5-3 Le déménagement hors des SPIP et le
développement de l'écrit
A partir de 2001, les SPIP ont quitté les Tribunaux de
Grande Instance pour intégrer leurs locaux propres. Les relations
autrefois hiérarchiques entre les agents et les JAP sont, de fait,
médiatisées par les DIP ou les CSIP, qui valident les rapports
des CPIP, et par l'utilisation du logiciel APPI32.
Le travail au quotidien des CPIP se trouve profondément
modifié par un développement constant de l'écrit
professionnel aux dépends de relations personnalisées avec les
magistrats.
F, 54 ans, CPIP, 14 ans d'ancienneté :
« On fait plus d'écrits qu'avant ; on allait voir les JAP et
ça se réglait sans rapports et maintenant, quand on leur
téléphone, et c'est difficile de leur parler, ils nous prennent
parfois pour des larbins ».
L'éloignement géographique d'avec les Juges
d'Application des Peines et l'utilisation d'APPI rend nécessaire
l'utilisation de l'écrit pour transmettre les informations concernant
les personnes placées sous main de justice :
F, 49 ans, Assistante sociale, 28 ans
d'ancienneté : (( C'est clair que
la hiérarchie des SPIP ne souhaite pas qu'il y ait des relations
privilégiées entre les CIP et les magistrat ; comme on les voit
plus, comme on échange plus de vive voix, il faut écrire,
compenser, ils veulent légitimement savoir ce qu'il se passe et il faut
nourrir la machine de rapports semestriels ».
Cette évolution conduit les CIP à écrire
pour des demandes autrefois gérées oralement avec les juges
d'Application des Peines.
Ce rapport permanent avec l'écrit semble peser plus
fortement sur les personnes ayant connu les CPAL que sur les promotions de CPIP
ayant suivi la réforme des SPIP en 1999.
32 Le logiciel APPI (Application des
Peines-Probations-Insertion) est un outil informatique commun au service de
l'application des peines et au service pénitentiaire
d'insertion et de probation, qui permet la gestion des mesures dont ils ont la
charge. Son utilisation donne accès à une information sur la mise
à exécution des sanctions prononcées. Circulaire relative
aux aménagements de peine et aux alternatives à
l'incarcération CRIM 2006-09 E3/27-04-2006 NOR : JUSD0630051C
Alternative à l'incarcération Aménagement de peine
Application des peines Exécution des peines Loi n° 2004-204 du 9
mars 2004 Loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 Décret
n° 2004-1364 du 13 décembre 2004.
F, 49 ans, Assistante de service social, 28 ans
d'ancienneté : « Je pense que l'écrit
effectivement ça s'est développé parce qu'on s'est
éloigné des magistrats, et là où on pouvait
communiquer finalement simplement en étant dans le même couloir en
passant la porte des magistrats qui étaient très accessibles
l'éloignement nous à obligé à écrire,
à communiquer, moi, je pense que c'est ça qui a changé la
donne, on avait un seul dossier, et le juge pouvait aller à tout moment
le consulter, aujourd'hui il y a deux dossiers et il faut alimenter celui des
juges par des écrits ».
F 46 ans, Assistante de service social, 22 ans
d'expérience : « Dans la pratique, ça a mis le
rendu compte, le fait de devoir rendre des comptes, partout : écrire
l'éloignement des tribunaux, les différentes instances, les
débats contradictoires, les remises de peines supplémentaires,
les commission d'application des peines ; on est arrivé à un
travail beaucoup plus administratif ; ça nous a obligé, oui,
ça a modifié la pratique, ça l'a rendue beaucoup plus
administrative, en fait. »
F, 49 ans, Assistante de service social, 28 ans
d'ancienneté : « Il n'y avait pas de rapports
semestriels, le juge demandait un rapport s'il était conformé que
la personne passait à l'audience ; on avait besoin d'étayer si on
avait besoin de demander une autorisation de déplacement, si on devait
dire que la personne ne s'inquiète pas du tout de son obligation de
dédommager et on trouvait qu'elle y mettait toute la mauvaise
volonté du monde ; il fallait faire un rapport, on donnait les
justificatifs au juge et on parlait de la situation. »
La dimension cognitive de ce passage de la culture de l'oral
à l'écrit est très renseignée dans d'autres
études sur les évolutions de l'action sociale. [CHAUVIERE, 2004]
[ION, 2006]. Il existe de fait une dimension de contrôle de
l'activité de l'agent dans l'émission de ces rapports mais
également une acculturation progressive à l'usage de l'outil
informatique, acculturation effectuée chez les CPIP arrivés
après 2004 et la juridictionnalisation de l'Application des Peines.
H 51 ans, CPIP, 25 ans d'ancienneté :
« Il y a un aspect positif, pratique, il y a une
transmission rapide d'information mais la machine est gourmande, il faut
l'alimenter ; tout ça, ça prend beaucoup de temps. On est aussi
affichés, potentiellement mis au pilori, c'est le côté un
peu pervers d'APPI ; le problème majeur, c'est la lourdeur des
écrits, effectivement si on répond de manière très
rigoureuse à la commande institutionnelle, si on rédige les
rapports semestriels, les rapports de ci, de ça,
on est transformé en opérateur de saisie et
on voit des collègues qui, finalement, essaient de répondre
à cette commande pour ne pas être en défaut et qui oublient
finalement de rencontrer les personnes ; certes les cases sont remplies mais
les informations que l'on y trouve sont superficielles ».
Ainsi, la réponse aux attentes institutionnelles semble
isoler le CPIP dans une logique de justification de son activité par
l'écrit, sans reconnaissance extérieure de son action.
La multiplication des rapports et des comptes rendus peut
devenir toutefois tellement importante qu'elle justifie en elle-même
l'activité des CPIP au quotidien.
H, 31 ans, UGSP-CGT, 4 ans
d'ancienneté : « Il faut améliorer la
lisibilité, la transparence de notre activité ; il faut pouvoir
justifier notre activité, et ces arguments à consonance positives
servent à justifier un travail de plus en plus contraignant, oft on a de
moins en moins d'autonomie, oft on est submergé par la paperasserie et
oft justifier de ton activité professionnelle prend une part de ton
travail non négligeable. »
Cela tendrait à infléchir leur intervention vers
« un travail de plus en plus formaté par le
développement d'outils informatiques Ils (les agents) doivent respecter,
sous peine d'rtre sanctionnés, les encodages prévus par la base
de données qu'ils sont censés alimenter » [SLINGENEYER,
2007, p 15].
Ainsi, la création d'une hiérarchie semble
éloigner les CPIP des contacts institutionnels sur le département
et substitue, au contact direct avec les magistrats, la rédaction de
rapports écrits de plus en plus nombreux. Le double échelon
hiérarchique CSIP/DIP, appelé à disparaître en 2015,
n'a jamais été reconnu par les CPIP comme pertinent surtout par
les personnels ayant le plus d'ancienneté au sein de l'Administration
Pénitentiaire.
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