8-2 Un espace de réflexion collective en
construction
Les CPIP, du fait du développement de l'écrit,
sont accoutumés à travailler seuls face à leurs publics,
du fait également de l'importance du rendu compte de leur
activité au quotidien comme décrit plus haut. La pratique des
programmes de prévention de la récidive marque une rupture avec
cette évolution. Cet échange sur les situations entre CPIP rompt
leur isolement et peut apporter un étayage dans leurs pratiques
personnelles :
H, 30 ans, CPIP, 3 ans d'ancienneté
: « Les formations qu'on a suivies, ça nous remettait vraiment
en question, parce que c'était une formation oft on était en
groupe, on a pas du tout l'habitude, on doit tenir compte des autres. Moi,
j'avais une pratique plutôt très individualiste de mon
métier. Donc, ça a vraiment modifié mes prises en charge,
et puis tout ce qu'on a appris sur autrui, ses capacités de
défense par exemple.
Tous les processus psychiques qui se mettent en place pour
éviter de se confronter à ce qui était trop douloureux, je
le voyais avant mais j'étais pas capable de l'analyser avec autant de
lucidité ; le fait aussi qu'il faille prendre un peu de temps, c'est pas
du gaspillage ».
F, 29 ans, CPIP, 3 ans
d'ancienneté : « Ça
nous pose beaucoup de questionnements sur nous, déjà, notre
propre aptitude à travailler en groupe, parce qu'on a travaillé
très longtemps avec d'autres collègue ; donc, déjà
ça, on a pas l'habitude, on est quand même souvent dans nos
bureaux, avec nos suivis.
Même si on échange avec nos collègues
de bureau, on travaille quand même tout seul sur nos dossiers ;
là, il a quand même fallu admettre qu'on pouvait travailler en
groupe, admettre qu'on avait des failles, des points faibles, des points forts,
et voilà qu'il fallait admettre tout ça».
La pratique des Programmes de Prévention de la
Récidive réintroduit le débat entre pairs et le travail
collectif d'échange sur les situations qui n'avaient plus lieux depuis
des années. Il est possible de parler de pratiques de nature
prudentielle en construction.
Ces pratiques prudentielles concernent « le fait de
traiter de problèmes singuliers et complexes et, partant, de devoir
faire face à une irréductible incertitude quant au
déroulement du travail sur ces problèmes ou ces situations, le
fait de devoir se livrer à des conjectures sur les cas traités et
à des délibérations sur les fins de l'activité,
pour pouvoir mener à bien le travail dans ces situations d'incertitudes,
le fait enfin que les savoirs et les savoirs-faire mis en oeuvre ne soient pas
formalisables » [CHAMPY, 2011, p149].
Cet échange entre pairs, depuis 2007 et la
généralisation des PPR, s'appuie sur des connaissances
théoriques nouvelles enseignées en formation continue et qui
viennent compléter ou appuyer des savoirs de nature empiriques. Ces
savoirs sont issus du contact répété avec une population
particulière que ne rencontrent pas d'autres professionnels du social
:
F, 46 ans, Assistante de service social , 22 ans
d'ancienneté : « On a quand
même une réflexion plus élaborée qu'une assistante
sociale de secteur, qu'un éducateur qui travaille avec des personnes
handicapées, sur le passage à l'acte, les raisons du passage
à l'acte ; même si on a pas eu de formation, on a quand même
des apports théoriques, même intuitifs.
A force de travailler avec les gens, on sait quelles sont
les carences et les manques qui peuvent conduire au passage à l'acte et
quelqu'un qui n'est pas professionnel du secteur aurait plus de mal à
l'appréhender. On apprend dans ce métier à ne pas juger,
à amener les gens à travailler sur leur passage à l'acte,
à les interroger là dessus, déni ou pas déni,
à travailler leur sentiment de culpabilité s'il y en a un, mais
on doit quand même essayer de ne pas être dans le jugement ; et
ça, ça s'apprend de manière empirique mais aussi par la
formation continue et initiale ».
H, 30 ans, CPIP, 3 ans d'ancienneté :
« Alors, c'est présenté comme un groupe de parole, comme
un espace dirigé, préparé, où un certain nombre de
thèmes sont abordés dans le but de ne pas recommencer, de faire
autrement, de comprendre ce qui s'est passé ; c'est pas
présenté comme un programme de prévention de la
récidive, donc on s'est pas mis des bâtons dans les roues, donc,
on part sur l'adhésion de la personne puisqu'il y a des choses qui vont
être dîtes ; ça demande de l'honnêteté, on
donne de soi, donc présenté comme ça, en insistant bien
sur le côté éducatif, non thérapeutique, on est pas
des psychologues vulgairement, c'est le groupe qui fera tout, il n'y aura pas
de « valeur ajoutée » par les animateurs, pour parler
vulgairement ».
De nouvelles professionnalités émergent,
complémentaires de celles de travailleur social ou de contrôleur
judiciaire, qui déplacent les perceptions des CPIP sur leur travail et
leur relation avec les personnes placées sous main de justice vers une
autre clinique, de nouvelles méthodes de travail :
F, 52 ans, CPIP, 19 ans d'expérience comme AS,
10 ans dans l'Administration Pénitentiaire : «
Je pense que ça nous ramène vers l'éducatif,
car je pense de plus en plus on est amené à faire du
contrôle ; les mesures que l'on a, c'est de plus en plus des mesures de
contrôle ; au CSL43, on arrête pas de contrôler ce
qu'il travaille, et ce qu'il suit : ses soins et le côté social,
bon, il y est de moins en moins ; bien sûr, on a des entretiens
éducatifs par moment ; par moment, on parle des faits, mais il y arrive
quand même quelquefois qu'on en parle, mais pas trop. Là, dans les
PPR, on est en plein dans nos missions plus éducatives ; je trouve plus
que ça les amène à comprendre ce qu'ils on fait, ça
les amène à réfléchir, je pense que ça les
fait bouger, certaines ; enfin, on en est à la quatrième
séance mais c'est ce qu'ils nous disent, c'est ce qu'ils nous renvoient,
et on en fait une toute les trois semaines ».
43 Centre de Semi -Liberté
F, 39 ans, CPIP, 12 ans
d'ancienneté : « On a eu plusieurs
reunions, comment gerer les conflits, faire attention à bien faire
circuler la parole, pleins de choses concrètes, c'etait très
professionnel ; et puis on a eu des seances avec Sylvie Brochet qui nous a fait
des seances d'animation de groupes de parole, mais de manière
différente, plutôt portées vers le domaine du
comportementalisme ; alors que l'IRTS, c'etait anime par une formatrice qui
avait plutôt tendance, qui etait portee sur la psychanalyse, le
psychisme, l'inconscient ;
on a eu deux façons differentes de proceder ; moi,
ça m'a beaucoup ouvert de perspectives, j'ai une plus-value au niveau de
mon travail individuel dans es entretiens, je ne travaille plus de la
même manière, je suis beaucoup plus receptive à ce que me
dit autrui, ça a beaucoup change ».
F, 46 ans, Assistante de service social, 22 ans
d'ancienneté : « Il faut avoir des connaissances plus
ou moins importantes, des savoirs sur les donnees psychologiques cliniques et
psychiatriques concernant les delinquants sexuels, notamment pour eviter les
pervers dans le choix qu'on peut faire pour constituer des groupes de paroles,
les manipulateurs, c'est pas du tout compatible avec un groupe de parole
à visee criminologique comme le nôtre ».
A une connaissance particulière d'un public
spécifique, viennent s'ajouter de nouvelles connaissances empruntant
à la psychologie clinique et aux techniques d'entretiens de groupe
enseignées par les Instituts Régionaux du Travail Social. La
professionnalisation se nourrit ainsi « du croisement de savoirs
nouveaux et permet en consequence de revendiquer une plus grande
opposabilité à l'égard de l'action publique, mais sans
jamais atteindre l'autorité des professions liberales »
[CHAUVIERE, 2004, p114]. Les professions constituent « une
espèce particulière, dans la mesure où le savoir sur
lequel elles s'appuient est de nature essentiellement theorique et ne peut
être routinise » [LE BIANIC, 2005, p36]. Dans cette acception,
la pratique exclusive d'un groupe de parole, portant soit sur les auteurs de
violence conjugale, soit sur les agresseurs sexuels, nécessite de
véritables professionnels. Cependant, l'appui sur des praticiens
extérieurs et la faible durée de la formation interne à la
pratique des programmes de prévention de la récidive nuancent
fortement ce propos.
8-3 Des visites à domicile plus rares
Depuis 1999, un certain nombre de mesures ou d'actes
professionnels ont progressivement été confiés au secteur
associatif (contrôle judiciaire et permanences d'orientation
pénale).
Les visites au domicile des futurs placés sous
surveillance électronique, de systématiques, sont devenues
marginales, tout comme les accompagnements de personnes placées sous
main de justice dans leurs démarches de réinsertion. Ces actes
professionnels sont au coeur de l'identité professionnelle historique
des assistant(e)s de service social qui ont construit leur identité
autour de la visite sociale.
C'est autour de cette pratique que se sont
créés, en 1923, les bureaux d'hygiène sociale et
l'utilisation par des pionnières des ressources sociales et
financières des différents réseaux de notables,
confessionnels ou militants.
Les assistant(e)s de service social ont donc été
historiquement « en position favorable pour peser assez directement
dans la définition pratique, autant que théorique des objets de
leur intervention, et partant, de leur métier » [CHAUVIERE,
2004, p91]. Nous avons ici concentré notre analyse sur les propos de
CPIP pratiquant le PSE.
De systématiques, les visites à domicile sont
devenues marginales, avec la simplification des conditions techniques,
éloignant encore plus les CPIP de pratiques relevant du social
historique appuyé sur la visite à domicile :
F, 29 ans, CPIP, 3 ans d'ancienneté :
« Il y a un gros travail avec la famille qui passe par une
enquête à domicile, pour respecter aussi ces
particularités-là, pour s'assurer que la personne qui
héberge est au courant de la demande, sait dans quelle condition elle
accueille la personne, notamment si c'est une jeune mère de famillek
».
H, 31 ans, CPIP, UGSP-CGT, 4 ans
d'ancienneté : « Il faut reconnaître qu'il y a
un certain nombre de pratiques qui ont aussi disparu, il faut citer le cas des
contrôles judiciaires, des permanences d'orientation pénales qui
sont beaucoup plus du ressort du privé que du SPIP ; et les visites
à domicile par exemple, comme la permission de sortie accompagnée
qui elles aussi, ont disparu ; et depuis 1999, il y a eu quand même je
dirai, et à la fois, du fait de l'évolution des politiques
pénales et du fait de la juridictionnalisation de l'application des
peines, et à la fois quand même du fait de la volonté assez
affirmée de l'administration pénitentiaire de bureaucratiser
notre métier ».
H, 51 ans, CPIP, 25 ans d'ancienneté :
« Il y avait un peu plus de visites à domicile, un peu plus
oui, d'accompagnement dans les structures pour des personnes qui se
déplacent difficilement, ou il y a des crises de panique ; il y avait
plus de démarches éducatives et sociales ».
Le recentrage vers le champ judiciaire des missions des CPIP
est rendu nécessaire par la complexité des évolutions
juridiques concernant l'application des peines depuis 1999, selon
l'Administration Pénitentiaire. La succession de textes juridiques et de
réformes semble, en effet, nécessiter l'appui de personnels ayant
une bonne culture juridique.
H, 30 ans, CPIP, 3 ans d'ancienneté :
« Le CIP doit en (champ judiciaire) avoir une compréhension
efficace, comme on est une force de proposition, il faut en comprendre les
rouages, les différentes personnes compétentes, parce que du
coup, on se fait conseiller juridique pour les mesures qu'on couvre
».
Cependant, cette technicité juridique ne peut être
dissociée d'une connaissance de la personne et de son inscription dans
des politiques de droit commun :
F, 29 ans, CPIP, 3 ans d'ancienneté :
« Pour moi, c'est le côté bonne
connaissance de l'articulation avec le droit commun, c'est travailler le lien
social sous ses différents aspects, puisque notre mission, c'est
prévenir la récidive, et je trouve que ça prend de moins
en moins de place, et c'est dommage, compte tenu de notre organisation ; il y a
un moment où tu as la personne et des situations beaucoup trop
compliquées et je veux dire, il manque du temps et plusieurs regards
pour vraiment travailler le lien social ».
C'est cette collégialité dans l'analyse des
pratiques qui constituerait une amorce de contrôle entre pairs, indice de
professionnalisation que nous n'avons partiellement observé sur notre
terrain.
8-4 Un monopole partagé avec les surveillants
pénitentiaires dans le suivi des PSE
Depuis début 2010, environ 35 agents du personnel de
surveillance, en charge du PSE, ne sont plus rattachés à une
maison d'arrêt mais à un SPIP. Ce transfert géographique
vise à réunir la gestion socio-éducative et la gestion
technique du PSE en un même endroit. Cette expérimentation («
surveillant chargé du PSE en SPIP ») est partie intégrante
d'une expérimentation plus large, celle de la segmentation.
Dans les 11 sites concernés, le modèle du
cabinet croissance44 prévoit une réorganisation du
SPIP en 5 « segments », et un transfert d'une partie des suivis vers
le personnel de surveillance.
44 Voir Annexe 7 p184
Ghaque Direction Interégionale, ainsi que la Mission
Outre-mer, fonctionne à présent avec un pôle centralisateur
24h/24. Seize postes ont été créés à cette
fin à la DAP qui estime qu'un pôle centralisateur peut fonctionner
avec 8 agents.
De plus, 46 postes PSE ont été ouverts dans les
SPIP en 2010. En plus des 55 SPIP qui seront donc
concernés cette année, le reste des services devrait être
pourvu en 2011.
La DAP annonce que chacun de ces postes fera l'objet d'une
compensation pour les établissements. Les agents déjà en
charge du PSE seront prioritaires pour ces postes. Gette cohabitation
récente des CPIP et des surveillants PSE en milieu ouvert dans la mise
en oeuvre d'une méme mesure, le placement sous surveillance
électronique, tend à rapprocher progressivement les SPIP des
établissements pénitentiaires :
Ainsi, progressivement, les SPIP tendent à devenir des
établissements pénitentiaires, même si l'installation de
greffes au sein des SPIP n'est pas actée actuellement. Gela confirme que
les métiers de CPIP et de surveillants sont destinés à se
compléter et à s'articuler de manière plus
formalisée :
F, 49 ans, Assistante de service social, 28 ans
d'ancienneté : « Globalement, l'AP a mis la main sur
ses agents, on peut le dire, et puis la culture pénitentiaire, celle
qu'on trouvait dans les prisons, s'impose dans le milieu ouvert, avec, par
exemple, la question de la sécurité qui était
évidement présente en prison ; c'est éminemment culturel,
en milieu ouvert ça n'existait pas, je persiste à dire qu'il y a
peu de problèmes, les problèmes de sécurité sont
extrêmement rares ; au fil des années, à partir de fait
divers, on a construit l'objet insécurité dans les services
»
F, 46 ans, Assistante de service social, 22 ans
d'ancienneté : « Moi, je parlerai de
pression, moi, je sens plus la pression pénitentiaire ; moi, ce qui me
parait le plus proche de moi, c'est le champs pénitentiaire, même
si je ne travaille pas en milieu fermé, parce que du fait de la
réforme de la départementalisation, il y a quand même une
administration pénitentiaire qu'on sent plus proche, et la direction
régionale, les modifications, enfin, les réformes ; ensuite, le
champs judiciaire me semble s'être éloigné de moi, puisque
c'est vrai que pendant longtemps, j'ai travaillé au tribunal, c'est vrai
que par exemple, à une époque, je connaissais tous les
magistrats, les greffiers, donc, pour moi le champs judiciaire s'est un peu
éloigné pour que se rapproche le champs pénitentiaire ; le
champ social s'est éloigné aussi, autant il y avait une forme
avant, autant aujourd'hui, j'ai l'impression que les formes du champs social
sont en train de devenir de plus en plus floues, parce qu'en fait, on a pas le
temps de faire vraiment un travail social correct ».
Cette nouvelle
complémentarité/compétition entre surveillants et CPIP
mériterait une étude spécifique, avec un peu plus de recul
sur la mise en oeuvre de cette réforme dans la perspective de «
l'écologie des professions », initiée par Abbott. Cet auteur
accorde aux conflits de juridiction, survenant entre professions sur un
même lieu de travail, une place centrale. Toute profession est en lutte
pour « la maîtrise de territoires ou de domaines
réservés (juridictions) au sein de la division du travail
» [ABBOT, 1988]. Il nous semble que les interactions entre
surveillants, affectés dans les SPIP et CPIP, sont de nature à se
compléter mais aussi à se concurrencer sur des dimensions comme
le rendu compte des incidents ou le suivi administratif des mesures à
déléguer à l'un ou à l'autre de ces groupes
professionnels.
Cette congruence des missions entre CPIP et surveillants dans
les fonctions administratives de surveillance est partiellement actée
par le nouveau projet d'organisation de service des SPIP qui suggère un
suivi administratif des personnes placées sous main de justice ne
présentant pas de dangerosité et ne nécessitant pas
d'intervention du SPIP en matière d'orientation vers des partenaires
extérieurs par les surveillants pénitentiaires. Ainsi, de la
proposition d'un placement sous surveillance électronique aux Juges
d'Application des Peines à l'instruction et au suivi de cette mesure,
les CPIP mobilisent des savoirs d'action non formalisés. Une
systématisation de la surveillance électronique tend cependant
à réduire leur autonomie d'analyse de la situation des personnes
placées sous main de justice. En parallèle, les CPIP
redécouvrent l'analyse collégiale des situations prises en charge
par les services avec la pratique très récente à
l'échelle de tous les services des programmes de prévention de la
récidive. Leur formation initiale n'intégrant cette mesure que
depuis 2009, elle ne peut constituer en l'état une pratique centrale
fondant l'identité de ce groupe professionnel. Les visites à
domicile se raréfiant, de nouvelles professionnalités
émergent entre surveillance, technicité juridique et
connaissances spécifiques sur les infractions commises par les
publics.
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