7-2 Une autonomie dans la mise en oeuvre des programmes
de prévention de la récidive
La mise en oeuvre des PPR s'est effectuée
progressivement, service par service, en laissant une grande autonomie d'action
locale afin de mettre en oeuvre les directives de l'Administration
Centrale.38 Parmi les neuf personnes interrogées, on note une
proportion d'assistantes de service social, ou d'anciennes assistantes sociales
devenues CPIP, nettement plus importante que dans le groupe professionnel des
CPIP dans leur ensemble (44% contre 9%). Nous ne pouvons savoir si ce fait
notable se vérifie à l'échelle de tous les SPIP.
38 Voir Annexe 6 p178
Le principe de ces groupes de paroles est de s'appuyer sur la
dynamique de groupe pour aborder des thématiques parfois laissées
de côté en entretien individuel :
F, 46 ans, Assistante de service social, 22 ans
d'ancienneté : « On leur demande de raconter leur vie
sur une espèce de frise chronologique, on leur demande de nous parler de
5 ou 6 événements marquants de leur vie, positifs et
négatifs, et de nous dire s'il y avait des choses exceptionnelles au
niveau de leur famille ou dans leur vie pour leur montrer que certains
événements de leur vie ont permis le passage à l'acte et
de fait c'est vrai.
On pensait faire une séance là-dessus, voire
une séance et demi ; et on a fait avec 8 personnes et on va faire une
troisième séance tellement ils ont des choses à dire ;
donc, les séances, on les construit et on les adapte selon le groupe,
son rythme propre ».
Il existe ainsi une autonomie dans la conception des
séances, leur enchaînement et leur organisation. Les groupes de
paroles, analysés dans notre étude, concernent les hommes
violents et les agresseurs sexuels, des thématiques nécessitant
le soutien et l'appui technique de psychologues. Cette autonomie d'action dans
la conception des séances nécessite donc des apports
extérieurs, ce qui nuance fortement leur indépendance
vis-à-vis d'autres professionnels.
F, 29 ans, CPIP, 3 ans d'ancienneté :
« Déjà, on a recruté un superviseur, puisqu'il
faut un superviseur extérieur à l'administration
pénitentiaire, on a recruté une psychologue qui a une grande
expérience de l'AP puisqu'elle a travaillé en SMPR39 :
elle a fait elle même des groupes de paroles en maison d'arrêt,
donc elle connaissait vraiment les directives de la DAP ; elle savait ce qu'on
attendait en fait d'elle ; donc, on a commencé à travailler avec
elle sur ma mise en place des groupes, sur les thèmes des
séances, ensuite une fois qu'on a eu ces journées de travail avec
elle, on a arrêté des dates de début et de fin de groupe ;
donc on s'est beaucoup appuyé sur ce qui a été fait avant,
sachant qu'on allait faire un groupe de 8 séances espacées de
trois semaines, ces séances auraient lieu le jeudi de 14h à 15h30
; on a vraiment défini les modalités du groupe de parole, le
nombre de participants : donc, là, on s'est fixé sur 10 à
12 personnes et on fixé le début du recrutement des participants
».
39 Le Service Médico-Psychologique
Régional ou secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire est
un
service en charge de. la prévention de La
crise suicidaire, des conduites de dépendance avec ou sans produit
incLuant La prescription de traitements de substitution et des soins aux
auteurs de vioLences sexueLLes en détention.
Le choix de cet apport extérieur s'est fait de
surcroît en collaboration avec les CPIP et la hiérarchie sur
recommandation de l'Administration Centrale :
F, 32 ans, Assistante sociale, 5 ans
d'ancienneté : « Au début oui, au
départ, ce qu'on a travaillé avec la psychologue, selon quels
critères on va intégrer les probationnaires dans le groupe, le
contenu des séances et les horaires ; sauf, qu'au moment oft on est
passé à la phase de présentation aux collègues, la
direction a déjà pris la décision par rapport à
ça, qui n'est pas forcément la décision qu'on avait
travaillé, donc on nous a laissé l'illusion qu'on pouvait prendre
nos décisions, ce qui est assez frustrant dans le travail de ce projet
».
Ce concept d'autonomie est au centre de l'analyse de Freidson,
qui interroge plus particulièrement les relations entre l'État et
les professions. Selon lui, « une sociologie des professions
doit se construire loin des fonctionnalités multiples et ambivalentes,
telles que le support ou la résistance à la pression du capital
ou de l'Etat » [DUBAR, TRIPIER, 2005, p130]. Il distingue deux
niveaux d'autonomie professionnelle.
Il reconnaît tout d'abord, sur la base de ses propres
recherches sur les médecins, que les professions sont autonomes dans
l'organisation technique de leur travail et dans la construction de leurs
marchés du travail. Mais le professionnalisme ne peut exister que s'il
est adossé à un système socio-politique plus large qui lui
permet de s'épanouir. Une profession, bien qu'autonome sur le plan de
ses actes techniques, ne l'est pas dans la définition de ses
orientations socio-économiques : « Alors que les professions,
contrairement à d'autres activités, contrôlent leur propre
travail et peuvent donc être considérées autonomes dans la
division du travail et dans leurs marchés du travail, elles
dépendent du pouvoir coercitif de l'État qui soutient cette
autonomie. Elles sont autonomes dans leur propre domaine économique mais
pas dans la société dans son ensemble car elles dépendent
de l'État qui leur délègue du pouvoir »
[FREIDSON, 2001, p133]. De fait, l'autonomie dans la définition du
contenu des séances et dans le choix des modalités de supervision
de celles-ci répond à une commande explicite de
l'administration.
La pratique des programmes de prévention de la
récidive nécessite de surcroît l'acquisition de nouvelles
connaissances acquises par la formation continue. En effet, cette
modalité de suivi a été généralisée
à la suite d'expérimentations à partir de 2007 et
n'apparaît en formation continue à l'ÉNAP que depuis
janvier 2009.
H, 30 ans, CPIP, 3 ans d'ancienneté :
« La formation à l'ENAP est sur une semaine, les participants
sont exclusivement des CIP et il y avait un chef de service ; c'est de la
psychologie sociale et de la psychologie cognitive et comportementaliste, des
apports théoriques sur la dynamique de groupe, des techniques, des mises
en situation, ils mixent tout.
Voilà comment ça se passe dans un groupe, des
mises en situation avec des observateurs et à
la fin, le prof donne sa valeur ajoutée. Le groupe
était composé de CIP qui faisaient déjà sur
.
Une pratique aussi récente ne peut donc etre un
élément central de l'identité professionnelle des CPIP en
notre sens. Cependant, il faut noter que ces programmes de prévention de
la récidive ont été pratiqués depuis une quinzaine
d'année, notamment au SPIP d'Angouleme. La mise en place concrète
de ces programmes de prévention de la récidive s'est depuis
réalisée service par service sur l'ensemble des SPIP depuis
2009.
Cependant, il est possible d'écrire que l'application
au niveau local de ces programmes s'est appuyée sur l'expérience
de SPIP l'ayant pratiqué auparavant et sur celle des IRTS40
ou des psychologues cliniciens qui pratiquent depuis des années la
technique des groupes de parole. II est donc impossible, à ce niveau de
notre réflexion, de prétendre à une
généralisation, dans les propos recueillis dans le contexte
particulier de notre lieu d'enquete. Nous nous concentrerons donc sur
l'articulation entre savoirs nouveaux et savoirs anciens dans la mise en
pratique des programmes de prévention de la récidive.
Les CPIP développent donc une expérience
importante dans la pratique des PSE et s'appuient sur l'expérience
d'autres services et d'autres corps professionnels dans la mise en oeuvre des
programmes de prévention de la récidive. Cela crée un
corpus de connaissances, non formalisées, qui seraient susceptibles
d'être enseignées en formation initiale ou bien partagées
dans l'ensemble des SPIP. C'est donc principalement dans l'adaptation des
textes sur le terrain que réside leur autonomie d'action dans un cadre
législatif très contraint.
40 Instituts Régionaux du Travail Social
|