· Il résulte des différents
témoignages, que j'ai pu recueillir, que tenir un blog exige du temps.
Ce, dont ces universitaires-blogueurs, qui pour beaucoup, en manquent,
n'avaient, visiblement, pas conscience lorsqu'ils les ont
créés.
Ce qui pourrait expliquer, leur fermeture, leur
abandon, et « l'épuisement » de certains
auteurs.
« Quatre années plus tard, on se rend compte
que cette période de bouillonnement est passée, les auteurs
s'étant épuisés - à commencer par
Frédéric et Dimitri. »
« J'ai créé ce blog (que je n'ai
malheureusement plus le temps d'alimenter) ».
· Il apparaît également qu'aucun
des universitaires interrogés n'avait le sentiment ou la volonté
de faire oeuvre de doctrine sur son blog et que tous adhèrent à
ce « jugement de fait » qui conduit à opérer
une distinction entre l'écrit juridique doctrinal et l'écrit
juridique qui « n' [aurait] pas une qualité
suffisante » pour être qualifié de doctrine.
Il est pour beaucoup la raison pour laquelle les
écrits non « savants »178(*) de leurs blogs, qui
pour l'essentiel relaient des informations brutes, d'actualité, sans
grandes analyses ou peu poussées et ne répondent pas aux
exigences qu'ils se fixent lorsqu'ils écrivent dans les revues, ne
peuvent être qualifiés de doctrine.
« Les articles rédigés ne
correspondaient pas à des analyses aussi poussées que celles que
j'aurais pu faire dans la presse spécialisée
écrite. »
« Les informations sont simplement
rapportées en quelques lignes, brutes, sans grande analyse; je n'ai donc
pas souhaité faire oeuvre de doctrine.»
« Le mot doctrine que vous utilisez a un tel sens de
droit savant que je n'ai jamais pensé faire une quelconque oeuvre de
doctrine que ce soit dans mes écrits papiers ou dans ceux
numériques. »
Tandis que pour le professeur Christophe Roquilly,
cela semble davantage tenir à ce que « le terme doctrine
[ferait] toujours référence à une publication
éditoriale »179(*).
« Sans m'engager dans une discussion sur ce qu'est
la « doctrine », je pense que celle-ci passe par les revues
académiques, et non par un Blog. »
· A également été mis en
exergue l'importance de ce que les zélateurs de la doctrine virtuelle
dénonçaient comme des entraves à la liberté des
auteurs: les contraintes éditoriales, dans l'élaboration de
contenus de qualités.
« Cela dit, la gestion d'un blog m'est apparu
très chronophage et difficile sans une véritable politique de
rédaction avec une équipe pédagogique permettant une
répartition du travail. C'est la raison pour laquelle la mise à
jour de mon blog laisse à désirer. »
Pour ce qui est maintenant des motivations de ces
universitaires :
· Des trois hypothèses sur les fonctions
des blogs que Dimitri Houtcieff et Fréderic Rolin avaient
avancées, seule une est validée par leurs discours.
La fonction d' « ouverture vers la
communauté universitaire »180(*) est la seule
fonction revendiquée par ces blogueurs.
· Pour le reste, les raisons qui ont
présidé à la création de leurs blogs étaient
essentiellement personnelles.
« « Garder la mémoire »
de certains faits et cas m'ayant amené à écrire des
« billets ». »
« Il s'agissait d'en faire le compagnon
d'étude de mon sujet, les noms de domaine, sur lequel je rédige
une monographie. Il s'agissait donc d'en faire usage au sens premier du terme
blog : un journal de bord, un bloc-notes. »
· Lorsqu`elles n'étaient pas induites par
les éditeurs juridiques qui se sont appropriés la
blogosphère par l'intermédiaire de leurs auteurs afin de
promouvoir leurs ouvrages181(*) et d'en assurer les actualisations et mises
à jour182(*),
« Très sommairement, la création de ce
blog répond à une réflexion tournée vers un ouvrage
que je publie depuis 2000, le code commenté des étrangers chez
Litec. Sa publication intervenait pour les 5 premières éditions
tous les deux ans - elle est passée en édition annuelle depuis
l'an passé.
A côté d'informations pratiques - comme celles
liées à des colloques que j'ai pu organiser -, je souhaitais
avant tout proposer aux lecteurs une forme de "banque de données" des
informations les plus essentielles - dans la mesure du possible, je mets les
pages qui sont concernées par les actualités -. Le code Litec
renvoie pour sa part au blog. J'ajoute que le blog est alimenté par
de futurs commentaires du code Litec mais également des informations
d'actualité que je rédige pour le même éditeur, dans
le cadre de la mise à jour que Lexis Nexis propose à ses
abonnées.»
« L'idée de départ était aussi
d'avoir un outil pour actualiser régulièrement mes manuels.
L'éditeur de mon manuel d'intro au droit ayant accepté cela,
dès la semaine prochaine, chaque mois je vais publier une mise à
jour de ce manuel qui vient de sortir la semaine dernière en librairie.
De la sorte, gratuitement les étudiants qui auront cet ouvrage auront
une mise à jour immédiate pendant plusieurs
années. »
· aucun de ces universitaires-blogueurs, y
compris ceux qui ont souhaité « faire partager
l'actualité », ne font référence aux citoyens,
au grand public, à un quelconque souci de vulgarisation juridique ou
à une quelconque envie de prendre part aux débats
publics...
Ainsi, y compris dans les blogs, la doctrine semble
tournée vers elle-même et le premier marché de
l'édition juridique dont elle -la doctrine interrogée pour le
moins- semble exclure les publics professionnels qui ne sont pas les publics
avec lesquelles elles souhaitent dialoguer, échanger et travailler en
réseaux.
· Elle ne se préoccupe pas, voire se
désintéresse des particuliers, et ses témoignages
confirment que ceux-ci sont bien à la recherche de consultations
juridiques et éprouvent de grandes difficultés à formuler
leurs besoins en droit.
« Je concède également que je n'ai pas
voulu m'inscrire dans une démarche citoyenne: les données n'ont
rien de "pratique" pour des étrangers en difficulté et
s'adressent à des juristes. J'ai d'ailleurs écarté toute
demande de consultation, conscient qu'elles n'auraient été que
superficielles. Depuis deux ans, j'ai d'ailleurs bloqué la
possibilité de déposer des questions sur mon blog qui visaient
des situations trop personnelles. Pour l'essentiel, ces questions
étaient incompréhensibles sans rencontrer les personnes qui le
plus souvent ne résidaient pas en France.»
· Enfin, ces différents
témoignages révèlent la transformation des blogs en
vitrines professionnelles sous l'effet de succès que leurs auteurs ne
semblent pas avoir recherchés.
« Petit à petit, il est devenu, bien
malgré moi, un objet dont le contenu a été cité sur
d'autres parutions électroniques, parfois même cité dans
des ouvrages (et même un jour en justice !).
Ma démarche
était donc purement personnelle... mais elle est, singulièrement,
devenue professionnelle par la suite ! »
· Ainsi que leur appropriation par des publics
qui ne sont pas nécessairement ceux qu'ils leur avaient
assignés.
« Malheureusement ou heureusement, je ne sais pas,
les pages les plus consultées sont celles relatives aux enseignants
chercheurs, donc par mes collègues, car nous sommes tous très mal
informés de notre "condition". En tout cas ce n'était pas mon
souhait au départ et je me demande même si à la
rentrée je ne vais pas laisser tomber ces chroniques relatives aux
enseignants chercheurs. »
Les témoignages des universitaires-blogueurs
vont ainsi d'une manière générale dans le sens, de ce qui
a pu être écrit sur les blogs : Ils ne les ont pas
envisagés comme les concurrents des revues qui restent pour eux les
lieux privilégiés d'expression de la doctrine.
Toutefois, s'ils peuvent y « esquisser
certaines analyses doctrinales [...] prolongées par
ailleurs », entendu dans des supports éditoriaux
traditionnels. Ils semblent ne pas avoir-les titulaires de blogs de promotion
et d'actualisation d'ouvrages mis à part- envisagé les blogs par
opposition à l`édition juridique traditionnelle. Que ce soit en
qualité de compléments ou en qualité
d'auxiliaires183(*)... Ils semblent les avoir naïvement
perçus comme de nouveaux vecteurs et supports
d'expression...
Qu'en est-il des autres universitaires-blogueurs ?