Chapitre 8 : Des professionnalités et des
savoirs émergeants
L'autonomie, dans la proposition auprès des JAP et la
mise en oeuvre des placements sous surveillance électronique, est
à nuancer car son usage devient de plus en plus courant avec une forte
pression institutionnelle pour développer cette mesure (8-1). L'analyse
collégiale des situations, induites par les programmes de
prévention de récidive, est une avancée vers un
contrôle entre pairs et un échange sur les pratiques (8-2). En
parallèle, les visites à domicile dans le cadre de l'instruction
des PSE sont devenues plus rares (8-3). Alors que le suivi des mesures de PSE
se fait avec l'appui des surveillants pénitentiaires (8-4).
8-1 Une systématisation de la surveillance
électronique depuis 2009
Le placement sous surveillance électronique est
fortement développé par l'Administration Pénitentiaire
depuis 2002 comme explicité supra. Avec la loi pénitentiaire de
2009, il s'est étendu aux fins de peine, pour les détenus
auxquels il reste moins de quatre mois de détention à effectuer,
comme modalité d'exécution de peine avec la SEFIP41 et
comme alternative à la détention provisoire ou au contrôle
judiciaire avec l'ARSE42.
41 L'article 84 de la loi pénitentiaire prévoit la
généralisation du placement sous surveillance électronique
en «fin de
peine» pour toutes les personnes
incarcérées ne remplissant pas les conditions pour
bénéficier d'un aménagement de peine classique. Ce sont
des personnes dont le reliquat de peine est inférieur à 4 mois et
initialement condamnées à une peine inférieure ou
égale à 5 ans. Sauf impossibilité matérielle, refus
du détenu, risque de récidive, incompatibilité entre la
personnalité de la personne condamnée et la nature même de
la mesure, cette mesure de PSE deviendra ainsi une modalité
d'exécution de la peine comme une autre. Une expérimentation de
ce PSE fin de peine a eu lieu entre octobre 2008 et janvier 2009. Il
apparaît que sur 1347 dossiers répondant aux conditions juridiques
d'éligibilité, 15,3% ont finalement abouti à une mesure de
PSE. Pour la première fois, il s'agit de dire que l'exécution de
la fin d'une peine d'emprisonnement se fait sous une autre modalité que
celle de l'enfermement en établissement pénitentiaire classique.
Autrement dit, la sortie sous PSE n'est pas conçue comme un
aménagement de peine venant valider la présentation d'un projet
voire venant récompenser un comportement positif. Il s'agit bien d'une
modalité classique d'exécution dans un objectif de
progressivité de la peine, rebaptisée pour l'occasion
Surveillance Électronique de Fin de Peine (SEFIP).
42 Conformément aux dispositions de l'article 142-8, qui
renvoie aux articles 139, 140, 141-2 et 141-3 sur le contrôle
judiciaire, les obligations de l'ARSE peuvent être
modifiées et la mainlevée de la mesure peut être
ordonnée à tout moment par le juge d'instruction ; en cas de
violation de ses obligations, la personne sous ARSE peut faire l'objet d'un
mandat d'arrêt ou d'amener et être placée en
détention provisoire ; en cas de révocation de la mesure, la
durée cumulée de la détention peut excéder de
quatre mois celle prévue par les articles 145-1 et 145-2. D'une
manière générale, l'article 142-12 prévoit que les
juridictions d'instruction et de jugement peuvent prononcer, comme mesure
alternative à la détention provisoire, une assignation à
résidence avec surveillance électronique dans les cas où
elles peuvent prononcer un contrôle judiciaire (notamment dans le cas
prévu par l'article 397-3 en matière de comparution
immédiate) et que l'ARSE peut être levée, maintenue,
modifiée ou révoquée par les juridictions d'instruction et
de jugement selon les mêmes modalités que le contrôle
judiciaire. L'article 93 de la loi pénitentiaire a par ailleurs
complété les différentes dispositions du code de
procédure pénale prévoyant la possibilité de
placement sous contrôle judiciaire afin qu'elles visent également
le placement sous ARSE.
L'ARSE peut être renouvelée pour une même
durée de six mois à trois reprises, la durée totale de la
mesure ne pouvant dépasser deux ans. Chaque renouvellement exige la
tenue d'un débat contradictoire. Il est par ailleurs prévu par
l'article 142- 9 qu'avec l'accord préalable du juge d'instruction, les
horaires de présence au domicile ou dans les lieux d'assignation
peuvent, lorsqu'il s'agit de modifications favorables à la personne mise
en examen ne touchant pas à l'équilibre de la mesure de
contrôle, être modifiés par le Chef d'établissement
pénitentiaire ou le Directeur du Service Pénitentiaire
d'Insertion et de Probation qui en informe le juge d'instruction.
L'ARSE consiste à imposer à la personne mise en
examen l'obligation de demeurer à son domicile ou dans une
résidence fixée par le juge d'instruction ou le juge des
libertés et de la détention, et de ne s'en absenter qu'aux
conditions et pour les motifs déterminés par ce magistrat. Afin
de contrôler à distance le respect de cette obligation, celle-ci
est exécutée sous le régime du placement sous surveillance
électronique prévu par l'article 723-8 du code de
procédure pénale.
La personne peut, en outre, être astreinte aux obligations
et interdictions du contrôle judiciaire prévues par l'article 138
du Code de Procédure Pénale.
Cela a des conséquences sur la mise en oeuvre pratique
des PSE pour les CPIP. En effet, cette pratique, en se simplifiant, a aussi
accentué la rapidité de la réponse attendue et la
quantité d'écrits professionnels (demande de changements
d'horaires, demandes d'aménagement de peine, permissions de sortie) :
F, 46 ans, Assistante de service social, 22 ans
d'ancienneté : « Compte tenu des différentes
réformes, moi, j'ai le sentiment qu'on fait de la gestion de stock, de
la gestion de flux et qu'on s'attache moins, qu'on a moins de temps pour faire
de l'individualisation de la peine, voilà ; la question du
contrôle, enfin l'idée du contrôle et de l'accompagnement
socio-éducatif, c'est ce qu'on fait encore un peu, mais le fondement,
ça reste toujours du contrôle social, même si c'est du
contrôle à travers une mesure de justice ».
F, 42 ans, CPIP, 2 ans d'ancienneté :
« Car pour eux, c'est la mesure phare, c'est la mesure qui coûte
moins d'argent qu'une incarcération, moins d'argent qu'une
semi-liberté et que les parquets semblent extrêmement ravis de
cette mesure, ce critère qui pour moi, me semblait important, il vole
complètement en éclat ; et comme y a pas de discussion, il n'y a
pas eu établissement d'un corpus de critères d'évaluation,
et c'est le propre de toute de l'administration pénitentiaire je pense ;
moi je suis bien d'accord que la grande mode, c'est le déclenchement de
la LOLF, et puis dans tous les secteurs de la recherche, ça se fait,
c'est évaluer ; à chaque fois que c'est de l'argent public qui
est mis sur un projet, il doit être évalué».
La proposition d'une SEFIP est systématisée car
seul le parquet peut refuser le bracelet aux détenus. Le CPIP instruit
mais ne propose plus. Il est, de fait, placé dans une situation
d'exécutant, du fait de la distinction minime entre aménagement
de peine et exécution de peine introduite par la Loi
Pénitentiaire.
Aussi, le placement sous surveillance électronique
devient une modalité d'exécution de peine, dissociée de
toute notion de projet le justifiant en termes de réinsertion sociale
:
F, 40 ans, CPIP, 9 ans d'ancienneté :
« On est dans des reponses immediates, ça va trop vite ; let ,
je suis en milieu ferme, je dois repondre essentiellement et des permissions de
sorties, et des amenagements de peine ; y a pas vraiment de suivi social entre
guillemets ; tu fais le quartier arrivants, effectivement, tu joins les
familles et après, il n'y a plus rien, et après, tu te focalises
sur la sortie, quoi, tout ce qui est la preparation de la sortie, donc t'as pas
vraiment le temps ; let, tu reçois des personnes, on doit mettre en
place des mesures, ça va trop vite ».
F, 54 ans, Assistante sociale, 20 ans comme assistante
sociale, 14 ans comme CPIP : « Il y a une proposition
endemique du PSE mais ça demande de la preparation en amont, faut que la
famille soit prête ; toute la famille vit la condamnation, donc,
ça doit être prepare, sinon, ça marche pas ».
Il apparaît que la frontière entre rôle de
proposition et fonction d'exécution soit ainsi rendue poreuse du fait de
l'utilisation massive du placement sous surveillance électronique pour
des fins différentes. Ce caractère mal défini des missions
semble également affecter d'autres groupes professionnels. S'agissant
des Conseillers Principaux d'Éducation de catégorie A, il est
constaté « des activités multiples allant de
l'exécution à la conception, des contours flous de
l'activité... ne permettant pas que s'organise une forme de
marché professionnel interne sur le modèle enseignant~ et rendant
à nouveau possible une captation pour des tiches administratives »
[DEMAZIERE, GADEA, 2009, p156]. Un mouvement similaire semble advenir dans
le cas des CPIP, la mise en oeuvre du placement sous surveillance
électronique étant normalisée et
accélérée :
H, 51 ans, CPIP, 25 ans d'ancienneté
: « J'ai l'impression qu'on va vers une
simplification des tâches ; on a le sentiment qu'on va vers la mise en
place de fiches, qu'on aura plus qu'et mettre des croix dans les cases : je
vois ça au niveau de la maison d'arrêt. Quand on fait les
arrivants, il y a recours et des questionnaires oil les questions ont ete
pensees pour nous.
Ça ne me paraît pas très complique de le
faire, pas besoin d'être CIP, suffit de savoir lire et ecrire. Je pense
que la matière grise sera reservee et la hierarchie pour concevoir
».
H, 27ans, CPIP, 3 ans d'ancienneté
: « Ben, ça s'est beaucoup simplifié,
vu le changement de matériel Là, ça devient très
basique, il y a deux ou trois questions techniques à poser, après
bien stir le diagnostic de la situation ; mais si, au terme de l'entretien,
j'arrive à la conclusion que c'est le plus approprié, et bien il
y a quelques questions techniques à se poser, j'évalue si
nécessaire de se rendre au domicile ; donc, c'est y aller pour des cas
très particuliers ; quand même, il y a une situation familiale un
peu compliquée, mais bon, c'est de plus en plus rare et sinon, j'essaie
de voir sur un plan médical si c'est adapté ; après, c'est
la transmission, la finition du rapport au chef de service qui transmet au
service de l'application des peines ».
Ce rabattement progressif vers des fonctions
d'exécution concernant la mise en oeuvre des placements sous
surveillance électronique est donc un obstacle au processus de
professionnalisation des CPIP et les inscrit dans une pratique de type
actuariel. Nous entendons par actuariat l'ensemble des techniques qui
« permettent aux décideurs pénaux de rendre compte de
leur action facilement, sans mettre en danger le système pénal
». Ces techniques « sont simples puisqu'elles ne
nécessitent pas de clinicien qualifié, mais se réduisent
à l'application directe d'une équation aux données
» [SLINGENEYER, 2007, p17]. Dans le cas des CPIP, il s'agit de
s'assurer que techniquement, la pose du bracelet électronique est
possible, indépendamment de la situation sociale et pénale de la
personne. Ainsi, c'est seulement dans la proposition du placement sous
surveillance électronique aux Juges de l'Application des Peines que les
CPIP gardent leur spécificité et leur magistère sur
l'évaluation de la situation sociale et pénale de leur public.
|