5-2 Une perte de reconnaissance sur le terrain comme
acteurs de la prévention de la récidive
La création d'une hiérarchie avec deux niveaux
de responsabilité au sein des SPIP, couplée avec le
déménagement hors des TGI, a introduit une contrainte là
où les rapports étaient autrefois directs avec les acteurs de la
Politique de la Ville, les Juges de l'Application des Peines et les partenaires
du SPIP en milieu ouvert :
31 Décrets statutaires et indiciaires
publiés au Journal Officiel du 28 décembre 2010
H, 53 ans, CPIP, 27 ans d'ancienneté :
« Il y avait des injonctions paradoxales ; on me disait : « il
faut trouver des postes de travail d'intér~t général parce
qu'on en manque, mais vous n'avez pas le droit de discuter directement avec des
Adjoints au Maire des chefs de ceci cela », parce que là, ce sont
que des chefs qui rencontrent des chefs ; il y avait pas une pratique
libérale de cette administration mais, au contraire, une pratique,
comment dirais-je, administrative, bureaucratique. »
De fait, la volonté initiale de rapprocher le service
des partenaires par une sectorisation géographique a
été contrariée par cette hiérarchisation, selon les
CPIP ayant connu les CPAL :
H, 51 ans, CPIP, 25 ans d'ancienneté :
« Je l'ai vécu comme un appauvrissement du
métier, parce qu'avant, on faisait sans ; par exemple les JAP, s'ils
avaient une réunion où ils ne pouvaient pas aller, ils nous
disaient d'y aller, on était délégués du JAP, on se
retrouvait avec des élus et tout ça, et c'était
très intéressant. Aujourd'hui, c'est tout un aspect du travail
qu'on ne fait plus, que la hiérarchie s'est approprié, pour nous,
c'est un appauvrissement des tâches, et la hiérarchie ne souhaite
pas non plus qu'on rencontre les élus ; si tu travailles sur une ville,
le DIP, il va rencontrer le maire : tu vas pas avec lui, donc, c'est un vrai
appauvrissement, même les comités locaux de prévention de
la délinquance, on sait même pas ce qui s'y est dit. Parfois, on a
un compte rendu, mais pratiquement, on est privé de dessert. Donc, on
est écartés de toutes ces tâches qui étaient
très intéressantes et faisaient de nous des acteurs de la vie des
Communes très impliqués ; donc du coup, on est plus en retrait,
on est moins impliqués dans la vie d'une Commune ».
Cette coupure d'avec le terrain est plus vivement ressentie
par les personnels ayant connu un mode d'organisation précédent
l'arrivée de cette hiérarchie. Les arguments invoqués
couvrent autant l'organisation pratique et quotidienne du service qu'un
problème de reconnaissance d'ordre social :
F, 46 ans, Assistante sociale, 22 ans
d'ancienneté : « J'ai trouvé dommage qu'on soit
obligé de quitter le tribunal ; je pensais qu'on aurait maintenu les
contacts avec les magistrats, parce que ça facilitait vraiment le
travail d'être sur place, j'en parle avec nostalgie ; mais on a beaucoup
perdu, c'était vraiment autre chose ; pour moi, on travaillait dans de
meilleures conditions, c'est plus facile d'être sur place pour aller
chercher un jugement sur intérêt civil ; c'est quand même
avant la juridictionnalisation, on allait voir les juges, c'est sûr, ils
révoquaient moins, pour certains pas du tout ; on faisait pas les
rapports tout le temps,
On parlait des situations avec les gars, je me souviens
d'avoir accompagné des gars qui avait des problèmes avec les
droits de visite et d'hébergement avec leurs gamins qu'ils ne voyaient
pas au tribunal des affaires familiales, on connaissait les parquetiers, on
connaissait les greffiers, on était connus et identifiés alors
effectivement, à une époque, on était aussi taillable et
corvéables à merci ».
La reconnaissance sociale des CPIP, en tant qu'acteurs de la
lutte contre la délinquance au niveau départemental, est ainsi
obérée. C'est le SPIP en tant que service qui est
représenté par l'intermédiaire de l'échelon
hiérarchique sans que le contenu précis des missions des agents
au quotidien soit forcément connu par les partenaires. Cela est
potentiellement vecteur de tensions entre agents ayant connus les CPAL et les
CSIP ou les DPIP :
H, 53 ans, CPIP, 27 ans d'ancienneté
: « Ça faisait plutôt penser
à une organisation, une odeur de type soviétique, sans
connotation personnelle sur ; mais ce qu'on a reproché aux
systèmes centralisés, c'est-à-dire tout passe par la
hiérarchie mais, c'est tellement lourd, rien ne fonctionne, ça
manque de souplesse et tout ; et en mrme temps qu'on fait du management, on
fait le contraire du management, parce que le management c'est quand mrme,
avoir, mettre les subalternes sous son aile, en disant : « on fait partie
du même bateau » ; on donne l'illusion que, et pour faire illusion,
il faut bien donner quelques petits bouts d'os à ronger et donc on leur
donne des miettes de pouvoirs, des illusions d'autonomie et de maîtrise.
Pour nous, c'est un management centralisé, c'est-à-dire le
contraire du management parce que le management c'est quand mrme horizontal
»
Ainsi, la hiérarchie est perçue comme un outil
de contrôle de l'activité des SPIP et non pas comme un appui
technique auprès des partenaires.
C'est l'Administration Pénitentiaire qui viendrait
étendre son action au-delà des établissements
pénitentiaires jusqu'aux CPAL, autrefois sous l'autorité des
Juges d'Application des Peines :
F, 49 ans, Assistante sociale, 28 ans
d'ancienneté : « C'est que le fonctionnement du
service s'est hiérarchisé, organisé ; c'est la prise en
main par l'Administration pénitentiaire des comités de probation,
puisque comme, je te le disais à l'instant, l'Administration
pénitentiaire était éloignée de mon lieu de travail
; nous on travaillait dans un environnement judiciaire, on se voyait
très peu avec le milieu fermé ; historiquement, il y avait la
prison et le tribunal, 1999, c'était renforcer l'identité
administrative des services d'ailleurs ;
On a vu l'AP remettre la main sur ses personnels, en nous
demandant de quitter les tribunaux, ce qui a été un grand choc,
d'ailleurs, les magistrats s'y étaient opposés et on y a
probablement beaucoup perdu, parce que donc, on a vu se figer au fil des
années une hiérarchie, autant de corps qui nous ont
éloigné des tribunaux, qui nous ont privé du contact avec
les magistrats, et donc, évidemment on y a beaucoup perdu, parce qu'on a
vite compris que ces corps voulaient nous priver des contacts avec les
magistrats. »
La place de la hiérarchie dans les SPIP n'a donc pas
été complètement intégrée par les CPIP.
Cette difficulté de reconnaissance est déjà ancienne
« Enfin, il faut relever la faiblesse de la fonction d'encadrement au
sein des SPIP : Au-delà du problème des effectifs, la
difficulté tient à l'absence de perspective réelle
d'évolution pour ceux des travailleurs sociaux qui ont accepté de
devenir directeur départemental ou adjoint. La faible
attractivité du statut des chefs de services d'insertion et de probation
(CSIP) au regard des responsabilités qui leur incombent a
été à l'origine d'importantes difficultés de
recrutement » [COUR DES COMPTES, 2006, p 96].
Des difficulté similaires sont rencontrées au
sein de la Protection Judiciaire de la Jeunesse pour des raisons
différentes : « nous soulignerons que ce sont la
rationalisation de l'Action Publique et la montée des politiques de
répression de la délinquance qui font de la fonction de direction
le point de cristallisation des tensions internes à la PJJ
[DUGUÉ, MALOCHET in LE BIANIC, VION, 2008, p51].
Le caractère récent de la création des
DPIP ne permet pas encore d'effectuer un lien certain entre les
difficultés rencontrées par les DPIP et celles rencontrées
par les Directeurs PJJ et mériteraient d'être analysées en
propre dans une étude ultérieure concernant les fonctions
d'encadrement dans les services du Ministère de la Justice.
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