Conclusion générale
Les principaux résultats
Dans notre étude, nous avons tenté d'analyser le
lien entre les représentations des CPIP sur leurs pratiques, et les
évolutions des SPIP depuis 1999. Le niveau d'analyse choisi est
médian entre la sociologie des professions, pour rendre compte de
l'évolution des missions des CPIP sur 10 ans dans une perspective
socio-historique, et la sociologie du travail, pour évaluer ce qui est
fait concrètement par les CIP dans une approche monographique. Notre
étude, du fait de la diversité des lieux d'exercice et de la
disparité entre la Région parisienne et les autres
régions, ne peut prétendre à une quelconque valeur
statistique. Il s'agit, ici, d'une description ordonnée de la dynamique
interne du groupe professionnel des CPIP en un lieu déterminé, le
SPIP 93. Cette analyse concerne les deux mesures actuellement mises en avant
par l'Administration Pénitentiaire, à savoir le placement sous
surveillance électronique et les programmes de prévention de la
récidive.
Tout emploi (occupation) entraîne une
revendication, de la part de chacun, d'être autorisé (license)
à exercer certaines activités que d'autres ne pourront pas
exercer, à s'assurer d'une certaine sécurité d'emploi en
limitant la concurrence [HUGHES, 1952]. Une fois cette autorisation acquise,
chacun cherche à revendiquer une mission (mandate), de
manière à
« fixer ce que doit ~tre la conduite
spécifique des autres à l'égard des domaines
concernés par son travail » [DUBAR, TRIPIER, 2005, p98]. Dans
cette terminologie, nous avons ainsi constaté, qu'entre 2008 et 2011, le
mandat des CPIP a évolué de la réinsertion des personnes
placées sous main de justice à la prévention de la
récidive.
Être CPIP aujourd'hui, dans ce contexte
d'évolution, c'est être une jeune femme diplômée en
Droit, au moins jusqu'au Master1, ayant passé ce concours avec d'autres,
dans une stratégie professionnelle axée prioritairement sur la
sécurité de l'emploi. C'est encore appartenir à un groupe
professionnel parcouru par différentes tensions concomitantes et
cumulatives, selon la date d'entrée dans l'Administration
Pénitentiaire. Tout d'abord, une fracture générationnelle
existe entre ceux qui ont connu un exercice professionnel, construit sur le
rapport direct et oral avec les Juges d'Application des peines sans la
médiation d'une hiérarchie, et les autres.
Existe également une fracture vocationnelle entre ceux
qui sont rentrés dans l'Administration par vocation, et notamment les
Assistant(e)s de Service Social, entré(e)s sur concours
spécifiques au Ministère de la Justice et les personnes, juristes
pour la plupart, ayant passé d'autres concours. Enfin, nous constatons
une fracture éthique entre ceux qui se considèrent comme
travailleur social et ceux affirmant une identité autre, avec une
minorité se considérant comme des « criminologues ». De
surcroît, les modes de socialisation professionnelle et les
modalités de la formation initiale ont été modifiés
quatre fois depuis 2001, ajoutant encore à l'éclatement de ce
groupe professionnel profondément divisé.
Nous avons mis en évidence un processus de
professionnalisation contrasté. Ainsi, il existe un indice de
professionnalisation en termes de monopole d'instruction de la mesure de
placement sous surveillance électronique, de la proposition au magistrat
au suivi de la mesure par les CPIP. Ces derniers s'appuient sur des savoirs
d'actions non formalisés pour analyser la situation de la personne
placée sous main de justice dans son contexte social et juridique,
savoirs qu'ils sont encore les seuls à détenir.
Parallèlement, des conflits de juridictions sont possibles entre
surveillants pénitentiaires et CPIP dans l'exercice du placement sous
surveillance électronique. En effet, à terme, ce sont les
surveillants qui rédigeront certains rapports aux magistrats tandis que
les CPIP ont perdu leur force de proposition auprès des magistrats avec
la systématisation de la surveillance électronique actée
par la Loi Pénitentiaire du 25 novembre 2009. Leur autonomie dans
l'instruction de cette mesure est donc à nuancer, méme si des
marges de manoeuvres conséquentes existent dans l'exécution des
instructions dans toute administration.
L'instruction des programmes de prévention de la
récidive crée une forme de contrôle entre pairs, et
d'analyse collégiale des situations des personnes placées sous
main de justice, autre indice de professionnalisation. Cependant, les savoirs
mobilisés ne sont pas spécifiques à l'Administration
Pénitentiaire et s'appuient sur un corpus théorique issu de la
psychologie cognitivo-comportementale et des techniques d'animation de groupe
apprises au sein des Instituts Régionaux du Travail Social. Ces
techniques ne sont enseignées en formation initiale que depuis janvier
2009 et sont pratiquées par d'autres groupes professionnels qui en ont
la maîtrise depuis des années. Elles constituent cependant le
« coeur de métier » souhaité par l'Administration
pénitentiaire depuis 2008.
Enfin, nous avons mis en évidence un groupe
professionnel sans visibilité pour le grand public et sans réelle
reconnaissance sociale. En effet, aucune publication ou monographie ne vient
éclairer des professionnalités datant pourtant de 1958 et la
création des Juges de l'Application des Peines, autre que les commandes
institutionnelles de la DAP et les travaux des élèves CPIP en
formation initiale à l'ÉNAP.
Il n'existe pas d'accès à une dimension
symbolique identifiable susceptible de permettre une défense des
intérêts du groupe professionnel des CPIP. En effet, nous n'avons
pas rencontréde concordance entre la rhétorique de la
professionnalisation portée par l'Administration,
articulée sur l'autonomie fonctionnelle des services et
une expertise souhaitée en criminologie, et les représentations
des acteurs sur le terrain. Ce constat reste à vérifier à
une échelle statistique beaucoup plus large.
Il n'existe pas plus de relais entre les
représentations des CPIP sur leurs pratiques professionnelles et les
syndicats majoritaires qui défendent des logiques de
professionnalisation différentes : une logique de qualification pour la
CGT pénitentiaire et une logique de compétence pour le
SNEPAP-FSU. L'aide à la décision judicaire et le monopole du
contact avec un public particulier ne sont pas relayés par des
publications universitaires ou bien par une communication adaptée au
grand public, et cela depuis la création des SPIP.
Nous avons identifié une volonté de
différenciation/partition des CPIP d'avec les Assistant(e)s de Service
Social, parfois même par ceux précisément qui se
réclament du travail social. Ces mêmes assistant(e)s,
recruté(e)s massivement en 2005 suite à la volonté de
développer les aménagements de peine, sont, à
présent, sommé(e)s de choisir leur corps d'appartenance, CPIP ou
ASS. Le caractère « éducatif » des nouvelles missions
des CPIP est ainsi mis en avant pour séparer l'insertion de la
prévention de la récidive. Sous le vocable «
multidisciplinarité », on rencontre une volonté
institutionnelle de séparer nettement les CPIP des Assistant(e)s de
Service Social, autrefois intégré(e)s au corps des CPIP. Et de
favoriser un rapprochement entre surveillants pénitentiaires et CPIP
dans l'instruction du placement sous surveillance électronique en
particulier.
Perspectives intellectuelles
Il existe donc en germe un véritable travail de
construction théorique, appuyé sur la promotion de la
criminologie, et rhétorique, construit sur la notion de
pluridisciplinarité, pour créer un nouveau « coeur de
métier » pour les CPIP et proposer, en moins de deux ans, une
identité professionnelle nouvelle pour un groupe professionnel qui a 53
ans d'histoire.
Ce travail de construction, au sein de l'Administration
Pénitentiaire, accompagne, en notre sens, des évolutions latentes
du travail social où « la logique du devoir remplace la logique
de la dette. L'assistance n'est plus le geste de la société,
incarnée par l'État, vers le « citoyen malheureux »,a
selon la belle expression de la Déclaration des Droits de l'Homme et du
Citoyen, désormais « l'individu », « l'usager »,
doivent apporter la preuve de leur désir et de leur volonté de
s'insérer dans la société » [AUTES, 2004, p289].
Pour les CPIP, cela se traduit par la « subordination de la notion
d'insertion qui reposait sur une responsabilité collective à la
notion de récidive qui repose sur une responsabilité individuelle
» [RAZAC, 2011].
La notion de traitement pénal, induite par les
programmes de prévention de la récidive, « flirte de
plus en plus avec des prises en charge de type sanitaire ou
thérapeutique, d'un autre clité le développement social,
nom contemporain de l'action collective, se rapproche de plus en plus du
traitement sécuritaire de la question sociale » [AUTES, 2004,
p291].
Pour les CPIP, cela se traduit par « une
individualisation basée sur les risques portés par les individus
dans une perspective de traitement plutlit que sur leur demande dans une
perspective d'accès aux droits (en particulier aux protections
collectives) » [RAZAC, 2011].
Le secteur sanitaire et social voit son mandat modifié
et « réduit au strict minimum. Conséquence de la
procéduralisation du droit et des mesures, le travail social se
résume à du traitement de dossiers et à la gestion de
dispositifs Une logique de construction de l'offre domine sur une logique de
réponse à la demande » [AUTES, 2004, p292].
Peut-on dire que la référence à la
criminologie participe d'une telle « construction de l'offre » pour
l'Administration pénitentiaire ? Comment interpréter ces
déplacements des sphères d'intervention des CPIP, des
assistant(e)s sociales et des surveillants pénitentiaires autour de la
notion de dangerosité ?
De quelle manière renseignent-ils sur la relation entre
Travail social et Administration pénitentiaire ? Comment la notion de
dangerosité a-t-elle créé ces nouvelles catégories
de pensées chez les acteurs de l'exécution des peines ?
Ces questions ouvrent des perspectives intellectuelles qui
compléteraient opportunément les constats décrits dans
notre étude. Il s'agirait d'inscrire notre propos dans les champs
théoriques de la communication institutionnelle et de la sociologie de
l'Action Publique afin de prolonger notre travail dans une visée
explicative complémentaire, et ce, en explorant de quelle manière
s'est opéré le processus de construction rhétorique autour
de la promotion, en interne, de la criminologie. Comment s'est
déroulée l'abandon de la terminologie « travailleurs sociaux
de l'Administration pénitentiaire » entre la première
mention d'expertise en criminologie, dans le décret du 6 mai 2005
créant les DIP, et la circulaire de mars 2008 ? Dans quelle mesure
peut-on dire que l'invisibilité du groupe professionnel des CPIP est un
facteur essentiel qui est partie prenante de cette évolution très
rapide du mandat des CPIP ?
Autant de questions qui permettent d'ouvrir ce travail de
recherche à de nouveaux champs de réflexion, suivant, par
là, les transformations d'un métier en lien direct avec
l'évolution du Système Pénitentiaire en particulier .mais
peut être aussi avec certaines rationalités traversant le secteur
sanitaire et social dans son ensemble.
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