'il importe de rappeler que ces dispositions sont d'ordre public ;
qu'en conséquence, leur violation peut être soulevée
d'office par le juge ». Cité par NLEP (R.G), Ouvrage
précité, p.275 et KAMTO (M), Ouvrage précité,
p.151.
91 Voir, GUIMDO DONGMO (B-R), « Le droit
d'accès à la juridiction administrative au Cameroun »,
Article précité, p.470.
compréhension que l'on évoque les motifs
d'irrecevabilité des recours gracieux collectifs (B), ensuite que l'on
procède à une analyse critique du rejet des RGP collectifs (C).
Mais avant cela il est nécessaire de s'appesantir sur l'affirmation
récente de la notion de recours gracieux collectif (A).
A- L'affirmation récente de la notion de recours
gracieux collectif dans la jurisprudence administrative
Il est nécessaire d'exposer la consécration en
jurisprudence de la notion de recours gracieux collectif (1)
préalablement à l'étude d'une espèce rendue
à cet effet par le juge administratif (2).
1 - La consécration de la notion de recours
gracieux collectif
La notion de recours gracieux collectif est de facture
récente dans la jurisprudence administrative camerounaise. C'est dans
les années 2000 que la Chambre Administrative de la Cour Suprême
rejette certains recours contentieux, motif pris de ce que le recours gracieux
formé à l'appui de la requête contentieuse est
collectif.
Lorsqu'on parcourt la masse des décisions de rejet des
recours gracieux, on relève que c'est tardivement vers 2008 qu'on
découvre les premiers jugements de rejet pour recours gracieux
collectif. Sous réserve d'inventaire, il nous semble que ce soit
là le point de départ du rejet des RGP collectifs.
Dans l'affaire ESSOMBA Apollinaire c/ État du Cameroun
(PM), objet du jugement n°47/CS-CA/2008, le juge déclare :
« Qu'il résulte de la lecture combinée
des textes de loi susvisés que le recours contentieux fondé sur
un recours gracieux collectif est irrecevable ;(...)Qu'en l'espèce, le
recours gracieux versé au dossier est collectif comme ayant
été fait par le recourant et sept (7) autres ».
Toutefois, relevons que ni la loi n°2006/022 du 29
décembre 2006 ni l'ordonnance de 1972 ne mentionnent expressément
la notion de recours
gracieux collectif. Elles ne reconnaissent que les recours
contentieux collectifs : c'est donc une invention sinon une déduction du
juge. Il est désormais acquis qu'un requérant ne saurait se
prévaloir d'un recours gracieux collectif devant la juridiction
administrative camerounaise. Tel était le sort du recours contentieux
introduit par le sieur CHOUALA Yves Alexandre.
2 - Exposé d'un cas d'espèce : Affaire
CHOUALA Yves Alexandre c/État du Cameroun (PM), jugement
n°57/2009/CS-CA du 11 mars 2009
L'article 33 de la loi n°2006/022 du 29 décembre
2006 dispose :
« Toute requête collective est irrecevable,
sauf lorsqu'il s'agit d'un recours dirigé contre un acte indivisible
».
Cette disposition qui reprend mot pour mot l'article 2 de la
loi n°75/17 abrogée92 nous renseigne sur le sort
réservé aux recours contentieux collectifs devant la juridiction
administrative au Cameroun. L'affaire CHOUALA Yves Alexandre c/État du
Cameroun (PM), objet du jugement n°57/2009/CS-CA rendu par la Chambre
Administrative de la Cour Suprême le 11 mars 2009, nous renseigne sur le
rejet des recours gracieux collectifs. Les faits de cette décision sont
les suivants.
Après l'obtention d'un diplôme en relations
internationales (DESS) et d'un Doctorat de troisième cycle à
l'Institut des Relations Internationales du Cameroun (IRIC), diplôme
obtenu après 5 années d'études dans cet
établissement qu'il a intégré avec le diplôme de
Licence, sieur CHOUALA Yves Alexandre est recruté dans la fonction
publique par un décret du Premier Ministre. Il officie comme
secrétaire des affaires étrangères en tant que diplomate.
Cependant, le sieur CHOUALA estime que son grade ne correspond pas aux
diplômes dont il est titulaire. Il fonde ses prétentions sur
l'article 10-1 du décret n°75/773 du 18 décembre 1975
portant statut particulier du corps des
92 Cet article dispose : « Toute
requête collective est irrecevable, sauf lorsqu'il s'agit d'un recours
dirigé contre un acte indivisible ».
fonctionnaires de la diplomatie tel que modifié par le
décret n°77/345 du 26 août 1977. Cet article dispose en effet
:
« Les conseillers des affaires
étrangères sont (...) recrutés sur titre , parmi les
candidats titulaires à la fois d' un Doctorat d'État en droit ou
en sciences économiques, ou d'un PHD en droit ,en sciences
économiques ou en relations internationales, ou d'un diplôme
reconnu équivalent à l' un des titres ci-dessus et du
diplôme de sortie du cycle A de l'ENAM (section diplomatique) ou de l'une
des écoles étrangères ou internationales figurant sur une
liste fixée par arrêté présidentiel ».
Fort de cette argumentation, le requérant estime qu'il
devrait plutôt être intégré dans le grade de
conseiller des affaires étrangères. Il saisit alors le Premier
Ministre le 22 janvier 2004 d'un recours gracieux formé par lui et 73
autres collègues. Autrement dit, le recours gracieux préalable
était formé collectivement par 74 personnes dont le sieur CHOUALA
qui l'avait d'ailleurs signé en 61ième position.
À l'expiration du délai imparti au Premier Ministre pour
réagir sur le recours gracieux, il saisit la Chambre Administrative de
la Cour Suprême d'une requête le 19 mai 2004 afin que celle-ci
ordonne son reclassement au grade de conseiller des affaires
étrangères.
Malheureusement pour lui, la juridiction administrative
déclare son recours contentieux irrecevable parce qu'il était
fondé sur un recours gracieux collectif. Le juge déclare à
cet effet :
« Attendu qu'il résulte de la lecture
combinée des textes de la loi susvisés que le recours contentieux
fondé sur un recours gracieux collectif est irrecevable, sauf lorsqu'il
s'agit d'un recours contre un acte indivisible, or le reclassement
réclamé est un acte individuel(...)
Qu'en l'espèce, le recours gracieux adressé
et notifié le 22 janvier 2004 au Premier Ministre par Maître BIYIK
Thomas B.P11.27 Yaoundé, à la requête du recourant qui l'a
signé en 61ième position avec 73 autres est
collectif ».
Cette jurisprudence est également confirmée par
plusieurs autres décisions rendues le même mois93. On
peut bien se demander quel est le fondement du rejet des recours gracieux
collectifs.
|