Chapitre 6 : Un discours de légitimation de ces
évolutions porté par l'Administration Pénitentiaire
Une évolution aussi rapide des finalités des
missions des CPIP a nécessairement due être explicitée,
présentée aux acteurs, et mérite d'être mise en
regard avec le discours institutionnel accompagnant ces changements
profonds.
Nous monterons ici que l'Administration Pénitentiaire a
ainsi développé une argumentation reposant sur les notions
d'autonomie fonctionnelle (6-1) et d'expertise (6-2), actée par une
revalorisation indiciaire survenue fin 2010 (6-3).
6-1 L'autonomie
Les Comités de Probation et d'Assistance aux
Libérés (CPAL) étaient, avant 2001, installés au
sein des Tribunaux de Grande Instance de chaque juridiction. Les
déménagements des SPIP dans leurs locaux propres ont
marqué l'apparition d'une hiérarchie autrefois constituée
par les JAP en milieu ouvert et par les chefs d'établissement en milieu
fermé.
Le rapprochement territorial d'avec les acteurs du droit
commun en matière d'insertion est alors souhaité :
F, 34 ans, CPIP, SNEPAP-FSU, 8 ans d'ancienneté
: « L'idée, c'est de dire que le travail des SPIP se
situe en total lien avec les politiques publiques de droit commun et donc sur
un ancrage territorial, le département qui correspond à une
identité administrative, donc l'existence et la création d'un
partenariat avec les différents acteurs. L'idée, c'est que le
service est le même dedans dehors ; enfin, l'idée qui a
été portée à ce moment là, parce que c'est
pas exactement la cas ; mais l'idée c'est que les missions des SPIP,
pour le SNEPAP ne sont pas fondamentalement différentes, qu'on soit en
milieu ouvert ou en milieu fermé ; l'idée, c'est d'assurer une
continuité d'action parce que le boulot du SPIP est quand même
principalement orienté vers l'extérieur; le travail que se passe
à l'intérieur n'est pas un boulot de gestion de la
détention, le SPIP doit être totalement tourné vers
l'extérieur et notamment que le partenariat développé en
milieu ouvert doit être le même que celui développé
en milieu fermé ; les problématiques sont les mêmes et
l'objectif est bien de préparer la sortie des personnes, donc
d'être dans une logique un peu similaire et un peu identique
».
F, 42 ans, CPIP, 2 ans d'ancienneté :
« Après, c'est pas une création ex nihilo, puisque
existaient les CPAL depuis 1958, les comités d'assistance et d'aide aux
libérés, la création en 1999 est dans la continuité
de ces comités, même s'il y a des différences de taille,
puisque le SPIP est sorti du giron, pas du Ministère de la Justice mais
en tout cas de l'autorité judiciaire ; je pense que c'est une
extrêmement bonne chose qu'un service pénitentiaire soit
créé et qu'il ne soit plus sous l'autorité des magistrats
parce que ça permet de pas avoir un seul commanditaire, pas un seul juge
et parti ; voilà, comme dans un jugement dans un tribunal, et qu'on se
retrouve avec, il y un magistrat instructeur qui est en charge, par exemple
d'un
amenagement de peine, et c'est pas lui qui va être
decideur du debut jusqu'à la fin de la proposition, à
l'acceptation de la direction dans laquelle aller. Le SPIP, de ce fait
là; est autonome, autant que faire se peut, en tout cas le fait de le
creer et qu'il ne soit plus sous l'hegemonie du pouvoir judiciaire ; je trouve
que, voilà, ça offre un contre pouvoir et une proposition et une
richesse qui me semble importantes».
Il semble donc que l'autonomie des SPIP vis-à-vis des
magistrats et des chefs d'établissement soit reconnue par les CPIP ayant
une expérience plus récente. Cette notion d'autonomie, comme
indice de professionnalisation, reste cependant à relativiser.
En effet, selon Catherine PARADEISE, «l'autonomie
n'est ni nécessaire, ni specifique aux professions etablies : il faut
toujours une loi, un jugement pour construire la delegation de puissance
publique qui fonde l'autonomie professionnelle» [LE BIANIC, VION,
2008, p289]. Ainsi FREIDSON, analysant plus particulièrement les
relations entre l'État et les professions, sur la base de ses propres
recherches sur les médecins, conçoit que cette autonomie ne va
pas de soi : elle est en quelque sorte « concédée » par
l'État qui délègue à une profession le monopole de
la définition légitime d'un secteur de la vie sociale.
Le professionnalisme ne peut donc exister que s'il est
adossé à un système sociopolitique plus large qui lui
permet de s'épanouir. Une profession, bien qu'autonome sur le plan de
ses actes techniques, ne l'est pas dans la définition de ses
orientations socio-économiques : «Alors que les professions,
contrairement à d'autres activités, contrôlent leur propre
travail et peuvent donc être considerees autonomes dans la division du
travail et dans leurs marches, du travail, elles dépendent du pouvoir
coercitif de l'État qui soutient cette autonomie. Elles sont autonomes
dans leur propre domaine economique mais pas dans la societe dans son ensemble
car elles dépendent de l'État qui leur délègue du
pouvoir » [FREIDSON, 2001, p133].
De fait, les SPIP dépendent des politiques
pénales et des décisions des magistrats pour mettre en oeuvre les
mesures de justice et gérer les flux de mesures prises en charge. Cette
rhétorique de l'autonomie fonctionnelle trouve là une limite
importante, même si elle trouve un écho chez une majorité
de « jeunes » CPIP interrogés :
F, 40 ans, CPIP, 9 ans d'ancienneté :
« J'ai eu une courte expérience des SPIP au TGI, quand
j'étais élève et stagiaire dans le Val d'Oise et mon
premier poste, c'était à Meaux ; c'est pareil, on est
resté un certain temps, les locaux étaient exigus et puis, on est
parti, et c'était très bien comme ça, c'était
beaucoup mieux ; parce qu'avoir le juge en permanence, là, au bout du
couloir, alors, il y avait une proximité : c'est vrai, on pouvait le
voir si on avait un souci, tout ça mais c'est vrai que c'était
pas gérable, on comprenait rien : la salle d'attente c'était la
même pour le juge que pour le SPIP, c'était le même couloir,
on avait les bureaux à côté, le secrétariat du SPIP
et le secrétariat du JAP se partageaient le même, c'est vrai que
c'était vraiment beaucoup plus rapide, mais bon, moi, je
préfère qu'il y ait une séparation physique parce que j'ai
l'impression que les juges n'avaient pas lâché l'affaire, quelque
part, le truc d'être nos supérieurs hiérarchiques, et
ça, j'aimais pas du tout ».
F, 34 ans, CPIP, SNEPAP-FSU, 8 ans
d'ancienneté : « L'idée, c'est
que le service est une entité autonome, bien évidemment en lien
avec les autres et notamment en lien avec le judiciaire ; ça, c'est
complètement évident, mais il doit définir sa façon
de faire de manière propre, sa compétence de manière
propre, son identité de manière propre et non pas sur
autorisation ou sur instruction, ou sur directive d'une instance autre qui est
le magistrat. »
Il s'agit, là, d'un deuxième clivage
générationnel entre les CPIP qui perçoivent la
création des SPIP comme garants de l'indépendance des CPIP
vis-à-vis des magistrats, et ceux percevant la hiérarchie comme
une entrave à leur autonomie dans les contacts avec les partenaires,
notamment.
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