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De la réinsertion à  la prévention de la récidive:quel processus de professionnalisation pour les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation

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par Yann COUZIGOU
Conservatoire national des arts et métiers - Master de recherche travail social, action sociale et société 2011
  

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8-2 Un espace de réflexion collective en construction

Les CPIP, du fait du développement de l'écrit, sont accoutumés à travailler seuls face à leurs publics, du fait également de l'importance du rendu compte de leur activité au quotidien comme décrit plus haut. La pratique des programmes de prévention de la récidive marque une rupture avec cette évolution. Cet échange sur les situations entre CPIP rompt leur isolement et peut apporter un étayage dans leurs pratiques personnelles :

H, 30 ans, CPIP, 3 ans d'ancienneté : « Les formations qu'on a suivies, ça nous remettait vraiment en question, parce que c'était une formation oft on était en groupe, on a pas du tout l'habitude, on doit tenir compte des autres. Moi, j'avais une pratique plutôt très individualiste de mon métier. Donc, ça a vraiment modifié mes prises en charge, et puis tout ce qu'on a appris sur autrui, ses capacités de défense par exemple.

Tous les processus psychiques qui se mettent en place pour éviter de se confronter à ce qui était trop douloureux, je le voyais avant mais j'étais pas capable de l'analyser avec autant de lucidité ; le fait aussi qu'il faille prendre un peu de temps, c'est pas du gaspillage ».

F, 29 ans, CPIP, 3 ans d'ancienneté : « Ça nous pose beaucoup de questionnements sur nous, déjà, notre propre aptitude à travailler en groupe, parce qu'on a travaillé très longtemps avec d'autres collègue ; donc, déjà ça, on a pas l'habitude, on est quand même souvent dans nos bureaux, avec nos suivis.

Même si on échange avec nos collègues de bureau, on travaille quand même tout seul sur nos dossiers ; là, il a quand même fallu admettre qu'on pouvait travailler en groupe, admettre qu'on avait des failles, des points faibles, des points forts, et voilà qu'il fallait admettre tout ça».

La pratique des Programmes de Prévention de la Récidive réintroduit le débat entre pairs et le travail collectif d'échange sur les situations qui n'avaient plus lieux depuis des années. Il est possible de parler de pratiques de nature prudentielle en construction.

Ces pratiques prudentielles concernent « le fait de traiter de problèmes singuliers et complexes et, partant, de devoir faire face à une irréductible incertitude quant au déroulement du travail sur ces problèmes ou ces situations, le fait de devoir se livrer à des conjectures sur les cas traités et à des délibérations sur les fins de l'activité, pour pouvoir mener à bien le travail dans ces situations d'incertitudes, le fait enfin que les savoirs et les savoirs-faire mis en oeuvre ne soient pas formalisables » [CHAMPY, 2011, p149].

Cet échange entre pairs, depuis 2007 et la généralisation des PPR, s'appuie sur des connaissances théoriques nouvelles enseignées en formation continue et qui viennent compléter ou appuyer des savoirs de nature empiriques. Ces savoirs sont issus du contact répété avec une population particulière que ne rencontrent pas d'autres professionnels du social :

F, 46 ans, Assistante de service social , 22 ans d'ancienneté : « On a quand même une réflexion plus élaborée qu'une assistante sociale de secteur, qu'un éducateur qui travaille avec des personnes handicapées, sur le passage à l'acte, les raisons du passage à l'acte ; même si on a pas eu de formation, on a quand même des apports théoriques, même intuitifs.

A force de travailler avec les gens, on sait quelles sont les carences et les manques qui peuvent conduire au passage à l'acte et quelqu'un qui n'est pas professionnel du secteur aurait plus de mal à l'appréhender. On apprend dans ce métier à ne pas juger, à amener les gens à travailler sur leur passage à l'acte, à les interroger là dessus, déni ou pas déni, à travailler leur sentiment de culpabilité s'il y en a un, mais on doit quand même essayer de ne pas être dans le jugement ; et ça, ça s'apprend de manière empirique mais aussi par la formation continue et initiale ».

H, 30 ans, CPIP, 3 ans d'ancienneté : « Alors, c'est présenté comme un groupe de parole, comme un espace dirigé, préparé, où un certain nombre de thèmes sont abordés dans le but de ne pas recommencer, de faire autrement, de comprendre ce qui s'est passé ; c'est pas présenté comme un programme de prévention de la récidive, donc on s'est pas mis des bâtons dans les roues, donc, on part sur l'adhésion de la personne puisqu'il y a des choses qui vont être dîtes ; ça demande de l'honnêteté, on donne de soi, donc présenté comme ça, en insistant bien sur le côté éducatif, non thérapeutique, on est pas des psychologues vulgairement, c'est le groupe qui fera tout, il n'y aura pas de « valeur ajoutée » par les animateurs, pour parler vulgairement ».

De nouvelles professionnalités émergent, complémentaires de celles de travailleur social ou de contrôleur judiciaire, qui déplacent les perceptions des CPIP sur leur travail et leur relation avec les personnes placées sous main de justice vers une autre clinique, de nouvelles méthodes de travail :

F, 52 ans, CPIP, 19 ans d'expérience comme AS, 10 ans dans l'Administration Pénitentiaire : « Je pense que ça nous ramène vers l'éducatif, car je pense de plus en plus on est amené à faire du contrôle ; les mesures que l'on a, c'est de plus en plus des mesures de contrôle ; au CSL43, on arrête pas de contrôler ce qu'il travaille, et ce qu'il suit : ses soins et le côté social, bon, il y est de moins en moins ; bien sûr, on a des entretiens éducatifs par moment ; par moment, on parle des faits, mais il y arrive quand même quelquefois qu'on en parle, mais pas trop. Là, dans les PPR, on est en plein dans nos missions plus éducatives ; je trouve plus que ça les amène à comprendre ce qu'ils on fait, ça les amène à réfléchir, je pense que ça les fait bouger, certaines ; enfin, on en est à la quatrième séance mais c'est ce qu'ils nous disent, c'est ce qu'ils nous renvoient, et on en fait une toute les trois semaines ».

43 Centre de Semi -Liberté

F, 39 ans, CPIP, 12 ans d'ancienneté : « On a eu plusieurs reunions, comment gerer les conflits, faire attention à bien faire circuler la parole, pleins de choses concrètes, c'etait très professionnel ; et puis on a eu des seances avec Sylvie Brochet qui nous a fait des seances d'animation de groupes de parole, mais de manière différente, plutôt portées vers le domaine du comportementalisme ; alors que l'IRTS, c'etait anime par une formatrice qui avait plutôt tendance, qui etait portee sur la psychanalyse, le psychisme, l'inconscient ;

on a eu deux façons differentes de proceder ; moi, ça m'a beaucoup ouvert de perspectives, j'ai une plus-value au niveau de mon travail individuel dans es entretiens, je ne travaille plus de la même manière, je suis beaucoup plus receptive à ce que me dit autrui, ça a beaucoup change ».

F, 46 ans, Assistante de service social, 22 ans d'ancienneté : « Il faut avoir des connaissances plus ou moins importantes, des savoirs sur les donnees psychologiques cliniques et psychiatriques concernant les delinquants sexuels, notamment pour eviter les pervers dans le choix qu'on peut faire pour constituer des groupes de paroles, les manipulateurs, c'est pas du tout compatible avec un groupe de parole à visee criminologique comme le nôtre ».

A une connaissance particulière d'un public spécifique, viennent s'ajouter de nouvelles connaissances empruntant à la psychologie clinique et aux techniques d'entretiens de groupe enseignées par les Instituts Régionaux du Travail Social. La professionnalisation se nourrit ainsi « du croisement de savoirs nouveaux et permet en consequence de revendiquer une plus grande opposabilité à l'égard de l'action publique, mais sans jamais atteindre l'autorité des professions liberales » [CHAUVIERE, 2004, p114]. Les professions constituent « une espèce particulière, dans la mesure où le savoir sur lequel elles s'appuient est de nature essentiellement theorique et ne peut être routinise » [LE BIANIC, 2005, p36]. Dans cette acception, la pratique exclusive d'un groupe de parole, portant soit sur les auteurs de violence conjugale, soit sur les agresseurs sexuels, nécessite de véritables professionnels. Cependant, l'appui sur des praticiens extérieurs et la faible durée de la formation interne à la pratique des programmes de prévention de la récidive nuancent fortement ce propos.

8-3 Des visites à domicile plus rares

Depuis 1999, un certain nombre de mesures ou d'actes professionnels ont progressivement été confiés au secteur associatif (contrôle judiciaire et permanences d'orientation pénale).

Les visites au domicile des futurs placés sous surveillance électronique, de systématiques, sont devenues marginales, tout comme les accompagnements de personnes placées sous main de justice dans leurs démarches de réinsertion. Ces actes professionnels sont au coeur de l'identité professionnelle historique des assistant(e)s de service social qui ont construit leur identité autour de la visite sociale.

C'est autour de cette pratique que se sont créés, en 1923, les bureaux d'hygiène sociale et l'utilisation par des pionnières des ressources sociales et financières des différents réseaux de notables, confessionnels ou militants.

Les assistant(e)s de service social ont donc été historiquement « en position favorable pour peser assez directement dans la définition pratique, autant que théorique des objets de leur intervention, et partant, de leur métier » [CHAUVIERE, 2004, p91]. Nous avons ici concentré notre analyse sur les propos de CPIP pratiquant le PSE.

De systématiques, les visites à domicile sont devenues marginales, avec la simplification des conditions techniques, éloignant encore plus les CPIP de pratiques relevant du social historique appuyé sur la visite à domicile :

F, 29 ans, CPIP, 3 ans d'ancienneté : « Il y a un gros travail avec la famille qui passe par une enquête à domicile, pour respecter aussi ces particularités-là, pour s'assurer que la personne qui héberge est au courant de la demande, sait dans quelle condition elle accueille la personne, notamment si c'est une jeune mère de famillek ».

H, 31 ans, CPIP, UGSP-CGT, 4 ans d'ancienneté : « Il faut reconnaître qu'il y a un certain nombre de pratiques qui ont aussi disparu, il faut citer le cas des contrôles judiciaires, des permanences d'orientation pénales qui sont beaucoup plus du ressort du privé que du SPIP ; et les visites à domicile par exemple, comme la permission de sortie accompagnée qui elles aussi, ont disparu ; et depuis 1999, il y a eu quand même je dirai, et à la fois, du fait de l'évolution des politiques pénales et du fait de la juridictionnalisation de l'application des peines, et à la fois quand même du fait de la volonté assez affirmée de l'administration pénitentiaire de bureaucratiser notre métier ».

H, 51 ans, CPIP, 25 ans d'ancienneté : « Il y avait un peu plus de visites à domicile, un peu plus oui, d'accompagnement dans les structures pour des personnes qui se déplacent difficilement, ou il y a des crises de panique ; il y avait plus de démarches éducatives et sociales ».

Le recentrage vers le champ judiciaire des missions des CPIP est rendu nécessaire par la complexité des évolutions juridiques concernant l'application des peines depuis 1999, selon l'Administration Pénitentiaire. La succession de textes juridiques et de réformes semble, en effet, nécessiter l'appui de personnels ayant une bonne culture juridique.

H, 30 ans, CPIP, 3 ans d'ancienneté : « Le CIP doit en (champ judiciaire) avoir une compréhension efficace, comme on est une force de proposition, il faut en comprendre les rouages, les différentes personnes compétentes, parce que du coup, on se fait conseiller juridique pour les mesures qu'on couvre ».

Cependant, cette technicité juridique ne peut être dissociée d'une connaissance de la personne et de son inscription dans des politiques de droit commun :

F, 29 ans, CPIP, 3 ans d'ancienneté : « Pour moi, c'est le côté bonne connaissance de l'articulation avec le droit commun, c'est travailler le lien social sous ses différents aspects, puisque notre mission, c'est prévenir la récidive, et je trouve que ça prend de moins en moins de place, et c'est dommage, compte tenu de notre organisation ; il y a un moment où tu as la personne et des situations beaucoup trop compliquées et je veux dire, il manque du temps et plusieurs regards pour vraiment travailler le lien social ».

C'est cette collégialité dans l'analyse des pratiques qui constituerait une amorce de contrôle entre pairs, indice de professionnalisation que nous n'avons partiellement observé sur notre terrain.

8-4 Un monopole partagé avec les surveillants pénitentiaires dans le suivi des PSE

Depuis début 2010, environ 35 agents du personnel de surveillance, en charge du PSE, ne sont plus rattachés à une maison d'arrêt mais à un SPIP. Ce transfert géographique vise à réunir la gestion socio-éducative et la gestion technique du PSE en un même endroit. Cette expérimentation (« surveillant chargé du PSE en SPIP ») est partie intégrante d'une expérimentation plus large, celle de la segmentation.

Dans les 11 sites concernés, le modèle du cabinet croissance44 prévoit une réorganisation du SPIP en 5 « segments », et un transfert d'une partie des suivis vers le personnel de surveillance.

44 Voir Annexe 7 p184

Ghaque Direction Interégionale, ainsi que la Mission Outre-mer, fonctionne à présent avec un pôle centralisateur 24h/24. Seize postes ont été créés à cette fin à la DAP qui estime qu'un pôle centralisateur peut fonctionner avec 8 agents.

De plus, 46 postes PSE ont été ouverts dans les SPIP en 2010. En plus des 55 SPIP qui seront donc concernés cette année, le reste des services devrait être pourvu en 2011.

La DAP annonce que chacun de ces postes fera l'objet d'une compensation pour les établissements. Les agents déjà en charge du PSE seront prioritaires pour ces postes. Gette cohabitation récente des CPIP et des surveillants PSE en milieu ouvert dans la mise en oeuvre d'une méme mesure, le placement sous surveillance électronique, tend à rapprocher progressivement les SPIP des établissements pénitentiaires :

Ainsi, progressivement, les SPIP tendent à devenir des établissements pénitentiaires, même si l'installation de greffes au sein des SPIP n'est pas actée actuellement. Gela confirme que les métiers de CPIP et de surveillants sont destinés à se compléter et à s'articuler de manière plus formalisée :

F, 49 ans, Assistante de service social, 28 ans d'ancienneté : « Globalement, l'AP a mis la main sur ses agents, on peut le dire, et puis la culture pénitentiaire, celle qu'on trouvait dans les prisons, s'impose dans le milieu ouvert, avec, par exemple, la question de la sécurité qui était évidement présente en prison ; c'est éminemment culturel, en milieu ouvert ça n'existait pas, je persiste à dire qu'il y a peu de problèmes, les problèmes de sécurité sont extrêmement rares ; au fil des années, à partir de fait divers, on a construit l'objet insécurité dans les services »

F, 46 ans, Assistante de service social, 22 ans d'ancienneté : « Moi, je parlerai de pression, moi, je sens plus la pression pénitentiaire ; moi, ce qui me parait le plus proche de moi, c'est le champs pénitentiaire, même si je ne travaille pas en milieu fermé, parce que du fait de la réforme de la départementalisation, il y a quand même une administration pénitentiaire qu'on sent plus proche, et la direction régionale, les modifications, enfin, les réformes ; ensuite, le champs judiciaire me semble s'être éloigné de moi, puisque c'est vrai que pendant longtemps, j'ai travaillé au tribunal, c'est vrai que par exemple, à une époque, je connaissais tous les magistrats, les greffiers, donc, pour moi le champs judiciaire s'est un peu éloigné pour que se rapproche le champs pénitentiaire ; le champ social s'est éloigné aussi, autant il y avait une forme avant, autant aujourd'hui, j'ai l'impression que les formes du champs social sont en train de devenir de plus en plus floues, parce qu'en fait, on a pas le temps de faire vraiment un travail social correct ».

Cette nouvelle complémentarité/compétition entre surveillants et CPIP mériterait une étude spécifique, avec un peu plus de recul sur la mise en oeuvre de cette réforme dans la perspective de « l'écologie des professions », initiée par Abbott. Cet auteur accorde aux conflits de juridiction, survenant entre professions sur un même lieu de travail, une place centrale. Toute profession est en lutte pour « la maîtrise de territoires ou de domaines réservés (juridictions) au sein de la division du travail » [ABBOT, 1988]. Il nous semble que les interactions entre surveillants, affectés dans les SPIP et CPIP, sont de nature à se compléter mais aussi à se concurrencer sur des dimensions comme le rendu compte des incidents ou le suivi administratif des mesures à déléguer à l'un ou à l'autre de ces groupes professionnels.

Cette congruence des missions entre CPIP et surveillants dans les fonctions administratives de surveillance est partiellement actée par le nouveau projet d'organisation de service des SPIP qui suggère un suivi administratif des personnes placées sous main de justice ne présentant pas de dangerosité et ne nécessitant pas d'intervention du SPIP en matière d'orientation vers des partenaires extérieurs par les surveillants pénitentiaires. Ainsi, de la proposition d'un placement sous surveillance électronique aux Juges d'Application des Peines à l'instruction et au suivi de cette mesure, les CPIP mobilisent des savoirs d'action non formalisés. Une systématisation de la surveillance électronique tend cependant à réduire leur autonomie d'analyse de la situation des personnes placées sous main de justice. En parallèle, les CPIP redécouvrent l'analyse collégiale des situations prises en charge par les services avec la pratique très récente à l'échelle de tous les services des programmes de prévention de la récidive. Leur formation initiale n'intégrant cette mesure que depuis 2009, elle ne peut constituer en l'état une pratique centrale fondant l'identité de ce groupe professionnel. Les visites à domicile se raréfiant, de nouvelles professionnalités émergent entre surveillance, technicité juridique et connaissances spécifiques sur les infractions commises par les publics.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus