Chapitre 7 : Savoirs d'action et autonomie
professionnelle
L'instruction du placement sous surveillance
électronique n'est pas spécifiquement enseignée en
formation initiale. Aussi les CPIP se sont constitués une pratique par
l'expérience (7-1). Cette méthode d'apprentissage a
également été importante dans la mise en oeuvre des
programmes de prévention de la récidive avec le soutien de
professionnels extérieurs (7-2).
7-1 Des savoirs d'action pour le PSE
Il existe, depuis 2005, une réelle expérience
des CPIP par rapport aux conditions d'exécution de cette mesure issue de
savoirs de nature empiriques pour la plupart. En effet, il n'existe pas de
formation spécifique à la pratique du placement sous surveillance
électronique en formation initiale pour les CPIP :
F, 29 ans, CPIP, 3 ans d'ancienneté :
« Je fais appel à l'expérience au niveau de la vie de la
personne ; je vois déjà s'il y a quand même une certaine
routine sachant qu'au delà de 6 mois, ça devient quand même
extrêmement compliqué, je regarde si la peine est longue
».
F, 40 ans, CPIP, 9 ans d'ancienneté :
« Je sais pas, j'ai pas été formée aux
aménagements de peine, en tout cas, à l'ENAP, rien ; je fais
appel un peu à des connaissances juridiques, voilà, je regarde,
j'essaie d'avoir une maîtrise sur la situation de la personne, je sais
pas comment t'expliquer, quelque part te dire, celui ci, pas sentir parce que
c'est pas euh, il tiendra le coup ; c'est quand je fais le point, je fais
l'entretien et puis je me dit : tiens celui ci, il a le profil pour un PSE,
pourquoi pas, je sais pas, à quelles connaissances, les connaissances
juridiques ; ça, c'est certain, je fais appel à des connaissance
juridiques, après, est-ce qu'on fait appel à des connaissances,
ce qu'on appelle sociologiques, je sais pas, je sais pas comment t'expliquer,
on a aussi, on se dit, cette personnalité, voilà ! Peut
être le PSE, ça semble plus adapté, c'est mieux,
peut-être des connaissances psychologiques. Et puis il y a de l'ordre du
ressenti et puis y en a qui sont clairs dans leurs discours, hein,
voilà, c'est des peines qui datent de longtemps : ils ont un travail,
une famille, ils font leur PSE tranquillement et on n'entend plus parler d'eux
et généralement, on n'entends plus parler d'eux quoi
».
Cette connaissance objective des conditions à remplir
pour que la mesure se déroule correctement s'appuie plus sur
l'expérience de chaque CPIP que sur des enseignements
spécifiques. La pratique du placement sous surveillance
électronique nécessite une analyse spécifique de la
situation de la personne condamnée.
C'est partiellement au CPIP de le proposer ou non au Juge de
l'Application des peines, sans qu'il existe de réelle
homogénéisation dans les pratiques :
F, 42 ans, CPIP, 2 ans d'ancienneté :
« C'est-à-dire qu'on voit de plus en
plus les magistrats prescrire de plus en plus les PSE directement ; en aucun
cas, je considère qu'ils ont à prescrire quoi que ce soit,
même s'ils le font, je le traite comme un 723-15 classique mais je sens
la pression, je me donne complètement le choix de le prescrire ou de ne
pas le prescrire, je sens la pression du service de l'application de peines
».
Cette fonction de proposition au Juge, exercée
exclusivement par les CPIP, peut ainsi être un marqueur de leur
professionnalisme :
F, 29 ans, CPIP, 3 ans d'ancienneté
: « J'essaie de savoir si c'est quelqu'un qui a une certaine
maturité, quelqu'un qui n'est pas influencé, si c'est quelqu'un
de très fragile qui va se laisser embarquer par les amis, si c'est
quelqu'un qui a une vie de famille et dont la famille est très en
attente, s'il y a un peu de rancoeur vis à vis de
l'incarcération, si c'est une sortie de détention en PSE et que
la famille est en très en attente et compte beaucoup sur cette personne
et espère qu'il va pouvoir aller chercher les enfants à
l'école, qu'il va pouvoir faire les courses, qu'il va pouvoir reprendre
toute la vie qu'il avait auparavant ; j'essaie de calmer quand même les
choses parce qu'on sait que les horaires ne permettent pas cela malheureusement
».
Il existe donc un savoir empirique, non formalisé, un
savoir d'action dont les CPIP sont détenteurs qui marque une forme
d'autonomie professionnelle qui « s'impose lorsque les prestations ne
peuvent pas être standardisées » [LE BIANIC, VION, 2008,
idem]. Ces savoirs spécifiques se retrouvent dans d'autres corps, au
sein de la fonction publique, comme les policiers ou bien les enseignants
étudiés et « relèvent pour les
intéressés de la compétence accumulée au fil
d'événements qui constituent autant de précédents
dont l'évaluation permet l'élaboration progressive d'un savoir
opératoire efficace » [MONJARDET,1996, p49] ou «
résultante de l'acquisition de savoirs et d'aptitude pratiquement
requises par les situations professionnelles » [DUBAR, TRIPIER, 2005,
p160].
La non formalisation de ces savoirs est une constante chez les
CPIP qui travaillent majoritairement de manière individuelle, sans
espace d'échange sur les pratiques concernant le placement sous
surveillance électronique. Il n'est pas possible, toutefois, de
généraliser ce constat à l'ensemble des SPIP, notre
étude portant sur une seul SPIP.
F, 42 ans, CPIP, 2 ans d'ancienneté
: « Je pense, pour le coup, c'est là oil ça
peut paraître curieux, mais il n'y a pas de règles, enfin, y a pas
de règles du tout, c'est moi qui ait décidé de mes
critères et qui, lors de l'instruction d'un PSE, décide ou non de
mettre un avis favorable ou pas : c'est mes critères et mon expertise.
Par exemple, pour moi, un des critères pour le PSE, il y a le travail.
Pour moi, c'est une mesure qui est adaptée à quelqu'un qui a des
horaires, il me semble, qui sont dus à son travail auquel on peut
ajouter, selon sa situation familiale, un certains nombre d'heures pour
s'occuper de sa famille ; pour moi, un des critères déterminants,
c'est ça, mais je m'aperçois que chez d'autres collègues,
c'est pas un critère déterminant, et pour les magistrats,
ça ne l'est plus du tout ».
De fait, le placement sous surveillance électronique
nécessite des connaissances spécifiques, apprises sur les lieux
de stage plutôt que lors de la formation initiale, qui sont d'ordre
techniques, mais appliquées à des situations individuelles. Il
s'agit de connaître le dispositif technique afin de poser les questions
nécessaires au placé éventuel mais aussi d'analyser la
situation personnelle de la personne placée sous main de justice,
analyse de nature principalement expérentielle :
H, 27ans, CPIP, 2 ans d'ancienneté :
« Il faut savoir comment ça fonctionne techniquement, savoir
les contres indications, même s'il y en a de moins en moins, sans rentrer
dans les détails, mais déjà, voilà, sur un plan
technique, il faut avoir quand même une connaissance un peu du dispositif
; après sur la personne, il peut y avoir effectivement aussi des contres
indications familiales, professionnelles, selon la nature du délit,
selon le contexte conjugal, c'est vrai que c'est pas toujours approprié
et selon la situation professionnelle, c'est pas toujours approprié
».
La pratique du placement sous surveillance électronique
nécessite donc un savoir spécialisé «
incorporé et impossible à décrire complètement
parce qu'il a une composante élevée de structures inconscientes
nécessaires pour gérer la complexité de l'action
» [LE BOTERF, 2003].
Ce savoir est détenu par les seuls CPIP qui ont le
monopole de l'exercice de cette mesure. Selon Magali SARFATI LARSON, la
professionnalisation suppose une fermeture sociale du marché,
c'est-à-dire « un monopole légal de certaines personnes
sur certaines activités couplé à un savoir légitime
acquis, sans lequel l'exercice professionnel serait impossible et qui implique
une fermeture culturelle de certains groupes professionnels à ceux qui
ne peuvent faire le preuve de la possession de ce savoir » [DUBAR,
TRIPIER, 2005, p122].
Ainsi, les principaux représentants du courant
néo-weberien insistent sur « le lien entre un savoir expert et
l'établissement par un groupe social de « chasses gardées
» (exclusionary shelters) sur un marché » [LE BIANIC,
2005, p47] et concentrent leur propos sur l'établissement ou non d'un
monopole sur une activité donnée, dans un marché
donné.
Dans cette acception, les CPIP étant les seuls à
exercer une activité non formalisable -- la proposition
d'un placement sous surveillance électronique au juge de l'application
des peines d'une manière légitime (le mandat judiciaire) -, il
est concevable de voir, dans le placement sous surveillance
électronique, comme un facteur de professionnalisation des CPIP.
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